Philippe Falardeau  The Good Lie

Se glisser dans la machine

Aux États-Unis, la plupart des artisans du milieu du cinéma ont vu Monsieur Lazhar. Quand un long métrage devient finaliste dans la catégorie de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, son auteur obtient automatiquement une visibilité inespérée. Même si, au bout de la course, la statuette est remise à un autre film, comme ce fut le cas il y a deux ans (à Une séparation d’Asghar Farhadi), ce capital est acquis. Les professionnels savent qui vous êtes. Plusieurs d’entre eux vous envoient même des scénarios à lire.

Celui de The Good Lie « flottait » depuis un moment. Son auteure, Margaret Nagle, a même eu le loisir d’en récupérer les droits quand un arrangement avec un studio est tombé à l’eau. La société Imagine Entertainment, que dirigent Ron Howard et Brian Grazer, était cependant toujours sur les rangs. Quand Philippe Falardeau a lu ce scénario, qui fait écho au drame de ceux qu’on a appelés les « Lost Boys of Sudan », il a demandé à son agent américain de solliciter une rencontre avec les producteurs. Cette histoire résonnait fortement en lui. Elle le ramenait en effet 20 ans plus tôt, alors qu’à la faveur du tournage du court métrage de Marie-Claude Harvey Attendre, il avait été directement témoin de la guerre civile au Soudan du Sud.

« Ron Howard était de cette première rencontre, rappelait le cinéaste au cours d’un entretien accordé à La Presse mercredi, peu avant la première québécoise du film au Festival du nouveau cinéma. J’avais simplement apporté des photos prises avec mon appareil de l’époque. Je les ai étalées sur la table et j’ai raconté mon histoire. Quand tu arrives avec un bon pitch, les Américains aiment ça !

« Je savais qu’au départ, poursuit-il, les producteurs auraient souhaité que le film se déroule entièrement en anglais, même au début, alors que l’intrigue est campée au Soudan du Sud. Personnellement, c’est une convention que je n’accepte pas. D’autant que la méconnaissance de la langue de ces réfugiés à leur arrivée en Amérique constitue un ressort dramatique. J’ai alors rappelé à Ron Howard que 15 % des dialogues du Da Vinci Code étaient sous-titrés. Il m’a dit que le public était prêt pour ça. »

RON HOWARD, UN ALLIÉ

Ron Howard, qui fait partie de l’imposante équipe de production du film (six producteurs et huit producteurs exécutifs sont crédités au générique !), est alors devenu un allié précieux.

« Ron n’était pas présent au moment du tournage, mais il a suivi l’étape du montage. Il m’envoyait des notes. Alors que d’autres auraient voulu que l’épisode africain se résume à 10 minutes, il insistait pour que je le garde dans son intégralité. Cet épisode dure 35 minutes. »

Il est vrai que The Good Lie n’a rien du film hollywoodien typique. La première partie du film fait directement écho à la guerre civile au Soudan du Sud au cours des années 80 et 90. Les situations décrites sont violentes. Les personnages s’expriment dans leur langue et cette partie du film est sous-titrée. Évoquant le phénomène des Lost Boys de l’époque – des orphelins qui ont eu l’occasion de se faire une nouvelle vie en Occident après être passés par un camp de réfugiés –, The Good Lie raconte une histoire de survie dans un contexte pour le moins difficile.

Accueillis à leur arrivée à Kansas City par une agente chargée de leur trouver un emploi (Reese Witherspoon), trois de ces garçons devront maintenant apprendre les codes de la société américaine pour tenter de s’intégrer.

« Défendre The Good Lie est très facile pour moi parce que j’ai été directement touché par cette histoire, fait remarquer le cinéaste. Le mode de fonctionnement d’une production américaine est de toute évidence différent du nôtre, et il est vrai qu’il faut parfois choisir ses combats. Mais ce film m’est cher. Richard Comeau, qui l’a monté, m’a dit à un moment donné que ça ressemblait à du Falardeau, mais fait à Hollywood. Et c’est vrai. J’ai réussi, je crois, à infiltrer mon regard de cinéaste dans une machine qui n’est pas la mienne. »

UNE COMÉDIE POLITIQUE EN TOURNAGE

Étant « lent » de nature sur le plan de l’écriture, le cinéaste compte porter à l’écran un scénario américain en guise de prochain projet.

« Ça risque pas mal d’être ça, dit-il. Il m’a fallu quatre ans pour écrire Guibord s’en va-t-en-guerre. Je suis incapable de pondre un scénario rapidement ! »

Pour l’heure, Philippe Falardeau se concentre sur cette comédie politique dont les vedettes sont Patrick Huard et Suzanne Clément. Produit avec un budget de six millions de dollars par la société micro_scope, celle-là même qui a produit Monsieur Lazhar, Guibord s’en va-t-en guerre est présentement en tournage à Val-d’Or.

« Tout se déroule comme prévu, dit-il. Avec l’expérience, je trouve plus facilement des solutions quand des problèmes se pointent, mais il reste qu’un tournage de film, c’est toujours beaucoup de pression. Ce scénario comporte 150 scènes et on dispose de 34 jours de tournage. On filme à Val-d’Or, Ottawa, Montréal, Mont-Tremblant et Haïti ! Le tournage prenant fin au mois de novembre, le film devrait être prêt au printemps. Je ne sais pas s’il peut prétendre à une sélection de festival, mais je crois que oui. Le propos sur la démocratie est large, et commun à bien des pays. Déjà, un vendeur international tient à avoir le film sur simple lecture du scénario. C’est bon signe ! »

The Good Lie (Le beau mensonge) prend l’affiche le 17 octobre en version originale avec sous-titres français.

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