Opinion

Le troisième lien et l’avenir de l’auto privée

Il est consternant de voir l’absence presque complète d’un portrait des exigences pour répondre au défi des changements climatiques dans les interventions de la société civile, voire de la société et des gouvernements.

On a vu une rare exception en 2012, quand la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEEQ) a calculé ce qui serait nécessaire pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement de 25 % pour 2020. Elle s’est penchée sur les quatre principaux secteurs d’activité d’où émanaient les émissions et a calculé ce qui constituerait une réduction de 25 % de ces émissions. 

1. Pour le secteur résidentiel, il faudrait convertir 100 000 logements encore chauffés au mazout ou au gaz naturel à l’électricité (sur environ 650 000 logements non chauffés à l’électricité).

2. Pour le secteur commercial et institutionnel, il faudrait convertir à l’électricité environ 31 000 bâtiments – fermes d’élevage, exploitations agricoles, bâtiments institutionnels, lieux de culte, hôpitaux et écoles.

3. Pour le secteur des transports, il faudrait retirer de la route ou convertir à l’électricité environ 2,1 millions d’automobiles ou camions légers (tout près de 50 % du parc).

4. Pour le secteur industriel, il faudrait réduire des deux tiers les émissions de l’industrie de l’aluminium.

Il n’y a eu presque aucune amélioration de la situation depuis 2012, avec une réduction globale depuis 1990 d’environ 9 %1. En 2019, nous travaillons avec le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui conclut2 qu’il faudrait une réduction des émissions mondiales de GES (maintenant augmentées) de 45 % pour 2030 pour éviter un réchauffement au-delà de 1,5°C (il faudrait une réduction de 25 % dans les émissions, pour limiter le réchauffement à 2°C). Pour simplifier, cela indique qu’il faudrait, dans le secteur des transports au Québec, retirer de la route ou électrifier environ 4 millions de véhicules pour atteindre l’objectif et éviter la catastrophe climatique dans un avenir rapproché.

Les pays riches doivent agir

On peut objecter que le Québec, en raison de son recours à l’hydroélectricité, est obligé de faire un plus grand effort que d’autres dans les secteurs d’où émanent les émissions. À cet égard, il semble raisonnable de répondre que le Québec est parmi les juridictions les plus énergivores du monde (en partie en raison de ses industries papetières et d’aluminium) et se classe, plus généralement, parmi les sociétés riches. L’intervention du GIEC cible clairement les pays riches, puisque les émissions proviennent d’eux et non de l’ensemble des pays. Finalement, les pays riches devront en général faire un plus grand effort que les pays pauvres, puisqu’ils sont de plus importantes sources d’émissions que les pays pauvres, historiquement et aujourd’hui ; la Chine chevauche les deux classements, mais cela ne change pas l’argument.

On peut aussi souligner que le Québec, parmi seulement quelques juridictions au monde, serait peut-être capable d’atteindre l’objectif d’une réduction de presque la moitié de ses émissions, entre autres en faisant électrifier la presque totalité de son parc de véhicules (environ 4,5 millions de véhicules), qui lui-même a été en augmentation pendant la période post-Kyoto. Et cela répondrait en partie à la situation où l’empreinte écologique du Québec, comme c’est le cas pour toutes les sociétés riches, est beaucoup trop élevée pour le maintien des écosystèmes.

La société aurait environ 15 ans pour passer à cette transition radicale, soit la durée de vie du parc automobile, et la « transition » pourrait se faire avec une législation qui prévoit la disparition soit du parc d’automobiles mues à l’essence, soit du parc d’automobiles tout court (on voit Catherine McKenna, ministre fédérale de l’Environnement, indiquer que le Canada aura comme objectif la disparition des véhicules à essence d’ici 2040, mais cela n’a aucun lien avec les exigences du GIEC, dont l’échéancier).

Ce qui est clé dans le choix entre ces deux options est le fait que la très grande majorité des pays riches qui pourraient suivre le Québec dans l’électrification de leurs parcs de véhicules d’ici 2030 auraient recours à une électricité venant en bonne partie du charbon ou du gaz, et cela compromettrait grandement l’efficacité de l’électrification dans l’atteinte des objectifs nécessaires selon le rapport du GIEC.

On voit que c’est la deuxième option qui s’impose, au Québec et ailleurs, soit l’abandon de l’automobile privée comme moyen principal de transport personnel.

Même si cette option nécessite presque sûrement l’intervention de l’État, elle rejoint différemment le scénario de l’auteur Tony Seba – à ne pas exclure –, qui projette la quasi-disparition des véhicules privés en raison du caractère perturbateur des véhicules électriques autonomes3. Finalement, Seba aboutit à une réduction de 75 % du nombre de véhicules sur la route en 2030, répondant à un autre élément des défis de la « transition », soit la réduction massive de notre consommation de ressources.

Cette réduction répondrait de façon magistrale à la congestion qui est derrière le projet de troisième lien. Les promoteurs de ce projet ne tiennent compte ni des véritables exigences d’un effort pour contrer la perte de contrôle des changements climatiques, ni des tendances de fond qui indiquent que la congestion routière va se régler d’ici 15 à 20 ans par une diminution radicale des véhicules sur les routes en raison de pics de pétrole (conventionnel), de charbon et même de gaz – ou ne se réglera tout simplement pas.

À moins de prendre comme point de départ que les scientifiques qui nous guident, entre autres par le truchement des travaux du GIEC, se trompent dans leurs analyses et dans leurs projections. Nous n’avons pas de guide pour l’autre option, et les intervenants de la société civile ne nous fournissent même pas un bon portrait de ce qui est nécessaire pour la première, comme cet article cherche à le faire…

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