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Tous aux vestiaires !

De plus en plus de piscines municipales au Québec se dotent de vestiaires universels, où tous les usagers se côtoient et où la nudité est proscrite. Malgré quelques insatisfaits, le concept fait son chemin et apporte son lot d’avantages, selon plusieurs. Explications.

Un vestiaire quoi ?

À la piscine Lévesque, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, tous les baigneurs convergent vers le même vestiaire avant d’accéder à la piscine. Après plusieurs mois de chantier pour la mise aux normes d’accessibilité universelle, l’établissement montréalais est devenu en avril le premier en ville à se munir de ces installations mixtes. Vestiaires « universels », « uniques », « neutres », « mixtes »… Les termes varient, mais le concept est simple : une aire partagée, accessible à tous. Chaque usager doit se changer à l’intérieur de cabines individuelles cloisonnées et la nudité y est strictement interdite dans la zone commune, dont les douches font partie. Finalement, certains murs sont stratégiquement vitrés, afin de faciliter la surveillance. Dans la plupart des piscines municipales au Québec, les zones pour se changer sont encore rigoureusement définies : les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, et, parfois, un vestiaire familial. Mais « la tendance est en train de changer » et les vestiaires universels se multiplient, note Lucie Roy, présidente de l’Association des responsables aquatiques du Québec (ARAQ).

Pourquoi des vestiaires uniques ?

Pour l’inclusion, pour la sécurité et pour l’aspect pratique, principalement, explique Mme Roy, de l’ARAQ. Les vestiaires uniques sont non genrés, un plus pour que tous s’y sentent inclus. Les familles pourraient être réunies au même endroit. Lors de sorties scolaires, plus besoin de séparer le groupe en deux et personne ne sera sans supervision. Les choses sont facilitées pour les personnes à mobilité réduite et leurs aidants. À Montréal, la Ville affirme amorcer « un virage pour l’équité et l’inclusion pour tous les groupes de citoyens dans tous ses projets, programmes et services municipaux ». Le projet de vestiaires uniques découle d’une approche appelée « analyse différenciée selon les sexes et plus », qui permet de « faire des gestes qui rendent Montréal plus juste, plus inclusif et plus solidaire », explique Camille Bégin, relationniste pour la Ville.

Un concept qui a la cote

Gagnant rapidement en popularité, les vestiaires mixtes sont maintenant adoptés par plusieurs municipalités partout dans la province, explique Mme Roy. Ils ont fait leur apparition très récemment au Québec, « il y a deux ou trois ans », dit-elle. De nos jours, « ça devient une pratique courante et la tendance est en train de bien s’installer ». On trouve maintenant des installations du genre partout dans le monde. Au Canada, mais aussi en Europe, la tendance des vestiaires universels est de plus en plus généralisée. En Belgique, en Allemagne, en France, en Suisse et dans les pays scandinaves, entre autres, elle a fait son apparition bien plus tôt qu’au Québec. À Paris notamment, on dénombrait déjà plusieurs installations dotées d’un vestiaire unique au début des années 2000.

Où sont les vestiaires uniques au Québec ?

Après la piscine Lévesque, au cours des 10 prochaines années, les vestiaires universels feront leur apparition au nouveau complexe aquatique de Rosemont–La-Petite-Patrie, dont l’ouverture est prévue en 2020, mais aussi à Pierrefonds-Roxboro et à Verdun, indique Camille Bégin, relationniste pour la Ville de Montréal, en ajoutant que le Programme aquatique de la métropole prévoit que « tous les futurs projets de complexe incluent des vestiaires universels » à partir de maintenant. L’implantation de nouveaux vestiaires dans des installations déjà existantes implique d’importants investissements, « mais lorsqu’il y a des travaux qui sont faits, la majorité du temps, on en profite pour faire les cloisons différemment et créer des vestiaires uniques », explique Lucie Roy. Sur la Rive-Sud, le nouveau complexe aquatique de Brossard, dont l’ouverture est prévue pour 2020, inaugurera le premier vestiaire universel de la municipalité.

Les pour et les contre

Lucie Roy admet avoir « entendu parler de certaines insatisfactions » concernant les vestiaires universels. Certaines personnes ont « une sensibilité différente à tout ça et c’est tout à fait normal, avance-t-elle. Quand on a une réglementation, ça restreint nécessairement la liberté de la personne. Mais pour le bien du vivre-ensemble, on doit installer ces règles ». Certains ne sont pas à l’aise à l’idée de partager cet espace avec des personnes du sexe opposé. D’autres sont plutôt insatisfaits de ne plus avoir le droit de se dénuder. « Avant, les vestiaires étaient un lieu de détente, un endroit où on faisait un sauna, où on prenait ça relax. Les gens qui sont mécontents, c’est ceux qui avaient cette relation-là avec le vestiaire », explique Sophie Morin, sexologue et psychothérapeute, qui a donné la semaine dernière une conférence proposant de réfléchir aux normes socio-sexuelles dans les milieux aquatiques, lors du symposium des membres de l’ARAQ. La municipalité de Brossard a décidé en novembre 2017 d’interdire toute nudité dans les vestiaires de ses piscines, après des plaintes de citoyens, et un débat houleux a suivi. Le concept des vestiaires uniques est d’ailleurs beaucoup associé à l’interdiction de la nudité, un « bémol » selon Mme Morin. « Le but n’est pas de dire que la nudité est un problème, note-t-elle. C’est juste qu’il est beaucoup moins cher et beaucoup plus pratique pour la réalité d’aujourd’hui de construire un grand vestiaire universel. »

Un pas vers l’inclusion

Cette nouvelle façon de faire présente une bonne solution pour les personnes trans, notamment, qui auront accès à un espace non genré et n’auront plus la crainte qu’on leur reproche d’avoir choisi le vestiaire assigné au genre auquel elles s’identifient, affirme Marie-Pier Boisvert, porte-parole et directrice générale du Conseil québécois LGBT. « Avoir cette option-là, c’est sans aucun doute très positif, ajoute-t-elle. Ça leur permet de ne pas avoir à se justifier ou à demander une permission, ce qui est stressant. » Elle atteste qu’en général, les personnes trans « ne vont pas à la piscine », car elles tentent d’attirer le moins d’attention possible. De tels endroits peuvent incarner une grande source d’angoisse. « Ceux qui continuent d’utiliser les vestiaires publics, c’est parce qu’ils connaissent bien le milieu ou parce qu’ils n’ont pas le choix, pour l’école par exemple », ajoute Mme Boisvert. L’accès supplémentaire que procurent les vestiaires universels dans l’espace public municipal représente ainsi un pas de plus pour le bien-être des personnes trans et « pour toute personne qui ne se conforme pas au stéréotype de genre ».

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