Chronique
Une grande chaleurosité
La Presse
Ça s’appelle la Fondation du Centre jeunesse de Montréal. Comme son nom ne l’indique pas clairement, la Fondation met du fric sur la table pour aider directement les jeunes qui orbitent autour des centres jeunesse.
On parle ici soit d’enfants qui vivent dans leurs propres familles et sont suivis par la DPJ, soit d’enfants en famille d’accueil ou d’enfants qui vivent dans des foyers de groupe.
Le fric – 1,3 million par année – est consacré à des programmes formels et à des initiatives ponctuelles, signalées par les éducateurs, qui croient que ces dollars pourraient aider l’enfant à se développer.
Genre : Thomas tripe sur le hockey, mais sa famille n’a pas d’argent pour payer l’équipement et l’inscription. Ça aiderait Thomas à se concentrer sur l’école que de pratiquer son sport préféré. L’éducateur remplit un formulaire, la demande est analysée. Et, pouf, Thomas joue au hockey organisé l’année suivante.
Ou alors la famille d’Anaïs a besoin de trois lits pour les enfants, pour que la fratrie dorme mieux que dans le lit des parents. La Fondation achète trois lits neufs.
Ou Bruno se reprend en main après une adolescence faite de petits crimes, mais pour aller à son école de métiers, il n’a pas les moyens de payer sa carte OPUS. La Fondation lui paie sa carte OPUS.
Dans le grand ordre des choses, des miettes : 100 $ ici, 400 $ là, ça peut être davantage. Mais des miettes aussi hautes que l’Everest, quand t’as pas d’argent ou que t’as pas de parents. En fin de compte, plus de 13 000 enfants et familles grimpent l’Everest chaque année, grâce à la Fondation.
C’est une des mille et une fondations qui sollicitent votre générosité. Celle-ci ne m’a pas sollicité pour que je parle de ses programmes et de ses campagnes de financement : j’ai simplement vu passer dans mon fil Facebook une lettre écrite par un enfant aidé par la Fondation, pour la remercier d’avoir payé son inscription au YMCA.
Je cite :
Là, comprenez-vous, je suis devenu tout mou en dedans, je me suis tâté pour remercier le ciel auquel je ne crois pas de m’avoir fait tomber dans une famille où personne ne me tripotait, où mes parents étaient imparfaits, mais parfaitement aptes à m’aimer, où il y avait de l’argent pour m’acheter une paire de patins par année…
J’ai contacté la Fondation :
« Avez-vous d’autres lettres comme celle-là ?
— Oui.
— Ben, je veux les lire. »
Ils ont dit oui et ils m’ont confié une chemise rose dans laquelle il y avait des dizaines de petits mots écrits à la main par des enfants, par des parents.
Prenez ça comme des cartes postales provenant de la vraie vie.
— S.
— S.
Sur une grande carte bleue :
Sur la carte, il y a des autocollants de vélos.
Sous les vélos, ils ont signé :
Les unités sont les pavillons où les enfants vivent sous la supervision d’éducateurs.
— C.
— M.
— S.
— Signé, une D. heureuse et transformée
— E.
K.
— A.
— T.
Et au bas de la feuille, sous les mots écrits par T., son éducatrice a ajouté :
Une petite main écrit, tout simplement :
— Sans signature.
— G.
Un formulaire d’une page. Titre : « Demande d’équipement de hockey »
Et il y a des espaces pour le prénom (A.), le sexe (M) et l’âge (9 ans) et le Milieu de vie (en foyer).
Question du formulaire :
Par-dessus le formulaire, on a collé une demi-page blanche marquée de huit mots immenses, qui couvrent tout l’espace, huit mots écrits par A. quand il a su la réponse de la Fondation :
— A.
— Et sous ces mots, les noms de tous les membres de la famille, père, mère, quatre enfants.
— L.
— J.
(Note du chroniqueur : je décrète que « chaleurosité » est désormais un mot admis de la langue française.)
— A.
Message d’une mère :
— L.
Je ne sais pas pourquoi j’ai voulu faire une chronique avec ces remerciements.
Peut-être que ça vient d’une certitude que j’ai : tomber dans une « bonne » famille est la première et la plus grande des chances dans la vie. Sinon, bonjour, la résilience.
Mais je trouve aussi que nos médias sont trop souvent monopolisés par l’actualité formatée par les porte-parole, par les politiciens, par les professionnels de la communication… Untel a déclaré ceci… L’opposition a dénoncé telle patente… Il y aura un Sommet Machin la semaine prochaine… Le PM a entamé hier un voyage de trois jours au Zimbabwe et…
Et il y a beaucoup d’événements dans l’actualité, mais finalement pas beaucoup de vie (des morts, mets-en, par contre)… Mais juste la vie, la vie sans grands titres ?
Pas tant que ça.
Peut-être que la vie, ce n’est pas d’actualité ?
Et les petits mots que vous avez lus, ces mots de personnes qui n’ont pas tiré le billet gagnant à Loto-Destinée, je trouvais juste que c’est ça, de la vie, dans tout ce qu’elle a de beau, de rassurant et de désespérant à la fois. Ni tout à fait belle ni tout à fait laide…