FRÉDÉRIC LEBLOND ET LE Dr KEVIN PETRECCA

OFFRIR UNE MEILLEURE QUALITÉ DE VIE

SEMAINE DU 15 FÉVRIER 2015

L’invention de Frédéric Leblond, profes-seur en génie physique à Polytechnique Montréal, et du Dr Kevin Petrecca, chef du service de neurochirurgie de l’Institut et Hôpital neurologique de Montréal, pourrait révolutionner le traitement du cancer du cerveau et, surtout, augmenter sensiblement l’espérance de vie de ceux qui en sont atteints. Et, qui sait, peut-être même sauver certains patients jusqu’alors condamnés. 

Les scientifiques ont mis au point une sonde qui permet pour la première fois de distinguer les cellules cancéreuses des cellules saines pendant une intervention chirurgicale au cerveau.

« Tous mes patients meurent. C’est dur, mais c’est ma réalité. »

Chaque année, le Dr Kevin Petrecca opère quelque 180 personnes atteintes d’un cancer incurable du cerveau. Sa mission n’est pas de les sauver. Ils ont reçu une condamnation à mort en même temps que leur diagnostic.

Son but est plus modeste : prolonger leurs jours au maximum, tout en leur offrant la meilleure qualité de vie possible.

« Mes patients sont souvent jeunes. Et leur qualité de vie est affectée par la maladie. Ils consultent parce qu’ils ont des maux de tête, parce qu’ils ont des problèmes de vision, de mémoire ou de langage. »

— Le Dr Kevin Petrecca

L’espérance de vie après un diagnostic de cancer du cerveau est de 14 mois, même avec un traitement. Cela varie selon le stade de la maladie. « Mais une bonne chirurgie peut prolonger ce délai de beaucoup », affirme le Dr Petrecca. Son nouvel outil pourrait le tripler, voire le quadrupler, croit-il.

Nous rencontrons le spécialiste en compagnie de son complice des dernières années, l’ingénieur junior et physicien Frédéric Leblond, dans un bureau de l’Hôpital neurologique, rue University, à Montréal.

Les fenêtres offrent une vue enviable sur le terrain de football du stade Percival-Molson, camp de base des Alouettes. Kevin Petrecca n’y jette pas un regard. Toute son attention est portée sur un tableau blanc sur lequel des chiffres et des symboles écrits au gros crayon noir sont divisés en deux colonnes.

Il ne veut pas que le tableau et son contenu apparaissent dans la photo que le photographe de La Presse prend de lui. M. Leblond croit d’abord à une farce, mais son collègue est sérieux.

« Ça démontre la différence entre une cellule cancéreuse et une cellule saine », explique le médecin en regardant ses calculs d’un air entendu.

Le sujet l’obsède. Il fascine Frédéric Leblond.

C’est lui qui a pris contact avec le neurochirurgien il y a quelques années pour lui proposer de faire équipe. L’ingénieur junior originaire de Rivière-du-Loup travaillait alors aux États-Unis, mais il souhaitait revenir au Québec.

Après des études poussées en physique fondamentale – il s’est penché sur l’origine du Big Bang et la théorie des cordes (le même champ de recherche que le personnage de Sheldon Cooper dans la populaire série américaine The Big Bang Theory) –, il travaillait depuis quelques années déjà à concevoir des outils pour aider le travail des neurochirurgiens et améliorer le traitement du cancer du cerveau.

« ATTIRÉ PAR LES PROBLÈMES LES PLUS COMPLIQUÉS »

Pourquoi le cerveau ? « J’ai toujours été attiré par les problèmes les plus compliqués. Et le cerveau, c’est com-pliqué. Si une technologie fonctionne pour le cerveau, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas pour un autre organe. Et après la physique théorique, je voulais faire quelque chose de plus concret », ajoute Frédéric Leblond avec une certaine autodérision.

Il a réussi. Son invention pourrait révolutionner le monde de l’oncologie.

Dernièrement, le Dr Petrecca a présenté la sonde à quelque 200 neurochirurgiens lors d’un congrès aux États-Unis. 

« La mâchoire leur est tombée. Ils voulaient tous savoir où ils pouvaient l’acheter. »

— Le Dr Kevin Petrecca

Pour le commun des mortels, la mise au point d’un simple appareil opératoire – un de plus – n’a pas de quoi soulever les foules. Et pourtant.

Elle changera la vie des neurochirurgiens et, surtout, de leurs patients, qui sont 3000 à recevoir un diagnostic de cancer du cerveau au Canada chaque année.

« LA HANTISE DE TOUT CHIRURGIEN »

Comment ? Actuellement, c’est une imagerie par résonance magnétique qui permet aux médecins de distinguer les zones du cerveau qui sont atteintes par le cancer. Mais une fois le crâne ouvert, les cellules malades et les cellules saines sont identiques à l’œil nu. Durant l’opération, le médecin doit se fier à l’image captée précédemment pour retirer les parties du cerveau infectées par le cancer. Impossible de détecter hors de tout doute les cellules atteintes autour de la tumeur.

« La hantise de tout chirurgien, c’est d’enlever une partie du cerveau qui n’était pas malade et de laisser le patient avec des séquelles permanentes, ou de ne pas tout enlever, et que le cancer revienne. Parce qu’il va revenir », dit le Dr Petrecca. Il a vécu les deux avec ses patients. Chaque fois, confie-t-il, c’est difficile.

Grâce à la sonde, les chirurgiens pourront maintenant détecter avec précision presque toutes les cellules cancéreuses invasives en temps réel durant l’opé-ration. Et c’est simple. Ils pointent un laser vers le cerveau et l’outil indique si telle ou telle portion du cerveau est malade ou non.

L’appareil a été utilisé sur 70 patients. Sa précision frôle les 100 %, soutient Frédéric Leblond. Différentes demandes de brevet ont été déposées en vue de sa commercialisation. M. Leblond travaille maintenant à transférer la technologie au traitement du cancer de la prostate.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.