Opinion Sylvain Charlebois

Merci, monsieur Tomate

L’écrasement de l’hélicoptère qui a coûté la vie au président-directeur général des Serres Sagami-Savoura, Stéphane Roy, ainsi qu’à son fils de 14 ans a créé une véritable onde de choc. Son départ hâtif bouscule à peu près tout le monde dans le secteur agroalimentaire et surtout ses quelque 400 employés.

Stéphane Roy, cet entrepreneur visionnaire d’abord et avant tout, fonde Nouvelles Serres en 1995 pour ensuite faire l’acquisition des Serres Sagami, au Saguenay, en 2000. Il décide d’investir dans des serres, une filière agricole boudée par plusieurs à l’époque.

Sagami résulte d’un amalgame de deux mots, Saguenay et Piékouagami, nom montagnais du lac Saint-Jean. Il effectue une série d’acquisitions, mais celle de la marque bien connue Savoura en 2015 constitue un réel coup de maître. Son entreprise représente alors une figure emblématique au Québec en devenant la plus grande productrice de tomates de la province.

Avec 26 hectares répartis sur 8 sites de production un peu partout au Québec, son entreprise devient au fil du temps une référence pour la filière serriste et l’agriculture moderne au pays. En effet, on surnommait Stéphane « monsieur Tomate ». Les tomates produites par son entreprise se retrouvent sur les étals partout au pays et en Amérique du Nord.

Production bio

Disciple incorrigible de la production biologique, il a développé ce marché comme nul autre ne l’aurait fait. Il connaissait bien ce marché qui lui permettait de rentabiliser son entreprise en exploitant les marchés canadiens et américains.

Il a compris rapidement qu’il fallait développer des économies d’échelle et augmenter la capacité de l’entreprise de produire, surtout pour la culture biologique.

Il croyait aussi dur comme fer au développement durable. Le chauffage à la biomasse, la réutilisation de l’eau chaude d’une usine avoisinante et la mise en œuvre d’initiatives pour réduire les GES de l’entreprise ont fait de Savoura la référence en matière de gestion responsable et environnementale. Ce que Stéphane Roy a accompli comme dirigeant d’un fleuron québécois dans le secteur maraîcher reste rien de moins qu’unique.

Entrepreneur dans l’âme

Stéphane Roy a toujours été un entrepreneur dans l’âme. Machiniste de formation, il démarre une entreprise d’excavation à l’âge de 19 ans. Dans la jeune trentaine, il décide de se lancer en affaires en agriculture, un domaine qu’il connaît peu et un secteur de notre économie où les entreprises familiales jouent un rôle prédominant. Son parcours impressionne.

Son héritage à l’agriculture est celui d’avoir vu les choses autrement et d’avoir toujours essayé de trouver des solutions et des possibilités tandis que personne d’autre n’en voyait.

Après tout, la filière serriste demeure ardue. Il faut beaucoup de capitaux, c’est un secteur énergivore et il faut constamment surveiller minutieusement la production et les coûts de gestion qui peuvent s’avérer extrêmement élevés.

Mais lui, dès le début, pressentait que l’avenir se trouvait dans l’agriculture à environnement contrôlé. Avec les changements climatiques et les défis liés à la salubrité des aliments dans le secteur biologique, il avait tout à fait raison. Bien sûr, partout au pays, les investissements en production de serre affluent, surtout en Ontario. Pour plusieurs, l’une des sources d’inspiration les plus importantes reste les Serres Sagami.

En 2017, Stéphane Roy se défendait de dire non à la production de cannabis et nous rappelait qu’il fallait réduire notre dépendance aux fruits et légumes provenant de l’extérieur. Nos légumes coûtent 17 % plus cher maintenant qu’il y a un an. Ce message n’a jamais eu autant de pertinence à la lumière de notre nouveau Guide alimentaire et de notre volonté collective de suivre un régime basé sur la santé.

Avec son départ précipité, Stéphane Roy laisse derrière lui une entreprise orpheline.

Sans trop le savoir, chaque fois que l’on achetait des tomates Savoura ou des tomates qui portaient l’une de ses autres marques, nous étions gâtés par son savoir-faire et sa passion pour la production de la tomate. C’est un privilège de les déguster, peu importe la période de l’année.

Merci, monsieur Tomate.

* Sylvain Charlebois est professeur de distribution et politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie.

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