OPINION SYLVAIN CHARLEBOIS

ALIMENTATION Les travers de la rhétorique anti-animalière

Pas une journée ne passe sans qu’une étude nous rappelle l’importance des protéines végétales pour notre bien-être et celui de la planète.

La revue The Lancet, appuyée par l’association EAT établie à Stockholm, a récemment publié un rapport qui fait le tour du monde. Le groupe suédois réunissant 37 experts souligne qu’il faut changer nos habitudes alimentaires pour sauver la planète.

La commission EAT-Lancet soutient que pour nourrir les 10 milliards de personnes qui peupleront la terre en 2050, il faudra dorénavant miser sur les protéines végétales. Pour maximiser la santé humaine et la viabilité de l’environnement, la protéine animale, soit un seul steak et un verre de lait par semaine, serait le quota à respecter pour chacun de nous. Quelques portions de poissons, de lentilles, de pois chiches et de fruits et légumes prennent évidemment une place de choix.

La rhétorique anti-animalière a manifestement influencé le travail de ce forum alimentaire. Le rapport va plus loin et signale qu’il faudra diminuer le gaspillage alimentaire de moitié. 

Un « régime planétaire » : voilà ce qui ressort de ce colloque pour éviter 11 millions de morts prématurées. Bien que l’effort soit honnête, l’analyse manque un peu d’envergure.

Et notre héritage agroalimentaire ?

Le président d’EAT ainsi que la fondatrice du groupe sont tous deux médecins. La plupart des membres viennent d’une profession active dans le secteur de la santé publique ou des sciences environnementales. Peu d’entre eux possèdent une formation en économie, en politiques publiques ou en sciences sociales. À la lecture du rapport, on réalise que notre culture alimentaire, nos traditions, notre héritage agroalimentaire n’existent plus. Pire encore, le rapport n’accorde aucune considération à une distribution efficace des aliments et l’assurance d’un régime abordable.

La science soutient sans équivoque que notre consommation de viande n’est pas durable, surtout en Occident. Le cumul de rapports faisant ces temps-ci la promotion d’un régime qui limite la consommation de viande nous étourdit, et le nouveau Guide alimentaire canadien ne fera qu’ajouter à ce mouvement.

Les protéines animales ont toujours joué un rôle important dans nos vies. La viande a le pouvoir d’unir autour d’une table des familles et des communautés pour diverses raisons. Plusieurs d’entre nous vouent un attachement indéniable à la viande et aux produits laitiers. Selon plusieurs études, la grande majorité des Canadiens mangent de la viande quotidiennement.

Élitisme

Le manque de respect pour nos us et coutumes autour de la table, dans la cuisine et au barbecue en dérange plusieurs.

Une plus grande diversité est essentielle, mais notre marche collective vers une offre alimentaire plus éclatée et responsable ne peut se faire sans que l’on célèbre notre patrimoine alimentaire.

Le mouvement anti-animalier existe réellement. Le véganisme se normalise socialement. S’identifier comme végétarien ou végane ne relève plus de la fantaisie. D’innombrables magasins et restaurants végétariens et véganes ouvrent leurs portes. Mais une visite dans ces établissements vous fera sûrement sourciller. Malgré le fait qu’on n’y serve aucune viande, les prix ne se prêtent pas à toutes les bourses. Deux repas pour une famille de quatre peuvent facilement coûter plus de 60 $. En cuisinant, on épargne, bien sûr, mais les prix font en sorte que les choix végétariens et véganes conviennent principalement aux familles nanties.

Techniquement, les régimes végétariens et véganes devraient coûter moins cher. Mais pour l’instant, cela ne semble pas le cas. Le message que véhicule le groupe EAT-Lancet ne reflète aucunement la vie quotidienne du commun des mortels en Occident. L’élitisme alimentaire semble motiver le groupe.

Si l’humanité souhaite adopter ce « régime planétaire », il faut allier le passé à nos aspirations de mieux servir la planète et nos vies. Complètement oublier nos origines constituerait une grave erreur.

* Sylvain Charlebois est également directeur scientifique de l’Institut des sciences analytiques en agroalimentaire.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.