Étude

Des probiotiques contre le C. difficile ?

Donner des probiotiques à tous les adultes hospitalisés qui reçoivent des antibiotiques :  c’est l’idée lancée par certains chercheurs pour réduire les infections à C. difficile. La proposition ne fait cependant pas l’unanimité, et le ministère de la Santé du Québec attend des données plus « probantes » avant de lancer une telle recommandation dans l’ensemble du réseau. Le point en quatre questions.

Les probiotiques fonctionnent-ils vraiment contre le C. difficile ?

Ça semble bel et bien être le cas. Cette idée est dans l’air depuis plusieurs années, mais les études n’étaient pas toutes concluantes. Pour en avoir le cœur net, la chercheuse Nicole T. Shen, du Weill Cornell Medical College, à New York, a entrepris de compiler toutes les données existantes dans une méta-analyse. Elle a scruté 19 études totalisant 6261 patients, dont environ la moitié a pris des probiotiques à l’hôpital. Verdict : la proportion d’infection à C. difficile chez ceux qui ont pris des probiotiques s’élève à 1,6 %, comparativement à 3,9 % pour ceux qui n’en ont pris aucun. Il s’agit différence de près de 60 %.

Comment les probiotiques luttent-ils contre l’infection ?

C’est très souvent chez les patients qui reçoivent des antibiotiques que le Clostridium difficile, surnommé C. difficile, provoque des infections. C’est d’ailleurs cette population qui a été étudiée dans la méta-analyse de Nicole T. Shen.

Le problème est que les antibiotiques tuent une bonne partie des « bonnes » bactéries qui se trouvent dans notre système digestif, mais pas C. difficile. Chez environ 5 % des gens, C. difficile est présent dans l’intestin sans que ça pose problème, car il est en équilibre avec les autres bactéries. Les antibiotiques dérèglent cet équilibre et le C. difficile en profite. La bactérie cause des diarrhées et se propage dans les hôpitaux par les mains, toilettes et autres équipements contaminés.

Monika Fisher, aide-professeure au département de gastroentérologie et d’hépatologie de l’Université de l’Indiana, explique que les probiotiques compensent la disparition des « bonnes » bactéries de trois manières distinctes : 

1. Ils concurrencent le C. difficile pour l’espace et la nourriture, ce qui réduit sa croissance.

2. Ils rétablissent l’équilibre des différents acides contenus dans la bile, alors que leur déséquilibre favorise la croissance de C. difficile.

3. Ils renforcent la barrière protectrice de l’intestin, la rendant plus résistante à la colonisation par C. difficile.

Sachant cela, faut-il donner des probiotiques à grande échelle dans les hôpitaux ?

Les chercheurs ne s’entendent pas sur la question. Nicole T. Shen, du Weill Cornell Medical College, croit que les nouvelles données justifient le fait de donner des probiotiques à tous les adultes hospitalisés qui reçoivent des antibiotiques.

« Il est temps de changer les directives en ce sens », a-t-elle dit à La Presse. Ses études montrent que l’effet est maximal si les probiotiques sont administrés moins de deux jours après la prise d’antibiotiques.

Aux yeux de la Dre Shen, seuls les patients vulnérables à contracter un sepsis, soit une contamination qui survient quand les probiotiques se retrouvent dans le sang en plus du système digestif, devraient être exclus. Il s’agit notamment des femmes enceintes, des patients se trouvant aux soins intensifs et de ceux qui ont un système immunitaire affaibli.

Monika Fisher, de l’Université de l’Indiana, souligne cependant qu’en chiffres absolus, la prise de probiotiques ne fait baisser le taux d’infection que de 2 %.

« Ça veut dire qu’il faut traiter 50 patients avec des probiotiques pour prévenir un seul cas de C. difficile, pointe-t-elle. On dit toujours que les probiotiques sont peu dispendieux, mais ce n’est pas si vrai. Il va falloir faire des études de coûts-efficacité. »

Dre Fisher souligne aussi qu’il existe de nombreuses souches de probiotiques et qu’il faut étudier plus en détail lesquelles sont les plus efficaces contre le C. difficile avant de changer les directives.

Nicole T. Shen réplique avoir mené une étude coûts-efficacité qui est favorable à un changement des directives, mais qui n’a pas encore été publiée.

« Le coût de garder des patients à l’hôpital est plus élevé que celui de donner des probiotiques à des patients qui n’en auraient pas nécessairement besoin », affirme-t-elle.

Qu’en disent les autorités québécoises ?

« Le ministère de la Santé et des Services sociaux n’a pas de directive ministérielle enjoignant les établissements d’utiliser les probiotiques dans le but de prévenir les infections nosocomiales (plus particulièrement le C. difficile), les données probantes à ce jour n’étant pas suffisante pour que le MSSS formule une orientation à cet effet », répond Marie-Claude Lacasse, porte-parole du Ministère.

Elle précise que quelques établissements québécois ont mené des projets-pilotes au cours des dernières années. « Il faut cependant être prudent dans l’interprétation des résultats, la diminution des infections nosocomiales dans un établissement pouvant être attribuée à plusieurs facteurs », dit-elle.

Pour l’instant, la décision de prescrire ou non des probiotiques relève donc des professionnels de la santé qui suivent chaque patient.

Le C. difficile en baisse au Québec

Taux de diarrhées associées au C. difficile dans les établissements québécois (par 10 000 jours-présence)

2011-2012 : 7,3

2012-2013 : 7,2

2013-2014 : 7,2

2014-2015 : 6,8

2015-2016 : 5,9

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