jay du temple

Masculinité non toxique

Jay Du Temple anime la quatrième saison d’Occupation double à Noovo. L’humoriste, qui s’intéresse aux enjeux sociaux, anime aussi sa propre baladoémission, Jay Du Temple discute. Conversation avec un artiste qui se questionne et qui s’assume.

Marc Cassivi : On s’est parlé juste après ta première saison d’Occupation double et tu te questionnais sur ce que ça t’avait apporté, les risques inhérents à l’expérience, comment les gens allaient te percevoir. Quel regard poses-tu sur OD au moment d’animer la quatrième saison ?

Jay Du Temple : Je n’en reviens pas que c’est la quatrième année ! Je repense à quand je suis parti à Bali. J’avais 25 ans. C’était un plongeon dans le vide qui s’est avéré très positif, mais qui aurait pu être très négatif ! Je comprends que la perception du public d’OD, c’est que c’est un dating show avec des personnages atypiques ou exagérés. J’assume complètement ce côté freak show. Je suis du genre à éviter le fla-fla quand je fais du stand-up. OD, c’est l’inverse ! Il y a beaucoup de crémage. Les candidats arrivent en hélicoptère… J’ai appris énormément. D’abord à devenir un meilleur animateur de télé. J’ai vécu trois fois trois mois à l’étranger. J’ai rencontré des gens fascinants, comme ce réfugié congolais qui a fui son pays pour l’Afrique du Sud. On ne l’a pas vu à la télé, mais je porte ça en moi. Il n’en demeure pas moins qu’OD me fait me questionner constamment sur mes choix. Éthiquement, moralement, qu’est-ce qu’on envoie comme message ? Qu’est-ce qui est compris ? Tu as beau avoir la meilleure intention au monde, si c’est reçu de la mauvaise manière, quelle importance a cette intention ? Ces questions m’habitent beaucoup.

M.C. : Tu dois avoir davantage ton mot à dire pour t’assurer que les valeurs de l’émission correspondent d’une certaine manière à ta vision des choses ?

J.D.T. : Un peu plus, même si je ne suis pas le producteur ! Parfois, j’apprends la veille ce qui est prévu le lendemain ou la journée même. Mais jamais on ne me force à faire des choses avec lesquelles je ne suis pas à l’aise. Je me sens protégé dans tous les mini-scandales qui peuvent éclabousser OD. La production défend ses choix. Je n’ai pas à être le porte-voix de décisions que je n’ai pas prises moi-même.

M.C. : Tu dois déjà défendre tes propres choix, comme celui de mettre du vernis à ongles ! (Rires) Ça t’a surpris que ta manucure fasse autant réagir ? C’est une petite provocation gentille ?

J.D.T. : Je me suis posé la question. Je ne veux pas devenir une parodie de moi-même. Est-ce que je mets du Cutex sur mes ongles parce que ça me plaît ou parce que je veux plaire ? J’étais en voyage, seul en février, et je me suis fait les ongles juste pour moi. Je ne lis pas les sites à potins, donc j’apprends que ça fait des vagues quand les gens m’en parlent ! Je pense que c’est ma manière à moi, très douce, de « revendiquer » certaines choses. C’est de la gomme balloune, OD. C’est de la grosse pop. Si je peux amener un petit peu d’indie, brasser un peu les gens qui ont besoin d’être brassés, l’assumer et l’incarner en faisant les choses à ma manière, tant mieux ! Pour moi, ce n’est pas du tout punk rock de faire ça. Mais pour plusieurs, ce l’est beaucoup.

M.C. : Tu rejoins différents publics. Je pense par exemple à mon fils, qui va avoir 17 ans. Il ne regarde pas OD comme certains de ses amis, mais il me parlait récemment de ton podcast avec Fabrice Vil qu’il a trouvé hyper intéressant. Tu as à la fois un pied dans la marge et un autre dans le très grand public…

J.D.T. : Le podcast, c’est vraiment un projet de cœur. C’est l’opposé d’OD en termes de déploiement. Ce n’est pas pour l’argent ni pour me mettre en valeur. Ce sont de longues conversations, avec des gens que j’apprécie, qui m’aident à garder le cap. Si les gens veulent savoir en temps réel où j’en suis rendu dans mes réflexions, sans tout révéler sur ma vie, ils peuvent écouter le podcast. Et si ton fils inspire ses amis qui regardent OD à écouter ce qu’a à dire Fabrice Vil, je trouve ça formidable. Les gens qui écoutent le podcast peuvent venir dans mes salles de spectacle avec un a priori différent que s’ils me connaissaient par OD.

M. C. : Est-ce que ça peut être difficile, dans ton travail d’humoriste, de concilier ces différents publics ?

J.D.T. : J’y pense beaucoup, en prévision de mon prochain spectacle. Ultimement, la raison pour laquelle les gens se retrouvent dans la salle ne m’appartient pas. Une fois qu’ils y sont, c’est ma responsabilité de réussir à les faire rire avec ce que j’ai, moi, envie de dire. Quand la pandémie a éclaté et qu’on manquait de papier de toilette parce que les gens s’étaient rués dans les magasins, je me suis dit qu’il y avait sans doute un pourcentage de ces gens-là qui écoutent OD. Ce n’est pas un jugement. Je constate les faits. Peut-être que ces gens-là seront moins ouverts à m’entendre parler de mes réflexions parce qu’ils m’ont connu à OD. Je me dis que c’est ma responsabilité de rallier tous ces gens et de les amener là où je veux aller. Je ne veux pas seulement me laisser guider par le rire. Qu’est-ce que je veux dire ? Qu’est-ce qui est pour moi important et comment je rends ça drôle ? C’est ça, mon point de départ.

M.C. : Tu as reçu ton amie Kat Levac dans ton podcast et tu as évoqué la nouvelle vague de dénonciations #metoo. Tu connais des gens qui ont été directement touchés. Comment tu l’as vécue ?

J.D.T. : Ça a commencé avec un message de Safia Nolin, qui est une amie, qui m’a écrit pour me dire que le seul souvenir positif qu’elle gardait de cette soirée-là [où Maripier Morin lui a fait des avances non sollicitées avant de la mordre], c’était que je l’avais fait sentir bien et en sécurité. Je ne savais pas encore de quoi elle parlait. Quand toute la vague est arrivée, la quantité de personnes autour de moi qui étaient du côté des victimes était très grande. Ça m’est rentré dedans de voir la quantité de gens qui ont souffert et la quantité de gens dans ce milieu qui ont eu des comportements difficiles ou inacceptables. Il y a une remise en question en même temps, une introspection…

M. C. : Du type « Ai-je toujours été correct » ?

J.D.T. : Oui. Je suis retourné consulter, pour m’assurer de garder le cap, d’être bien là-dedans. C’était important pour moi de rester fort, pour être présent pour mes amis, prendre de leurs nouvelles, leur dire que je les aime. Cette année, j’ai beaucoup réfléchi à ce qu’on veut comme société. Je pense qu’on ne peut jamais être trop empathique. Pour les victimes qui osent parler, qui ont le courage de prendre position. C’est dur…

M.C. : Quand je pense à toute la haine que reçoit Safia Nolin, c’est terrible…

J.D.T. : Vraiment. Mais si je veux incarner ce que je dis, il faut aussi que j’aie de l’empathie pour les agresseurs. Ce qui est difficile dans le contexte actuel, c’est que la place publique n’est pas nécessairement l’endroit le plus safe pour tenir ce genre de propos là. Tout ça m’est rentré dedans. Ça m’a mis à l’envers. Mais j’avais un grand besoin d’en parler et c’est ce qu’on a fait avec Kat Levac dans le podcast. Ça fait quatre ans que je ne suis plus ami avec Julien Lacroix. Mais je l’ai côtoyé quand on a commencé et je ne me réjouis pas de savoir qu’il souffre. Je n’aime pas voir les gens se réjouir de voir les autres se planter. Ça révèle quelque chose de malsain et de laid chez l’être humain. Mon réflexe a été d’écrire à son ex-copine, que je connais peu, mais que j’ai côtoyée à l’époque, pour lui dire que je la trouvais courageuse. J’ai pensé écrire à Julien. J’ai vécu de la colère et de la peine. J’ai voulu être là pour lui à l’époque, mais on n’a pas voulu de moi parce que j’étais le gars chiant qui disait que ça ne se faisait pas la manière dont il agissait. J’ai eu le cœur brisé de mon milieu. Pourquoi on continue d’employer des gens qui ont des comportements déplacés et qui mettent des ambiances désagréables sur des plateaux ? Je connais plein d’artistes talentueux, travaillants et très gentils qui sont assis chez eux à se tourner les pouces en attendant que le téléphone sonne.

M.C. : On pourrait trouver ironique que tu dises que tu n’aimes pas voir les gens se réjouir d’en voir d’autres se planter alors que tu sais que plusieurs regardent OD exactement pour ça. Pour se moquer des candidats, de leurs dérapages ou de leur manque de vocabulaire…

J.D.T. : C’est un bon point que tu soulèves. Ça fait partie de ma réflexion. J’anime OD parce que je ne méprise pas les candidats. Je les respecte. Je les trouve somme toute – le mot est sans doute trop fort – courageux de se laisser être filmés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Personnellement, je ne le ferais pas. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout ce qui se passe. Je ne produirais pas l’émission de cette manière-là, mais je ne crois pas que je suis mieux que les candidats. On est rendus à une belle place avec Occupation double. L’exemple est exagéré, mais c’est un peu comme quand Céline est passée de quétaine à cool. Avant, c’était un plaisir coupable, OD. C’est sucré, c’est du gros bonbon, mais je pense que les gens l’assument. On est à cette époque-là ! J’anime avec du vernis à ongles et c’est chill. J’écoute Céline les vitres baissées dans mon auto et quand je m”arrête au feu rouge et qu’il y a une gang de gars à côté, je ne baisse pas le son.

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