OPINION LÉGALISATION DE LA MARIJUANA

Le droit à la peine la moins sévère

Le gouvernement doit assurer à la population que des Canadiens ne subiront plus de sanctions pénales pour une activité devenue légale

Le gouvernement de Justin Trudeau a annoncé mercredi son intention de légaliser la possession et le commerce du cannabis au printemps 2017.

Si cette déclaration nous réjouit, notamment parce qu’aucune personne ne sera désormais criminalisée pour une activité de plus en plus considérée comme banale, il y a lieu de se demander ce qu’il adviendra des consommateurs et des vendeurs de cannabis qui subissent actuellement des sanctions pénales.

Le premier ministre Trudeau doit sérieusement songer à leur accorder un pardon et à faire adopter une loi amnistiant ceux qui n’ont pas encore été déclarés coupables.

Ce serait agir contre l’esprit de la justice que de laisser des personnes vivre avec le fardeau d’un casier judiciaire et le stigmate social qui l’entoure alors que l’infraction sera bientôt légalisée, fardeau qui touche d’ailleurs de manière disproportionnée les membres de communautés pauvres. Quelle est la différence morale entre posséder ou vendre du cannabis aujourd’hui, maintenant que sa légalisation est annoncée, ou en 2017 ?

D’ailleurs, une personne arrêtée aujourd’hui qui serait appelée à procès en 2017, après la légalisation du cannabis, devra nécessairement être exonérée. En effet, l’article 11i) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit qu’un inculpé doit « bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence ». Si, une fois le cannabis légalisé, la peine la moins sévère devient l’absence de peine, l’exonération sera inévitable.

SUS AU CASIER JUDICIAIRE

Or, une personne ayant fumé de la marijuana quelques années plus tôt devrait bénéficier de la même considération. Pourquoi maintenir le lourd fardeau d’un casier judiciaire sur les épaules d’une personne qui a consommé du cannabis en 2012, par exemple, alors que tout sera légalisé en 2017 ?

En campagne électorale, Justin Trudeau déplorait lui-même qu’un trop grand nombre de Canadiens se retrouvent avec un casier judiciaire pour possession de petites quantités de cannabis. Alors, pourquoi ne pas alléger ce fardeau rétroactivement ? Pire, pourquoi laisser en prison une personne pour vente de cannabis au même moment où l’activité est légalisée à l’extérieur de la prison ?

Évidemment, ce ne sont pas tous les vendeurs qui devraient être pardonnés. On évitera, par exemple, de libérer les vendeurs qui ont eu recours à la violence au moment de l’infraction.

Cependant, on ne peut pas dire à l’inverse que tous les petits vendeurs de cannabis doivent rester en prison. Le gouvernement fédéral doit assurer à la population que des Canadiens ne subiront plus de sanctions pénales pour une activité devenue légale.

Le premier ministre Trudeau doit agir rapidement pour diminuer le préjudice vécu par les consommateurs et les vendeurs criminalisés. L’article 748 du Code criminel permet déjà au gouvernement fédéral d’accorder un pardon à toute personne déclarée coupable d’une infraction. Voilà une mesure qui peut être mise en place dès maintenant pour sortir de prison des consommateurs et des vendeurs de cannabis. 

Le gouvernement peut aussi appliquer ce pardon de manière sélective pour éviter, par exemple, de pardonner des criminels ayant vendu de la drogue près d’une école. Ensuite, pour ceux qui n’ont pas encore été déclarés coupables, le gouvernement fédéral devrait adopter une amnistie, qui peut elle aussi être sélective, afin qu’aucun consommateur ou vendeur ne soit poursuivi pour une infraction bientôt révolue.

Sans cette amnistie, le gouvernement fédéral pourra difficilement interdire les poursuites criminelles qui relèvent plutôt du pouvoir des gouvernements provinciaux. Jeudi dernier, la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, a d’ailleurs averti qu’elle n’abandonnera pas les poursuites pour possession de cannabis actuellement en cours. Cette amnistie aurait aussi l’avantage de reconnaître symboliquement que l’usage du cannabis n’a plus à être stigmatisé socialement et qu’il doit maintenant être admis dans la famille des drogues légales comme l’alcool et la cigarette.

En somme, des Canadiens vivent avec le fardeau de conséquences pénales, incluant parfois des sentences pénitentiaires, pour une activité bientôt légalisée. Afin d’éviter l’injustice, Justin Trudeau doit leur accorder un pardon et une amnistie, au moins à ceux dont le crime n’est pas entaché de facteurs aggravants. Il doit agir dès maintenant pour assurer à la population que le Canada prendra toutes les mesures nécessaires pour enlever le stigmate autour de la consommation de cannabis.

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