100 idées pour améliorer le Québec Prorité à la santé

D’énormes retards à combler

Au début de l’année, la Coalition avenir Québec a découvert, avec des données qu’elle avait réussi à obtenir grâce à la Loi d’accès à l’information, que le Québec n’avait pas atteint sa cible d’inscriptions auprès d’un médecin de famille.

Dans un monde normal, la CAQ n’aurait pas dû avoir à se battre pour obtenir ces données. Comme l’inscription à un médecin de famille est l’un des grands objectifs du gouvernement, qui suscite un grand intérêt, l’information aurait dû être disponible pour tous, en temps réel, de façon visible et accessible, par exemple avec un thermomètre comme le font les campagnes de financement pour montrer où elles en sont rendues.

Mais à ce chapitre, le Québec, quand on le compare à d’autres sociétés, n’est pas un monde normal. D’abord, parce qu’il règne une culture de l’opacité dans le monde de la santé. Ensuite, parce que nous souffrons de sérieux retards dans la collecte des données et dans le développement des technologies de l’information.

Et c’est grave, parce que l’information, ce n’est pas seulement pour satisfaire la curiosité des journalistes ou les intentions malveillantes des partis de l’opposition ! C’est un outil puissant pour améliorer les services à la population et la qualité des soins, pour innover et rendre le système plus performant. Assez pour que cela doive devenir une de nos grandes priorités dans les années à venir si nous voulons réussir à faire plus et mieux avec les ressources dont nous disposons.

C’est un objectif qui englobe bien des choses : l’information destinée aux citoyens, l’information sur les patients, l’information sur les pratiques, et la capacité d’utiliser cette information pour analyser et améliorer le système. On va les prendre une à une.

En commençant par la base. Dans un système qui, en principe, est au service des citoyens, une des premières obligations devrait être d’informer ces clients, pour les aider dans leurs choix, pour leur donner les outils leur permettant d’évaluer les services qui leur sont offerts et d’exprimer leurs attentes et leurs opinions. Par exemple, pour choisir des urgences où les attentes sont moins longues ou pour comparer les hôpitaux.

Grande-Bretagne et Australie

Le National Health Service britannique, par exemple, sur la page d’accueil de son site web, propose des outils qui permettent aux citoyens de connaître les temps d’attente pour une grande variété de soins, des urgences au remplacement de hanches. Il propose aussi un classement des hôpitaux, un peu comme TripAdviser, avec la cote décernée par les patients, les évaluations des organismes d’inspection, les taux de mortalité et même la qualité de la nourriture !

Mais ces informations ont une autre fonction : comparer les établissements, mesurer les progrès et les reculs, identifier les carences. Elles servent donc à mettre de la pression sur les administrations et les forcer à s’améliorer. C’est dans cet esprit, par exemple, que l’État du New South Wales, en Australie, où se trouve Sidney, à la suite des recommandations d’une commission d’enquête sur de graves bavures hospitalières, a créé son Bureau of Health Information. Cet organisme indépendant publie des rapports, des bilans, maintient une base de données à jour sur les hôpitaux, les temps d’attente, les mesures de performance.

Le deuxième niveau, c’est l’information sur le patient.

Après des délais et des dépassements de coûts spectaculaires, le Québec s’est ressaisi avec la mise en place progressive du Dossier santé Québec, où les professionnels ont accès à certains résultats – analyses, imagerie, prescription.

Les progrès sont réels, mais il faudra énormément de travail, d’argent et de temps pour que la numérisation donne pleinement ses fruits – éliminer le papier, donner un accès facile à l’information pertinente, éviter les duplications, faciliter la communication entre professionnels, fournir des outils d’analyse. Mais il y a encore des télécopieurs, notamment dans les pharmacies, encore des documents qu’il faut imprimer et numériser parce que les réseaux informatiques sont incapables de communiquer entre eux.

Le troisième niveau, c’est l’information clinique, qui permet d’analyser les procédures adoptées par les médecins, les choix de prescription, pour en arriver à encourager les meilleures pratiques, ce que fait l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Mais il y a encore des tonnes de choses qu’on ne sait pas. On l’a vu, par exemple, à l’incapacité du ministère de comparer la rémunération des médecins québécois et ontariens. On ne savait rien non plus sur l’ampleur des frais accessoires. On sait peu de choses aussi sur le coût des épisodes de soins, une lacune que le ministre Gaétan Barrette veut combler en lançant des projets-pilotes avec des cliniques privées.

Enfin, le quatrième niveau, c’est de pouvoir traiter cette information, de s’en servir pour mieux analyser le système de santé, et de le faire de façon scientifique, et non indépendante. Et là, la résistance est forte. On la voit au refus de la Régie de l’assurance-maladie de donner accès à ses données, à la fermeture du bureau du Commissaire à la santé et au bien-être.

Pourquoi ce retard, ce refus ? Parce que bien des gens profitent de cette opacité. Le gouvernement, dans un monde où le débat sur la santé est hyperpolitisé, qui veut éviter que l’information fournisse des munitions qui l’accableront. Le monde médical qui, en contrôlant l’information, assure son pouvoir sur le système. Le réseau, qui veut éviter d’être évalué et soumis au jugement public.

Le résultat, c’est qu’à l’ère de l’intelligence artificielle, la santé, au Québec, n’est même pas encore vraiment entrée dans l’ère numérique.

Quand il s’agit de leur santé, un bien pourtant essentiel, les Québécois ne disposent pas des outils qui, dans leur vie quotidienne, leur permettent de commander un taxi, de voyager, d’acheter des bobettes, de se faire livrer des pizzas ou de gérer leurs finances personnelles.

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