À l’étude

Le silence du suicide

La moitié des parents d’adolescents qui pensent au suicide ignorent tout de leurs souffrances, selon une nouvelle étude américaine. Et parmi ceux qui en parlent à leurs parents, la majorité ne se confient pas à leur médecin de famille. Ce silence explique en partie la difficulté de réduire le taux de suicide à cet âge.

Le contexte

Le taux de suicide chez les adolescents est en hausse aux États-Unis. « Ça nous pousse à trouver comment le prévenir et à mieux comprendre comment il survient », explique Rhonda Boyd, psychologue à l’Université de Pennsylvanie et à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie (CHOP). « On sait en fait très peu de choses sur les signes avant-coureurs et comment l’entourage des ados les perçoit. C’est un âge charnière où les parents et le médecin de famille ont graduellement de moins en moins d’informations, mais où le patient n’est pas encore capable de prendre soin de lui-même. » Chez les 15 à 24 ans, le taux de suicide pour les femmes est légèrement plus bas aux États-Unis qu’au Québec, où il est en légère hausse depuis 10 ans, mais pour les hommes il est presque deux fois moins élevé au Québec, grâce à une baisse rapide depuis le début du millénaire.

La genèse

Mme Boyd a épluché les données de la cohorte neurodéveloppementale de Philadelphie, qui suit 10 000 patients depuis 2011 – ils avaient entre 8 et 21 ans au début de l’étude. « Nous avons beaucoup de données cliniques, notamment des entretiens avec les patients et leurs parents, dit la psychologue américaine. Nous nous sommes concentrés sur un comportement plus fréquent que le suicide, mais étroitement lié : le fait de penser au suicide. Nous avons aussi étudié les pensées de mort [penser à la mort en général, à des cadavres ou à des gens en train de mourir, par exemple], un autre comportement lié, mais plus lointainement, au suicide. Ça n’avait jamais été fait avec un échantillon aussi grand et relativement représentatif de la population. » Plusieurs études ont montré que 30 % des personnes qui songent au suicide font une tentative par la suite.

Ce que révèle l’étude

Un adolescent sur douze a déjà pensé à se suicider et un sur six a eu des pensées de mort. Le hic, c’est que les parents l’ignorent généralement – dans un cas sur deux pour les pensées de suicide et dans trois cas sur quatre pour les pensées liées à la mort. L’inverse est aussi vrai : un adolescent sur deux qui s’est confié à ses parents sur ses pensées de suicide les a niées par la suite à son médecin. « Ça confirme la nécessité pour le médecin de parler aux parents, dit Mme Boyd. Souvent, à l’adolescence, les médecins évitent les parents pour préserver la confidentialité du dossier du patient et le lien avec celui-ci, mais pour prévenir le suicide, ça semble être une erreur. » Même chez les parents dont l’enfant prend des médicaments psychoactifs comme des antidépresseurs, le quart ignorent que leur enfant a des pensées suicidaires.

Et maintenant ?

Outre des recommandations cliniques aux médecins de famille, les psychologues de Philadelphie veulent maintenant étudier les caractéristiques des patients qui cachent à leurs parents qu’ils songent au suicide. « Les garçons et les enfants plus jeunes sont particulièrement susceptibles d’être silencieux sur le sujet, dit Mme Boyd. Il faut donc avoir des stratégies de communication différentes. Les garçons plus jeunes en particulier semblent manquer de moyens pour élaborer leur pensée. » Les caractéristiques des patients qui nient ou oublient leurs pensées suicidaires sont aussi sur l’écran radar des chercheurs.

Taux de suicide chez les personnes âgées de 15 à 24 ans au Québec

16,1 par 100 000 hommes

en 2009

11,6 par 100 000 hommes

en 2015

6,5 par 100 000 femmes

en 2009

7,7 par 100 000 femmes

en 2015

Source : Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)

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