Chronique

De bonnes fraises ou un bon salaire minimum ?

Joseph Pouliot a défriché la terre familiale de l’île d’Orléans vers l’an 1800. Aujourd’hui, phénomène rare, les Pouliot continuent d’occuper la terre comme producteurs de fraises, sept générations plus tard.

Je ne vous parle pas de cette ferme pour vous vanter son passé, aussi particulier soit-il. J’en fais plutôt une chronique pour vous expliquer pourquoi l’entreprise est ébranlée par le récente décision du gouvernement Couillard de hausser le salaire minimum à 12 $.

Selon Guy Pouliot, copropriétaire, la hausse de 75 cents risque d’effacer toute trace de profits de l’entreprise en 2018 et de menacer son avenir. « Cette décision politique par la bande vient clairement nous affecter », dit-il.

La raison ? Il est presque impossible pour la ferme de refiler aux consommateurs de fraises l’impact de la hausse du salaire minimum, compte tenu de la vive concurrence américaine. 

Dans l’alimentation, faut-il savoir, le prix est le premier critère d’achat de 80 % des consommateurs.

Avant de poursuivre, je fais un aparté. Je me suis prononcé en faveur de la hausse du salaire minimum de 75 cents récemment, jugeant qu’elle améliorera les conditions de certains travailleurs sans nuire réellement à l’économie.

Pourquoi ? Parce que malgré l’augmentation des prix qu’elle engendrera, la hausse ne fera pas bondir le taux de chômage, étant donné la pénurie de main-d’œuvre au Québec, notamment de premier échelon. De plus, le salaire demeurera dans les normes historiquement acceptables (47 % du salaire moyen).

Le cas de la ferme Pouliot nous rappelle cependant un principe central en économie : toute intervention du gouvernement dans le libre marché, même louable, crée des effets indésirables. Dans ce cas-ci, il rend la production horticole locale moins concurrentielle face aux fruits et légumes étrangers, affectant leur rentabilité.

Des fraises en carton

Au salaire minimum de 15 $ de l’heure, les Québécois risqueraient donc de devoir se contenter de grosses fraises californiennes en carton, dures et sans saveur, dont le transport crée beaucoup de gaz à effet de serre.

Cela dit, une hausse de 75 cents a moins d’impact sur les commerces que sur les producteurs de fraises, les premiers ayant davantage de concurrents locaux et des coûts de main-d’œuvre proportionnellement moins importants. Voilà pour l’aparté.

Pour faire sa démonstration, Guy Pouliot n’hésite pas à nous dévoiler ses chiffres. La hausse de 75 cents a des répercussions majeures sur son entreprise, car ses coûts de main-d’œuvre représentent 55 % de ses dépenses. Plus précisément, elle entraînera une facture de main-d’œuvre additionnelle de 300 000 $, à 3,8 millions.

Or, ces 300 000 $ représentent 5 des 6 % de marge de profit de cette ferme familiale. En ajoutant la hausse de l’inflation au reste de sa structure de coûts, les profits s’évaporent complètement…

Oui, mais les Pouliot ne savent pas gérer, me diront certains. Ils auront tout faux : Guy Pouliot est bachelier en administration et son frère Daniel a le même niveau de diplôme, mais en agronomie. L’entreprise est d’ailleurs l’une des plus rentables dans son domaine au Québec. Et comme le Québec produit la moitié des fraises canadiennes…

Faudra-t-il fermer boutique ou, disons, fermer la terre ? Les Pouliot sont coriaces, tout de même. L’entreprise fait de la recherche et développement, et les deux gestionnaires sont en mode solution. Ils travaillent à améliorer l’irrigation des champs et la qualité des fruits. De plus, ils planchent sur une réorganisation du travail dans les champs pour éviter aux cueilleurs de marcher de trop grandes distances et de perdre du temps.

La hausse du salaire minimum crée néanmoins passablement d’incertitude. Et parmi les solutions, les Pouliot envisagent de retirer à certains travailleurs locaux certaines tâches effectuées l’hiver à 14-20 $ l’heure pour les confier à des employés l’été, à 12 $. 

Ces employés locaux tomberaient donc en chômage l’hiver, aux frais de la collectivité.

Depuis plusieurs années, les 180 cueilleurs de la ferme de l’île d’Orléans sont des Mexicains ou des Guatémaltèques, embauchés à titre de travailleurs étrangers temporaires pendant une moyenne de 20 semaines. L’entreprise leur paie le salaire minimum, en plus de les loger et d’assumer la moitié du billet d’avion.

« Il s’agit d’une formule incroyable. Ils sont motivés au boutte et ils veulent revenir chaque année. Le taux de rétention est de plus de 90 %, ce qui est très bon », dit Guy Pouliot, dont l’entreprise s’appelle Ferme Onésime Pouliot, du nom de son défunt père.

Comme l’Union des producteurs agricoles (UPA) – le puissant syndicat de l’industrie –, les Pouliot n’appuient pas l’objectif du mouvement syndical québécois de hausser à 15 $ le salaire minimum. « Il y a d’autres solutions pour réduire la pauvreté, par exemple un crédit d’impôt pour la mère monoparentale », dit-il.

Pour ma part, je demeure en faveur de cette hausse du salaire minimum à 12 $. Les Pouliot trouveront probablement des solutions pour passer au travers. Toutefois, leur exemple illustre à quel point une telle décision n’est pas sans conséquences. Le gouvernement doit donc agir avec parcimonie et oublier l’atteinte rapide de la cible de 15 $.

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