Éditorial : Bulletins scolaires

Le maquillage est pire qu’on le croit

Le maquillage des notes à l’école est plus épais qu’on ne le croit. Il ne se limite pas à l’arrondissement automatique qui convertit un 57 ou 58 % en 60 %. Si seulement ce n’était que cela…

Il y a pire : le « bulletin modifié », qui change à la fois la note et ce que la note évalue. Le petit William a des difficultés de compréhension de lecture ? Alors on baisse les exigences. Dans le jargon du Ministère, cela donne des « modifications pour les élèves ayant des besoins particuliers ». En français, cela signifie « nivellement par le bas ».

Comme d’habitude, le tout part d’une bonne intention. Pour aider les élèves en difficulté, Québec mise depuis environ cinq ans sur la « différenciation ». Selon ce plan, on adapte la façon d’enseigner – ce qui n’est ni nouveau ni mauvais.

Et, chose nouvelle, on adapte la façon d’évaluer certains jeunes, avec le bulletin modifié.

Le recours à ce bulletin pose toutefois de nombreux problèmes. D’abord, il n’est pas ciblé. On l’offre aux élèves en « difficulté », une catégorie mal définie qui déborde des cas lourds comme les jeunes handicapés.

Ensuite, il est arbitraire. Selon la procédure, un plan d’intervention est établi pour chaque jeune en difficulté. Ce plan est conçu par l’enseignant, l’école, les spécialistes concernés (comme un orthophoniste) et parfois les parents. Or, il n’existe pas de critères précis pour savoir quand recourir au bulletin spécial.

C’est d’autant plus risqué que plusieurs incitatifs pervers mènent à en abuser. Pour un parent, c’est parfois une façon d’éviter la honte d’un échec. Et pour l’école, c’est une façon de hausser les résultats (le jeune ne sera plus comptabilisé dans la moyenne) et de diminuer les dépenses (le budget de personnel spécialisé varie selon les notes). Bref, le bulletin modifié tend à aider un peu tout le monde… sauf le jeune lui-même.

On comprend que l’école ne veuille pas décourager un enfant avec un échec en début de parcours. Mais l’évaluation n’est pas un service social ni un outil de renforcement positif. Égide Royer, professeur à l’Université Laval, fait une analogie avec un test de pression sanguine. Il faut donner le bon chiffre au patient, puis le comparer à la norme santé. Sinon, le malade ne connaîtra pas le progrès qui reste à faire, et il ne guérira pas.

Si le retard d’un élève de 10 ans n’est pas diagnostiqué puis corrigé, il risque de devenir insurmontable au milieu du secondaire. Il ne pourra plus aspirer à obtenir un diplôme ordinaire. Sous prétexte de l’aider, on aura ainsi rétréci ses possibilités d’avenir.

Les diplômes modifiés sont-ils fréquents ? On l’ignore, car le Ministère ne les recense pas. C’est plus facile de prétendre ainsi que tout va bien. Cette logique vaut d’ailleurs aussi pour la confusion entre les diplômes d’études secondaires et les qualifications et formations professionnelles.

La semaine dernière, le gouvernement Couillard n’a pas fermé la porte à une commission parlementaire sur l’ajustement automatique des notes. Mais il devrait élargir sa réflexion à l’ensemble des artifices qui dopent les résultats. Et surtout, pour mettre fin au traficotage, il devrait confier les données à un institut indépendant, comme le fait l’Ontario. Sinon, la dérive actuelle se poursuivra. Le gouvernement continuera de se donner des cibles, et la machine de trouver de tristes raccourcis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.