MUSIQUE ÉLECTRONIQUE

À retenir du 19e MUTEK

Hormis les prestations annoncées dans nos pages à travers nos interviews réalisées dans le cadre du 19e MUTEK, qui s’est conclu au petit matin – on pense à l’Espagnole JASSS, au collectif russe Tundra, aux tandems mexicains Interspecifics et CNDSD/Iván Abreu, ou encore à l’Autrichienne Electric Indigo –, voici sept autres coups de cœur.

Equiknoxx, SAT, mercredi

Choisi dans la sélection des meilleurs albums électros 2017 de La Presse, le collectif électro Equiknoxx a fait mercredi une première apparition à MUTEK. De Kingston, en Jamaïque, l’ensemble déborde ainsi le cadre antillais ou world, traverse les frontières stylistiques en proposant sur scène une approche fort intéressante, sorte de dub transgressé dans un univers électronique transculturel. On avait découvert Equiknoxx en 2016 avec l’excellent enregistrement Bird Sound Power, les Jamaïcains Gavin Blair (Gavsborg) et Jordan Chung (Time Cow), auxquels se joignent Shanique Marie, Kemikal, Bobby Blackbird, ont ensuite engendré ce Colón Man. De par leurs influences électroniques atypiques pour les corpus dub et dancehall, les riddims au programme s’inscrivent dans de nouvelles tendances électroniques afro-britanniques, au-delà des courants dominants dans l’île que l’on peut aisément identifier dans leur art. Voilà une autre preuve de cette capacité jamaïcaine à se réinventer, à fournir de nouveaux influx créatifs. Sur scène, les racines antillaises sont encore plus évidentes, la présence dynamique de la front woman Shanique Marie est d’ailleurs un facteur important de cette filiation culturelle.

Caterina Barbieri, SAT, jeudi

La direction artistique de MUTEK avait dit beaucoup de bien de cette Italienne transplantée à Berlin et… c’était plus que justifié. Guitariste classique et électroacousticienne de formation, Caterina Barbieri peut compter sur une expertise mélodico-harmonique lui permettant de constituer un corpus consonant malgré la richesse texturale de ses propositions électroniques et de ses choix judicieux de sons électroniques — souvent analogiques. Très présents dans les ornements des enchaînements au programme, les éléments bruitistes et atonaux ne l’emportent pas sur la tonalité et la modalité de ses musiques, mais leur confèrent une grande singularité. Qui plus est, les couleurs musicales de Caterina Barbieri ne sont pas en rupture avec plus d’un demi-siècle d’électro et de musique contemporaine instrumentale, et donc l’équilibre entre les balises connues et l’innovation produit un effet fédérateur pour le public médian de MUTEK — qui a un pied dans une électro ancrée dans les références populaires et un autre dans les avant-gardes plus conceptuelles. Excellente compositrice, Barbieri sait user des montées dramatiques et paroxysmes essentiels aux meilleurs impacts émotionnels. Sans aucun doute une découverte majeure de ce 19e MUTEK.

Aleksi Perälä, MTelus, vendredi

L’orientation techno de la soirée de vendredi au MTelus a été dominée par la généreuse prestation du Finlandais (résidant du Royaume-Uni) Aleksi Perälä. Sa techno est superbement maîtrisée, assortie d’insertions diverses, on pense notamment à la jungle ou au Chicago juke, à ces constructions harmoniques ingénieusement surperposées ou ces épaisses brumes texturales qui confèrent un galbe très élégant à ses propositions. Avec le cofondateur de Rephlex, Grant Wilson-Claridge, il s’est lancé dans des expériences qui amalgament théorie de la musique, philosophie, science et mysticisme. La paire a aussi inventé un système d’accord microtonal nommé Colundi. Perälä a certainement atteint une grande maîtrise en liant les matériaux de ses édifices de manière aussi cohérente. De plus, les projections imaginées par l’artiste québécoise Push 1 Stop pour cette performance ont fort bien complété la proposition du musicien. Superbes amalgames de fils ou autres structures géométriques multicolores projetés sur les décors prévus par MUTEK, voilà un remarquable travail d’équipe.

Robin Fox, Monument-National, samedi

Bien au-delà des effets spéciaux destinés aux spectacles de masse, le laser et l’art visuel numérique peuvent séduire des auditoires plus restreints dans des amphithéâtres plus petits comme le Monument-National, dont les salles ont été réservées par MUTEK ces derniers jours. On a eu droit à des expériences visuelles parfois ennuyeuses et prévisibles, pendant que d’autres offraient des amalgames concluants entre l’image, le son et la projection au laser. Les images et rayons du collectif russe Tundra, par exemple, étaient remarquables, quoique la musique ne comportait rien de conceptuellement inédit. On retient notamment les travaux de Falaises, soit les artistes sonores montréalais Alexis Langevin-Tétrault et Guillaume Côté et l’artiste visuel numérique Dave Gagnon, très puissant dans la spatialisation du son et des images. On se souviendra aussi de Single Origin, signée Robin Fox, le troisième volet de synesthésie technologique impliquant lasers et musique. Des musiques de synthèse particulièrement rudes entraient en collision avec des mitrailles de rayons et d’effets paraboliques, illustrant une interaction complexe en temps réel entre son et image. Ce déclenchement mutuel reproduisait effectivement toutes les caractéristiques de la synesthésie. En pleine gueule !

Lanark Artefax, SAT, samedi

Applaudi sur les scènes d’Europe ces derniers mois, le vingtenaire écossais Lanark Artefax, Calum MacRae de son vrai nom, a proposé samedi une prestation multipolaire, créée autour d’un écran rectangulaire disposé à la verticale, autour duquel le son empruntait de multiples pistes stylistiques. Les références de ce pianiste de formation, reconverti à la littérature avant d’opter pour les arts numériques, sont très variées : en toute fluidité, il passe de l’électroacoustique institutionnelle à la techno expérimentale, aussi par le broken beat, les musiques vocales, le jazz moderne, ou encore par toutes ces familles britanniques liées aux traditions dub, jungle, drum & bass ou dubstep. On ne s’étonne pas que Lanark Artefax ait été remarqué par des superstars au goût certain, on pense à Björk et Aphex Twin, et qu’il ait aussi enregistré pour UIQ, l’étiquette du prolifique Lee Gamble. Ce n’est qu’un début, s’empressera-t-on d’ajouter.

Line Katcho, Monument-National, vendredi, et SAT, samedi, avec Fake Electronics

En mars dernier au Centre Phi, on avait remarqué la Montréalaise Line Katcho, soit dans le cadre de la soirée Kohlenstoff A/V_Experience, gracieuseté de ce label indépendant où elle a lancé deux enregistrements, Pulsions et Totem Electric II. On a appris ce week-end que plusieurs directions artistiques de haut niveau s’intéressent à son art, à commencer par celle de MUTEK. Et pour cause : rigueur, perfectionnisme, inspiration. Vendredi soir au Monument-National, elle a présenté la performance audiovisuelle Immortelle, corrélation métaphorique entre image et sons, évocation de la relation paradoxale entre l’humain et son environnement. Samedi soir, elle se trouvait à la SAT afin de fournir en direct la portion visuelle d’une performance réalisée de concert avec le Montréalais Fake Electronics, Jesse Morrison de son vrai nom. Encore là, on a observé son talent évident à créer des images parfaitement assorties au contexte sonore. Vivement la suite !

Acid Pauli, Satosphère, dimanche

Pour sa « piste d’atterrissage », le 19e MUTEK avait prévu hier une déconstruction de l’œuvre de notre Leonard Cohen. Cette évocation audiovisuelle était signée Martin Gretschmann, alias Acid Pauli. Microfragments de chants au programme, très courts extraits de mélodies et d’arrangements, citations d’interviews triées sur le volet. Jamais de superflu au programme de cet artiste allemand passé maître dans les odyssées sonores, tout épais beurrage était exclu dans cette subtile entreprise audiovisuelle. Le dôme de la Satosphère était traversé par des motifs blancs sur fond noir, voie lactée d’un autre type pour un poète d’un autre type. Le calme sombre, la sagesse dépressive, la clairvoyance tragique, la pensée lumineuse de Cohen ont été bien servis par Acid Pauli.

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