1:54 de réflexion

Le film 1:54 de Yan England, qui a pris l’affiche il y a environ deux semaines, nous entraîne dans une école secondaire où un adolescent (Tim) est la victime d’un intimidateur (Jeff). Son titre fait référence au temps que Tim doit atteindre pour battre son agresseur lors d’une course à pied de 800 mètres.

Ce film aborde des thèmes durs mais bien ancrés dans notre réalité. C’est pourquoi il a été conçu pour tous les publics, y compris les adolescents. La Régie du cinéma lui a d’ailleurs attribué le classement « 13 ans et plus ». Le film a surtout reçu l’appui de Tel-Jeunes, la Fondation Jasmin Roy et l’Ordre des psychoéducateurs du Québec.

Il y a quelques jours, les membres du personnel de deux écoles secondaires de la commission scolaire Kamouraska–Rivière-du-Loup ont eu l’idée d’emmener un groupe d’élèves voir le film afin d’aborder avec eux le sujet de l’intimidation. Cette initiative a alerté des fonctionnaires du ministère de l’Éducation. Ne faisant ni une ni deux, ces deux zélés ont rédigé une lettre afin de demander à la responsable régionale du plan de lutte contre l’intimidation dans ce coin du Québec d’annuler ce projet de sortie.

J’ai mis la main sur la note envoyée vendredi dernier. « Compte tenu des risques délétères importants, nous vous demandons de ne pas tenir cette activité, peu importe l’âge et le degré d’enseignement, des élèves à qui elle s’adresse dans le contexte où le film présente une scène explicite de suicide et établit clairement une adéquation entre le suicide et l’intimidation. »

Les auteurs de la lettre, Julie Pelletier et François Sirois, mettent en garde la direction des écoles secondaires impliquées dans ce projet contre les dangers liés à un effet d’entraînement. « La recension des écrits démontre que des effets négatifs tels l’augmentation du sentiment de désespoir, des stratégies d’adaptation inadéquates, des attitudes inappropriées face au suicide ont été observées chez des jeunes à la suite de telles activités. »

Selon eux, le film 1:54, que Philippe Couillard a vu et adoré, « accorde peu de temps à la recherche de solutions et ne véhicule pas de message d’espoir. Il ne montre pas qu’il est possible de résoudre un problème auquel on peut être confronté et n’illustre pas l’importance d’aller chercher de l’aide ».

Je saisis toute la gravité qui entoure l’intimidation (un sujet que j’aborde régulièrement dans mes chroniques) et celle liée au suicide chez les jeunes. Mais je trouve tout de même cette consigne des deux fonctionnaires inquiétante.

On a littéralement demandé à des gens qui ont eu une brillante idée de ne pas toucher à cela et de parler des problématiques graves et sérieuses de l’intimidation à partir de… données sur papier. 

Ces jeunes, qui soit dit en passant peuvent aller voir le film quand bon leur semble au cinéma, pourraient disposer d’une matière fort intéressante pour discuter de cette réalité, mais deux adultes frileux et s’appuyant sur des données désuètes ont tenté de les en empêcher.

J’ai parlé à Marc Choinière, directeur des communications de la commission scolaire Kamouraska–Rivière-du-Loup, au milieu de l’après-midi hier. Il m’a dit que l’activité était « sur la glace ». Une heure plus tard, le sous-ministre de l’Éducation envoyait une lettre aux commissions scolaires du Québec leur disant que l’œuvre de Yan England « mérite l’attention qu’on lui porte ». Il rappelle que l’intimidation est une priorité gouvernementale. Bref, il donne sa bénédiction à ce film.

Yan England se réjouit de ce revirement de situation. « Mon film n’est pas un documentaire, c’est une œuvre de fiction qui raconte une histoire. Tant mieux si elle peut rejoindre la réalité des jeunes et tant mieux si elle peut susciter des discussions enrichissantes. »

Les producteurs du film ont bien fait les choses. Ils ont fait appel à l’organisme Tel-Jeunes pour préparer un guide pédagogique qui aide les experts en intimidation dans les écoles à assurer un suivi constructif du film. Bref, l’encadrement que souhaite le Ministère était déjà prévu. À mon avis, il y a eu ici un manque flagrant de communication entre les parties concernées.

Cette intervention isolée de fonctionnaires frileux me désole au plus haut point. Les auteurs de la lettre auraient dû prendre une grande respiration avant de l’écrire, ils auraient dû prendre 1:54 de réflexion avant d’y apposer leur censure.

Mais ce qui m’inquiète le plus dans cette histoire, c’est que les deux auteurs de la lettre sont les responsables des dossiers de la prévention du suicide, de la violence et de l’intimidation au ministère de l’Éducation. Pas rassurant.

Safia Nolin répond aux critiques

Parlant d’intimidation, je voulais revenir sur ma chronique d’hier. Mon point de vue sur le lynchage dont a fait l’objet Safia Nolin à la suite de son passage au Gala de l’ADISQ m’a valu un courrier abondant. Vous avez été très nombreux à me dire que celle qui a reçu le Félix de la Révélation de l’année avait raison d’être ce qu’elle est et de s’habiller comme bon lui semble.

Certains ont eu le courage de me dire qu’ils ont fait partie de ceux qui ont émis des commentaires désobligeants sur l’apparence physique de la jeune auteure-compositrice-interprète dimanche soir, mais qu’ils avaient maintenant envie d’écouter son disque.

Enfin, vous avez aussi été très nombreux à me dire qu’elle aurait pu se « toiletter » un peu et s’abstenir de sacrer sur scène.

Safia Nolin a répliqué à ces critiques hier en publiant une lettre sur le site d’Urbania.

« Cher toi (internautes, Lise Ravary, Sophie Durocher, Denise Bombardier) qui m’intimides (oui, tu m’intimides) depuis deux jours. 

Ça va ? Moi, ça va, pas pire chill. 

Pourquoi, t’insurges-tu de ma tenue ? Pourquoi ressens-tu le besoin si puissant de m’envoyer chier, de me traiter de grosse, de me dire que j’ai pas de classe, pas de talent, de me parler de manque de RESPECT (envers l’industrie, envers mes “fans”, envers le mot GALA [je savais pas que le mot gala avait des sentiments]), de remettre en question la décision de l’ADISQ, la relève musicale au Québec et l’avenir de la jeunesse ? Pourquoi tu me hais autant ? 

Parce que j’ai PAS porté une robe, parce que j’ai mis un t-shirt (magnifique, ok ?), parce que j’ai mis des jeans, parce que j’ai dit fuck (trois fois), parce que j’ai fait une joke à ma sœur pis je l’ai traitée de GROSSE CONNE devant tout le Québec.

Parce que je suis une femme.

Parce que j’ai été moi-même.

Moi-même criss, Safia Nolin. »

Personnellement, je n’ai rien à ajouter. Vous ?

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