Musique/Délivrance d’Éric Lapointe

L’album de la maturité

À presque 50 ans, l’âge de la maturité a sonné pour l’éternel bad boy, maintenant papa de deux garçons. Et ça se sent sur ce nouvel album. On y retrouve les thèmes classiques de Lapointe – les femmes, les nuits d’excès –, mais le chanteur y célèbre aussi avec émotion les histoires d’amour heureuses et la paternité. Éric Lapointe serait-il devenu… serein ?

Il éclate de rire. « Je n’irais pas jusqu’à parler de sérénité. Une certaine maturité, oui. Les enfants aident beaucoup, dit-il. Il n’y a pas de virage, mais on est tous plus matures. Et moi, Stéphane Dufour, on n’est plus les gars de 25 ans qui se tenaient ensemble et faisaient le party à travers la province. On est deux pères de famille, nos vies ont changé. Et c’est la même chose pour toute mon équipe. »

« On est tous devenus pères en même temps. Ils ont tous arrêté de fumer en même temps. Sauf moi ! Je suis le dernier, plus personne n’a de feu dans la loge ! »

— Éric Lapointe

Quatre ans après la parution de Jour de nuit, on retrouve sur ce huitième album original son parolier fétiche, feu Roger Tabra, ainsi que son collaborateur de toujours, le guitariste Stéphane Dufour. Mais cet album porte surtout la marque de La voix, puisque Lynda Lemay et Michel Rivard, qui signent quatre chansons à eux deux, ont tous deux joué le rôle de mentors dans l’équipe Lapointe. Le chanteur y va également de deux duos aux côtés de participants de l’émission : Noémie Lafortune, une candidate de cette année, mais aussi Travis Cormier, devenu un membre à part entière du clan Lapointe.

Même s’il est mort depuis deux ans, le parolier Roger Tabra signe tout de même deux chansons sur cet album. « J’avais beaucoup de textes de Roger d’emmagasinés. J’en ai retrouvé plein, j’en retrouve encore, sa maison d’édition m’en a aussi envoyé. Je me suis fait un dossier. Une nuit, j’ai passé à travers, j’ai extrait les chansons les plus évidentes. Les deux premières qu’on a abordées, musicalement, ça a donné le résultat escompté. Roger, il est ici, il me regarde… », dit-il en montrant du doigt le portrait géant du parolier qui trône dans son studio. 

Sur le texte manuscrit de l’une de ces chansons, Tabra avait même noté que la chanson était destinée à Lapointe. « Il avait écrit au bas de la page : celle-ci est pour toi, bonhomme. »

Tabra hante à ce point la vie de Lapointe qu’il a connu un blocage d’écriture après sa mort. « Je traîne une espèce de léthargie à l’écriture depuis le décès de Roger. Oui, c’était mon mentor. Souvent, il regardait par-dessus mon épaule et je ressentais le besoin d’avoir son approbation quand j’écrivais un texte. S’il trouvait ça pourri, il me le disait. » Sur ce disque, Lapointe ne signe d’ailleurs qu’une chanson, Ma Rose, dédiée à sa conjointe actuelle.

Oui, Éric Lapointe est actuellement heureux en amour. Ce qui a donné des chansons… d’amour serein. Comme la ballade Belle folie ou Madame, écrites par Michel Rivard. « Même si j’ai beaucoup de collaborateurs au niveau lyrique sur cet album, ce sont tous des textes auxquels je m’identifie. Ça reste autobiographique. Et Belle folie, ça cadrait bien. C’est une ballade pas triste. Je suis en amour, et ça va bien, mais en général, j’ai de la difficulté à écrire quand ça va bien dans mon couple. J’attends qu’elle me laisse pour ouvrir les robinets… »

Il y a aussi des reprises sur cet album, comme L’envie, une chanson de Jean-Jacques Goldman popularisée par Johnny Hallyday. « Je n’aurais jamais osé l’interpréter de son vivant, dit Lapointe. Prenons ça comme un hommage à Johnny. » Mais aussi et surtout, le chanteur ose la reprise d’un immense classique du répertoire québécois : Le petit bonheur, de Félix Leclerc.

« Chaque soir, à l’heure du dodo, je fais un concert à mes enfants. Ça va de Elvis à Sinatra en passant par Vigneault. Depuis plus de deux ans, le concert doit absolument se terminer par Le petit bonheur. Jamais ils ne s’endorment sans avoir eu celle-là. Quand je leur ai dit que je mettais ça sur l’album, leur sourire valait des millions. Et c’était un très beau prétexte pour interpréter Félix Leclerc. En même temps, c’est risqué de s’attaquer à un monstre sacré. Tu veux l’interpréter à ta façon sans dénaturer l’œuvre. »

La présence des deux fils d’Éric Lapointe est décidément marquante sur cet album, qui se conclut avec Sans vous, un émouvant hymne à la paternité, de la plume de Luc de Larochellière. 

« Avec Luc, on a beaucoup jasé de paternité, lui aussi il vient d’avoir un enfant. Je lui ai dit que je n’en voulais pas au départ, mais que si je n’en avais pas eu, je serais passé à côté de ma vie. Cette phrase l’a frappé. Le lendemain, il m’a envoyé le texte de la chanson. C’était sorti d’un jet. C’est une chanson qui cerne bien l’émotion de plusieurs parents. » Et quand il la chante, que ressent-il ? « Je m’émeus moi-même ! », dit-il en riant.

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Éric Lapointe

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