Chronique

Le Petit cochon rose dans la boue

Le Petit Cochon rose, alias Groupe Solution2, se fait traîner dans la boue par le Bureau du surintendant des faillites (BSF).

Ça ne sent pas bon ! Mais vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus.

Il y a un an, je vous avais mis en garde contre ces entreprises douteuses qui jouent dans les plates-bandes des syndics. Elles attirent les consommateurs surendettés à grands coups de publicités à la radio et à la télévision, mais finissent par leur nuire au lieu de les aider. En mars dernier, je vous avais alerté à nouveau contre les agissements du Petit Cochon rose.

Or, la situation serait encore plus grave que je l’avais imaginé, comme en témoigne une dénonciation déposée au palais de justice par le BSF afin d’obtenir la permission d’approfondir son enquête sur le Petit Cochon rose.

On y apprend que le BSF a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une fraude aurait été commise par le Groupe Solution2 (GS2) et le prêteur Capital-Limite, deux sociétés contrôlées par Yvon Poirier, qui ne m’a pas rappelée. Toutefois, les allégations du BSF n’ont pas été prouvées en cour. Et aucune accusation n’a encore été portée.

N’empêche, les mandats d’enquête du BSF laissent croire que plusieurs consommateurs « semblent avoir été floués » par le Petit Cochon rose et d’autres intervenants du système d’insolvabilité, dont les notaires Catherine Simard-Raymond et Cyrille Delâge.

En outre, « plusieurs infractions à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité » auraient été commises par les syndics Sylvie Labarre, Éric Métivier, Stéphane Leblond et Éric Bisson.

Mais les professionnels qui ont accepté de répondre à mes questions jurent qu’ils n’ont rien à se reprocher et qu’ils ont agi de bonne foi (lire leurs réactions à l’onglet 4).

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Dans sa dénonciation, le BSF raconte de long en large l’histoire d’une dizaine de clients du Petit Cochon rose qui auraient été pris au piège sensiblement de la même façon (voir onglet 3).

Sans trop qu’ils s’en rendent compte, le Petit Cochon rose les aurait incités à conclure à la fois une consolidation de dettes et une proposition de consommateurs, une aberration totale à mon avis.

Dans le cadre d’une consolidation, le client emprunte un nouveau montant, généralement à un taux d’intérêt élevé, pour rembourser les créanciers qui sont déjà à ses trousses. Ça lui coûte cher, mais son dossier de crédit est sauf.

Dans le cas d’une proposition, le consommateur étouffé par ses dettes offre à ses créanciers de leur rembourser seulement une partie du montant dû, sans intérêt, sur une période maximale de cinq ans. Le client peut souffler, mais sa cote de crédit est anéantie, limitant sa capacité d’obtenir du crédit pour de longues années.

En utilisant les deux méthodes de front, le client se retrouve donc avec tous les inconvénients : il paie la totale et son dossier de crédit est massacré quand même.

Prenez un couple qui avait accumulé des dettes d’environ 18 000 $. Après avoir consulté le Petit Cochon rose, il se serait retrouvé avec un nouveau prêt de 45 000 $ à rembourser pendant huit ans à Capital-Limite, alors que ses créanciers auraient accepté une proposition de consommateur à environ 5000 $. Cherchez l’erreur !

Où est allé le reste du prêt ? Chose certaine, pas dans les poches du couple qui se sent quand même obligé de continuer les paiements parce qu’il a donné sa maison en garantie. En fait, le couple n’avait pas réalisé dans quel bourbier il s’était enlisé, avant que les enquêteurs du BSF le contactent.

Le plus triste, c’est que le syndic et le notaire qui devraient être les remparts de la protection du public ne semblent pas avoir joué leur rôle.

Malgré son passage au cabinet de syndics Roy Métivier Roberge, le couple n’aurait jamais réalisé que ses créanciers allaient accepter de régler ses dettes pour 5000 $, presque 10 fois moins que le montant que le couple s’engageait à rembourser à Capital-Limite.

Quant au notaire, la cliente lui aurait confié qu’elle avait l’impression de « se faire avoir ». Sans en faire grand cas, le notaire Cyrille Delâge lui aurait répondu que tout lui semblait normal avant d’hypothéquer sa maison, selon la dénonciation.

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Les dossiers analysés par le BSF présentent des similitudes troublantes : pression, intimidation, frais déraisonnables, conseils louches.

La dénonciation révèle que les agents du Petit Cochon rose insistaient très fort pour que le client signe les documents dès la première rencontre. Aux méfiants, on aurait dit : « Vous ne trouvez pas que ça fait du sens ce qu’on dit ? » ou « Préférez-vous tout perdre ? »

Ils envoyaient ensuite au diable les clients piégés qui manifestaient leur mécontentement. « Ne vous avisez pas de nous poursuivre, car nous sommes plus forts que vous », leur aurait-on lancé sur un ton arrogant et condescendant.

GS2 imposait des frais de plusieurs milliers de dollars aux consommateurs, supposément pour les aider à reprendre le contrôle de leur budget. Or, les clients n’auraient jamais eu droit aux consultations promises.

Un couple qui s’est saigné à blanc pour payer les honoraires du Petit Cochon rose aurait réalisé qu’il avait versé près de 4000 $ simplement pour être référé à un syndic. Il se serait bien passé de cet intermédiaire coûteux et inutile s’il avait su qu’il pouvait aller voir un syndic directement.

Mais voilà, les gens ne connaissent rien au processus d’insolvabilité. Pourtant, les clients de GS2 n’étaient pas totalement démunis. Ce sont des gens de la classe moyenne – infirmière, camionneur, agent correctionnel, propriétaire de garderie – qui se sont retrouvés dans le pétrin après un infarctus, un divorce, une perte d’emploi.

Ce sont des consommateurs de bonne foi qui voulaient s’en sortir, rembourser leurs créanciers en entier, préserver leur cote de crédit et éviter la faillite. C’est pour cela qu’ils allaient voir le Petit Cochon rose plutôt qu’un syndic.

La plupart ont été attirés par les publicités du Petit Cochon rose qui donnaient à l’entreprise une aura de crédibilité.

Voyant le battage médiatique du Petit Cochon rose, je ne comprends pas pourquoi les autorités n’ont pas été plus proactives. Je ne comprends pas qu’elles ne soient pas intervenues en amont plutôt que d’attendre des plaintes de consommateurs. Surtout quand on sait que les victimes de ce genre de crime se plaignent rarement.

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