RÉTROSPECTIVES 2016

L’original, meilleur que la copie ?

Au cours des deux ou trois dernières années, j’ai souvent entendu des gens dire que l’émission spéciale de fin d’année d’Infoman les avait fait beaucoup plus rire que le Bye bye. Ce commentaire, je l’ai encore entendu cette année. Malgré les moyens colossaux dont dispose l’équipe du Bye bye, l’émission présentée par Jean-René Dufort séduit une tranche de la population par sa simplicité et son côté franc et direct. Quand la sottise distrayante est à portée de main, pourquoi prendre une échelle pour aller la cueillir ?

Ce plaisir, je l’ai également éprouvé en écoutant le Bêtisier 2016 qu’Olivier Niquet a présenté pour la toute première fois sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première le 31 décembre. Cet assemblage judicieux de citations colorées et de lapsus désopilants a été un délice et doit désormais constituer une tradition pour la radio publique.

Parmi les « victimes » de Niquet, on retrouvait les incontournables Éric Duhaime, Richard Martineau, Isabelle Maréchal, Jeff Fillion, Sam Hamad et Mélanie Joly. Remercions-les ! La bêtise des gens « intelligents » est tellement plus fascinante que celle des gens ordinaires.

Répandue partout dans le monde, la formule du bêtisier est très populaire. Les Britanniques en ont une version fort réussie qui est présentée cinq ou six fois par année à la télé publique de la BBC. Wipe est animée par Charlie Brooker, l’auteur et journaliste à l’origine de la série Black Mirror. L’émission spéciale qui résume l’année 2016 est hilarante à souhait. Le Brexit y occupe évidemment beaucoup de place, de même que l’élection de Donald Trump. Rien n’est épargné, même pas l’intouchable Élisabeth II.

Après 27 ans à l’antenne de Canal+ en France, l’émission culte Zapping a pour sa part été retirée des ondes en juin dernier. C’est le nouveau patron de la chaîne, Vincent Bolloré, qui a pris cette décision. Vertement critiqué dans Zapping pour ses réformes de Canal+, ce dernier a licencié le créateur de l’émission, Patrick Menais, après l’avoir inscrit sur une « liste noire » avec d’autres collègues. On a appris récemment que France 2 va récupérer cette émission impertinente dans une nouvelle formule à compter du 16 janvier.

La formule du bêtisier est hautement efficace. Il semble toutefois que les personnes concernées trouvent qu’être ridiculisées par l’entremise d’un moment arraché à la réalité fait plus mal qu’un sketch interprété par des comédiens. La ministre Hélène David, qui se (re)voit en train de se fouiller dans le nez, doit trouver la chose plus difficile que de regarder un comédien recréer ce moment « malaisant ».

Les bêtisiers sont appréciés du public, car la bêtise y apparaît à l’état brut. Elle ne se cache pas derrière des perruques, des maquillages ou des prothèses. Elle est là, toute nue, toute crue, sortant de la bouche de ses auteurs. Elle apparaît dans toute sa splendeur, toute son ignominie. Comment une telle chose peut-elle sortir de la bouche de quelqu’un, se demande-t-on ?

Je n’ai rien contre la critique sociale qui provient des parodies. Elle a sa place et doit demeurer, d’autant plus qu’elle fait évoluer de très nombreux créateurs (auteurs, comédiens, décorateurs, etc.). Mais l’approche du bêtisier a ceci de particulier qu’elle peut donner à un aspect totalement anodin une dimension et une attention qu’il n’aurait pas autrement. C’est l’éclairage qu’on braque sur la petite phrase maladroite que je trouve intéressant. C’est pourquoi le rôle du présentateur est primordial. Il pose son crayon surligneur jaune sur des propos malhabiles ou stupides, il arrête le magnéto sur un moment gauche et le repasse au ralenti pour nous en faire sentir toute la vulgarité et la débilité.

Se battre contre la bêtise humaine est un défi insurmontable. On ne pourra jamais l’empêcher d’exister. En attendant, utilisons le rire pour nous prémunir contre elle, pour nous en éloigner, pour mieux l’accepter.

Au fond, la bêtise est utile. Elle nous permet de comprendre beaucoup de choses dans la vie. Elle nous permet d’apprécier ceux qui disent des choses sensées. Merci, les bêtes !

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