Opinion

Le capitalisme est-il sur la voie de l’autodestruction ?

Les contradictions fondamentales du capitalisme le pousseront-elles à l’autodestruction ?

Si l’on ne regarde que 2018, il semble que l’économie de marché soit en pleine santé. Depuis la crise financière de 2008-2009, la reprise continue. Le chômage est à la baisse et la création d’emplois à la hausse. Les indices boursiers atteignent même des sommets historiques, malgré le léger recul causé par la hausse des taux d’intérêt. Même la Chine a eu recours en partie à l’économie de marché, et son économie est en voie de surpasser celle des États-Unis.

Tout cela est vrai, mais il s’agit seulement d’une photo de la situation actuelle. Or, si la tendance se poursuit, l’avenir s’annonce moins radieux.

Pour le comprendre, revenons un peu en arrière. Le début des années 80 fut marqué par la fin des 30 glorieuses – la plus longue période de prospérité économique – et par l’arrivée au pouvoir de la droite (Thatcher au Royaume-Uni et Reagan aux États-Unis). Suivant l’idéologie de Milton Friedman et de l’école de Chicago, Thatcher et Reagan ont baissé les taxes et impôts, et déréglementé l’économie. Ce fut une attaque frontale contre les travailleurs et les syndicats, comme l’ont symbolisé les crises des mineurs de charbon anglais et des contrôleurs aériens américains. Leurs successeurs ont poursuivi cette déréglementation.

En parallèle, il y a eu les récessions du début des années 80, de la fin des années 90 (bulle immobilière), du début des années 2000 (bulle techno), et enfin la mère de toutes les récessions en 2008, dont les signes annonciateurs ont été ignorés. Les prêts à haut risque, les subprimes, ont été mis en cause. Je suis plutôt d’avis que les subprimes représentent le symptôme, et non la cause. La crise provient plutôt de la dérégulation débridée qui a entraîné une spéculation sans précédent, dont les subprimes ne sont qu’une des nombreuses manifestations.

La question n’est pas de savoir si une autre récession surviendra, mais plutôt quand, et quelle sera son ampleur. On peut prévoir que les gouvernements et banques centrales appliqueront les habituels remèdes keynésiens, et que les employeurs privés demanderont d’autres sacrifices à leurs employés. Les inégalités continueront ainsi d’augmenter.

De 1980 à 2018, le PIB mondial a pratiquement quadruplé. Mais cette richesse se retrouve concentrée dans un nombre décroissant de mains, et la tendance semble se poursuivre.

Si les inégalités se creusent encore, restera-t-il assez de consommateurs pouvant acheter tout ce que le système produit ?

Prenons l’exemple de Jeff Bezos, dont la fortune est évaluée à environ 150 milliards de dollars. Il n’achètera pas 100 000 iPhone, 10 000 voitures ou 1000 résidences. La même chose est vraie pour les autres ultrariches, qui deviennent plus nombreux.

Pour l’instant, la production mondiale réussit à trouver preneur, à cause de trois facteurs : l’augmentation de la population mondiale, l’émergence d’une classe dite moyenne capable de consommer dans le BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), et enfin, la croissance phénoménale de l’endettement des consommateurs dans les pays développés.

Pénurie de consommateurs

Lorsque surviendra l’inévitable hausse des taux d’intérêt, l’endettement freinera, ce qui baissera le nombre de preneurs pour les biens produits par la machine industrielle. D’ailleurs, malgré l’émergence d’une classe moyenne dans le BRIC, la concentration de la richesse y augmente aussi. En Chine, pays supposément communiste, un nombre croissant de milliardaires peuvent se payer les meilleurs avocats, fiscalistes et autres experts pour faire croître leur fortune déjà colossale, comme le font ailleurs les autres ultrariches. Force est de constater qu’ils réussissent somme toute assez bien.

Il me semble que le souhait le plus ardent de tout capitaliste est de voir son marché d’acheteurs croître le plus vite possible. Or c’est exactement le contraire qui se produit depuis presque 40 ans.

Quand Mme Thatcher et M. Reagan ont réduit taxes et impôts au début des années 80, ils promettaient un effet de ruissellement vers le bas, par lequel la richesse créée se répartirait dans toutes les classes sociales. C’est le même argument néolibéral dont se sert maintenant Donald Trump pour défendre ses injustifiables baisses d’impôts et de taxes. Même si tous les indicateurs prouvent que c’est exactement le contraire qui s’est produit et qui continuera de se produire.

Viendra donc un jour, pas si lointain, où la machine industrielle ne trouvera plus preneur pour la totalité de sa production. S’ensuivra une décroissance forcée, ce qui réjouira certainement les écologistes, mais qui entraînera soit une dislocation sociale, soit un retour à un régime de type féodal.

La solution : un effort mondial pour mieux répartir le pouvoir d’achat par la mise en place de régimes de revenu minimum garanti. Pour y arriver, nul doute que les gouvernements devront revoir de fond en comble la fiscalité. Mais il est bon de se souvenir que pendant la période la plus longue de grande prospérité, les 30 glorieuses, les taux d’imposition étaient infiniment plus élevés qu’ils ne sont depuis 40 ans, et qu’il existait dans tous les pays développés un fort impôt successoral. Je ne prétends pas que les impôts élevés causent la prospérité ; j’affirme simplement qu’ils ne sont pas incompatibles avec elle.

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