ÉDITORIAL BOIS D’ŒUVRE

La rançon américaine

Payer une rançon, c’est récompenser le délit et inciter à le répéter. Le Canada devrait s’en souvenir, alors que tout indique que le conflit sur le bois d’œuvre avec les États-Unis reprendra cette semaine.

L’entente est arrivée à échéance le 12 octobre 2015, et la période de grâce pour en conclure une nouvelle se termine mercredi. Les États-Unis ne manifestent aucun intérêt pour s’entendre, et on ne s’en étonne pas. La bonne foi n’est pas rentable pour eux.

Dans le passé, les États-Unis ont accusé le Canada à quatre reprises de concurrence déloyale. Et à chaque fois, les tribunaux ont donné raison au Canada, jugeant illégales les pénalités imposées à son industrie forestière.

Comment a réagi Ottawa ? En finançant celui qui le saignait. En 2005, les États-Unis devaient rembourser 5 milliards en taxes facturées injustement, mais le Canada n’en a réclamé que 4 milliards. Il a laissé l’autre milliard aux Américains. 

Après avoir reçu sa sentence, le coupable a ainsi fouillé dans les poches de sa victime.

Le Canada espérait ainsi acheter la paix. Mais, on le constate aujourd’hui, cela n’a fait qu’inciter les États-Unis à repartir en guerre commerciale. Pour éviter que l’histoire ne se répète, le gouvernement Trudeau doit être clair : la prochaine fois, il ne reversera pas une telle rançon.

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Au Canada, la grande majorité des forêts sont publiques. Washington se sert de cet argument pour prétendre que notre bois serait indûment subventionné, ce qui violerait les accords commerciaux.

Faux, ont déjà jugé les tribunaux commerciaux. Pour éviter un futur conflit, Québec a tout de même ajouté une ceinture aux bretelles en adoptant en 2013 un nouveau régime forestier. Le quart du bois est désormais vendu aux enchères, et sa valeur marchande sert à fixer celle des terres publiques. Même si ce gain a été reconnu par le président Obama en juin dernier, les négociateurs américains ne semblent pas convaincus.

Bien sûr, la campagne présidentielle n’aide pas. Les deux candidats se méfient du libre-échange, et les négociateurs ne veulent pas imposer une entente au futur président. Mais ce n’est pas la principale cause du blocage. 

L’échec est inscrit dans les gènes du processus. La raison : l’industrie forestière américaine a un droit de veto.

Elle profite du conflit pour deux raisons. D’abord, à cause de la rançon – en 2005, elle s’était partagé la moitié du milliard. Ensuite, à cause de l’asphyxie. Car même si Washington devait perdre à nouveau et rembourser toutes les pénalités, le litige lui aura tout de même été profitable, en affaiblissant sa rivale canadienne.

Le Québec souffrira particulièrement. Notre industrie a déjà un genou par terre. Dans la dernière décennie, elle n’a engrangé des profits qu’une seule fois. C’est en raison de la crise économique, de la chute mondiale du prix de la ressource et du conflit du bois d’œuvre. Et c’est aussi en raison de défis propres au Québec, où il faut se rendre de plus en plus loin pour trouver le bois, qui est petit et pousse lentement.

La Colombie-Britannique est différente. Sa production est deux fois plus grande que celle du Québec, et elle en exporte un plus grand pourcentage. Elle souffre donc surtout des quotas, qui lui bloquent des marchés essentiels pour écouler son important volume de production. Le Québec souffrira quant à lui davantage d’une taxe. Plus de 20 000 emplois liés à la foresterie ont déjà été perdus dans la dernière décennie au Québec. Un prochain conflit serait pénible.

Ottawa doit montrer que cette fois, il ne pliera pas. Et il doit protéger l’industrie québécoise autant que britanno-colombienne, avec une entente adaptée à leurs défis respectifs.

L’ALLIÉ MÉCONNU

Si le Canada peine à négocier une bonne entente, c’est en raison d’un rapport de force déséquilibré. Il peut toutefois compter sur un allié : le secteur américain de la construction. Plus les importations canadiennes diminuent, plus le prix de vente du bois augmente. Ce sont les constructeurs américains, et les consommateurs qui achètent les maisons, qui récoltent la facture. De 2006 à 2015, les barrières tarifaires leur ont fait perdre plus de 6 milliards, calcule l’Institut économique de Montréal. Leur grogne constitue peut-être le meilleur espoir du Canada.

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