sécurité routière

Faut-il craindre la hausse du nombre d’aînés au volant  ?

Un bambin de 5 ans lutte toujours pour sa vie à l’hôpital Sainte-Justine, à la suite d’un accident qui a coûté la vie à sa mère, dimanche dans l’arrondissement de Saint-Laurent, un drame qui relance le débat sur les dangers que poseraient les conducteurs âgés, de plus en plus nombreux sur les routes.

Brigitte Mouralian et son fils ont été écrasés par un automobiliste de 90 ans alors qu’ils marchaient dans le stationnement d’un centre commercial.

Les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal ne savent toujours pas pourquoi le conducteur a frappé la mère et son garçon, qui marchaient devant sa voiture. Selon nos informations, ils privilégient pour le moment l’hypothèse de l’erreur humaine ou de la distraction, ce qui ne devrait donc pas mener à des accusations contre l’automobiliste.

La coroner Julie-Kim Godin se penchera de son côté sur les causes de la mort de Brigitte Mouralian, a confirmé hier le Bureau du coroner.

On ne sait pas si l’enquête de la coroner se penchera sur l’âge du conducteur. Cependant, au cours des dernières années, plusieurs enquêtes de coroners sur des accidents provoqués par des automobilistes âgés ont recommandé des améliorations au dépistage par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) des conducteurs qui peuvent être dangereux au volant en raison de leur état de santé.

L’âge d’or au volant

Il y avait 8430 conducteurs de 90 ans et plus sur les routes du Québec en 2016, soit trois fois plus qu’il y a 10 ans. Et 332 000 détenteurs de permis avaient plus de 75 ans. Leur nombre va continuer d’augmenter de façon exponentielle, ce qui fait de cette question un enjeu majeur de sécurité routière.

« Au cours des 10 prochaines années, un quart de million de personnes vont devenir des conducteurs âgés, parce que la population du Québec est vieillissante. »

— Gino Desrosiers, porte-parole de la SAAQ

À partir de 75 ans, les automobilistes doivent se soumettre à un examen médical et à un examen visuel pour conserver le droit de conduire. Si leur état de santé risque de nuire à leur capacité à prendre le volant, la SAAQ peut leur retirer leur permis ou leur imposer des conditions – par exemple, l’interdiction de conduire le soir ou l’obligation de porter un appareil auditif.

Le vieillissement de sa clientèle force la SAAQ à mener plus de contrôles : ils ont été presque deux fois plus fréquents en 2016 qu’en 2007. Sur les 332 000 conducteurs de plus de 75 ans détenant un permis en 2016, 140 000 (42 %) ont été soumis à un contrôle de la SAAQ, 74 400 (22 %) se sont fait imposer des conditions et 1000 (0,3 %) ont vu leur permis suspendu. « Près de 5000 personnes ont renoncé d’elles-mêmes à leur permis », note aussi Gino Desrosiers.

Après l’examen médical et visuel à 75 ans, un autre est obligatoire à 80 ans, puis tous les deux ans par la suite. « Après 90 ans, dans la majorité des cas, une des conditions au renouvellement est qu’il y ait une évaluation médicale chaque année », précise M. Desrosiers.

Des contrôles plus hâtifs ?

En 2002, la petite Sarah Labrecque, 5 ans, est morte en descendant de l’autobus qui la ramenait de l’école, dans le village de Scott, en Beauce, happée par la voiture de Gaston Rancourt, 76 ans. L’automobiliste ne s’est pas arrêté, malgré les feux clignotants du véhicule d’écoliers immobilisé et le panneau d’arrêt qui était déployé.

Dans son rapport sur l’accident, déposé en 2003, la coroner Andrée Kronström soulignait que M. Rancourt avait des problèmes neurologiques et visuels qui affectaient son comportement au volant. L’homme avait d’ailleurs eu plusieurs accidents au cours des années précédentes.

La coroner recommandait à la SAAQ de rendre obligatoire l’examen visuel à partir de 65 ans, et l’examen médical dès 70 ans. Cette recommandation n’a pas été adoptée.

Les médecins ont cependant été sensibilisés aux facteurs les plus importants à prendre en considération quand ils évaluent la capacité des patients à conduire, indique le porte-parole de la SAAQ, pour mieux cibler ceux qui peuvent représenter un risque.

Un autre rapport du coroner, publié en juillet 2017, demandait justement que la SAAQ déploie des efforts supplémentaires « dans le but de raffiner le dépistage de détenteurs de permis dont l’état de santé pourrait compromettre leur aptitude à conduire ».

La coroner Stéphanie Gamache se penchait alors sur les circonstances de l’accident au cours duquel Arthur Thériault, 90 ans, s’est engagé à contresens sur l’autoroute 30, près de Châteauguay, et a heurté de plein fouet le véhicule de Michael Lortie, 32 ans, en 20015. Les deux hommes sont morts sur le coup.

Dans un autre rapport déposé en 2016, à la suite de la mort d’un homme de 59 ans souffrant de graves problèmes cardiaques, le coroner Yvon Garneau avait quant à lui appelé la SAAQ à « déployer des efforts supplémentaires au niveau du dépistage des conducteurs à risque médical âgés de moins comme de plus de 75 ans ».

Se préparer à « accrocher ses clés »

Au-delà de l’âge, toute la population devrait être à l’affût des facteurs qui peuvent nuire à la capacité à conduire, souligne Marco Harrison, directeur de la Fondation CAA-Québec, qui fait de la sensibilisation à la sécurité routière.

« Même si la SAAQ exige un examen à 75 ans seulement, la famille et les proches doivent être attentifs aux signes avant-coureurs indiquant qu’une personne représente peut-être un risque au volant », dit-il. 

« Si une personne semble avoir de la difficulté à voir de loin, si elle raconte qu’elle se fait souvent klaxonner sur la route, ou faire des doigts d’honneur, si elle a des pertes de mémoire, c’est le moment de poser des questions. »

— Marco Harrison

La Fondation CAA-Québec organise depuis l’automne dernier des activités de sensibilisation dans les résidences pour personnes âgées autonomes. Des ateliers permettent aux conducteurs d’utiliser un simulateur de conduite pour expérimenter des situations stressantes sur la route, comme la façon d’aborder un carrefour giratoire. On offre aussi de revoir l’ajustement de la configuration intérieure du véhicule, comme la position du volant et du siège, et le positionnement des miroirs pour minimiser les angles morts.

Mais surtout, on tente de convaincre les conducteurs grisonnants de se préparer au jour où ils ne pourront plus conduire. « Accrocher ses clés est un geste très difficile à poser, qui est synonyme de perte d’autonomie, note Marco Harrison. Mais les gens doivent voir les alternatives, comme le transport en commun et le covoiturage. Et comprendre qu’ils pourront encore se déplacer. »

— Avec Daniel Renaud, La Presse

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