Théâtre  Critique

Ce qu’il reste de nous

Os, la montagne blanche
De et avec Steve Gagnon
Mise en scène de Denis Bernard
À La Licorne jusqu’au 1er décembre
3 étoiles et demie

Avec Os, la montagne blanche, la dramaturgie de Steve Gagnon est mise en valeur de belle façon dans un écrin de musique et de lumière original.

Un jeune archéologue perd sa mère et en perd pratiquement la tête. Il se rappelle les bons moments, mais surtout les enseignements de la disparue. Il lui en veut presque de l’avoir quitté, lui, le-pas-tout-à-fait-prêt à affronter la vie. 

Pour ne plus affliger sa compagne de son désespoir, il s’enfuit en Colombie. À l’aide d’une femme qui l’héberge et d’un travail de fouille qui lui fera remuer la terre et les méninges, le jeune homme retrouvera la raison.

Dans la perspective du passage à l’âge adulte, ce court récit nous parle avec justesse de filiation et de courage, de l’amour, de la mort et de l’apprentissage du vivre après la disparition d’êtres chers.

L’écriture de Steve Gagnon est belle, touchante, vraie, drôle aussi. Son récit a du rythme et fourmille d’images percutantes. Rarement creuse-t-on une relation mère-fils d’aussi belle façon.

Le metteur en scène Denis Bernard est à son meilleur quand il soutire de ses interprètes le maximum d’expression et de théâtralité dans un huis clos émotif, comme ici. Steve Gagnon est souvent renversant en fils éploré. 

La musique de Nicolas Basque et d’Adèle Trottier-Rivard – qui nous gâte aussi de sa voix enveloppante – et les éclairages d’Erwann Bernard complètent admirablement la performance. 

Malgré ses qualités et son aspect novateur, ce spectacle qui expérimente avec de nouvelles formes – dont l’absence de gradins – n’est pas parfait. Un passage du monologue portant sur la vie en banlieue nous apparaît futile et la musique de la deuxième partie, pas toujours synchrone avec le désarroi du personnage. 

Et malgré la volonté des créateurs d’en faire un spectacle « participatif », les podiums où se produit l’interprète créent un espace statique et contraignant. Ainsi, l’émotion, bien présente dans le texte et dans le jeu, n’arrive pas toujours à nous rejoindre.

Critique

Yo, la guerre yo !

L’Iliade
D’Homère
Adapté et mis en scène par Marc Beaupré, inspiré d’Homère, Iliade d’Alessandro Baricco
Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 6 décembre
4 étoiles

Grand moment de théâtre avec L’Iliade, adapté librement et mis en scène par Marc Beaupré. Un formidable travail d’équipe porté par une musique omniprésente.

Marc Beaupré et Stéfan Boucher y ont mis plusieurs années, mais le résultat est exceptionnel. Le temps, la réflexion et le bel ouvrage se sentent dans les moindres détails de cette production de L’Iliade. Une œuvre qui nous redit – puisqu’à l’évidence du chaos moral du monde actuel, il faut le répéter – la folie des hommes. Leur orgueil, leur jalousie et leur égoïsme qui détruisent tout.

Dans cette adaptation, on passe rapidement et intelligemment sur l’avant et l’après-Iliade (l’enlèvement d’Hélène et le cheval de Troie) pour se concentrer sur Achille et son talon qui ne se situe pas où on pourrait le penser. La véritable faille du héros grec, c’est sa dévorante vanité. 

Né et sculpté pour se battre, le parfait soldat refuse de reprendre l’épée parce qu’il s’est fait voler sa caisse de retraite – on paraphrase ici – par son gouvernement. À l’époque, ça s’appelait un roi.

Il laisse son meilleur ami, le vaillant et jeune Patrocle – peut-être son amoureux, selon certaines versions –, prendre son armure et son casque pour se battre à sa place. Son adversaire, le héros troyen Hector, le tue, Achille se venge, tue tout le monde, même un enfant, avant de terrasser Hector, comme il se doit. On résume ici.

Mais il y a la manière. Ah, la manière ! 

Tout en respectant certains codes anciens – comme l’utilisation du chœur –, Marc Beaupré renouvelle l’approche du texte en faisant décrire l’action plus qu’en la jouant. Mais le jeu lui-même s’enrichit d’une gestuelle empruntée au langage des signes et aux arts martiaux. Sans dépassement de coups.

Même chose pour la musique. Stéfan Boucher s’inspire des percussions japonaises et autres musiques atonales pour dire la guerre. Plus que tapis sonore, sa partition devient accessoire dans les mains des acteurs ou carrément personnage. Parfois très douce et acoustique, à d’autres moments tonitruante. Une composition inspirée.

La distribution est excellente, menée par des Emmanuel Schwartz et Jean-François Nadeau endiablés. Les acteurs et actrices jouent, chantent et bougent dans une chorégraphie simple mais efficace. Tous pour un et un pour tous, en servant le verbe.

Avec ce travail serré de mise en scène et d’interprétation, une scénographie très élaborée aurait été superfétatoire. Des tapis, des murs nus, comme si on était presque dans la ruelle. D’ailleurs, les références au hip-hop et au rap sont pertinentes ici. Qu’y a-t-il de si différent entre nos gangs de rue et les cités d’autrefois qui se battent, surtout pour la possession d’un territoire et de femmes ?

Nous le disions. L’orgueil, la jalousie et l’égoïsme des hommes les poussent à s’entretuer. À perpétuer les guerres, malgré les avertissements d’une Cassandre et les pleurs d’une Andromaque. À décider de rester aveugles et sourds, obstinément. À vouloir être les maîtres absolus du monde, malgré les appels à la compassion et les dénonciations millénaires.

Les Grecs ont tout dit, tout écrit. On l’a dit et répété aussi. Mais de le refaire avec une telle vision du texte, de la mise en scène, de l’interprétation et de la musique démontre encore une fois le grand savoir-faire théâtral d’ici, avec relativement peu de moyens. Cet excellent travail est de qualité d’exportation.

Théâtre  Critique

La bête humaine

Savoir compter 
De Marianne Dansereau Mise en scène de Michel-Maxime Legault
À la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 1er décembre.
2 étoiles et demie

Artiste en résidence à la salle Jean-Claude-Germain, Marianne Dansereau a un souffle et une écriture uniques. Sans mentionner une méthode de travail originale : elle s’est inspirée de vidéos d’animaux sur les réseaux sociaux pour écrire ses textes !

Dans Savoir compter, une pièce courte et déroutante, l’auteure Marianne Dansereau donne à ses personnages des étiquettes au lieu de noms : « La fille qui se demande combien » ; « La femme qui a de la misère avec son forfait illico » ; « Le gars de chez Vidéotron qui cruise des filles au McDo ».

Si la production, dirigée de main ferme par Michel-Maxime Legault, présente un intérêt formel et esthétique, et si la distribution est très bonne (mentionnons Annette Garant, « La femme qui a un problème avec son forfait illico », et Mathieu Quesnel, « Le prédateur du McDo »), sa dramaturgie nous a laissé pantois. L’auteure brouille les pistes sans raison. Elle abuse des « flashs » et des clichés sur la sexualité débridée. Veut-elle critiquer le côté sordide de la bête humaine ? Ou l’absurdité de la société de consommation ? Ou simplement repousser ses limites ?

Maudit cul !

L’intrigue se déroule sur plusieurs jours dans divers lieux. Ils sont évoqués uniquement par les didascalies dites à voix haute : un cabinet de gynécologue « avec des images de trompes de Fallope sur les murs » ; un salon avec « des divans de cuir et des machines d’exercice » ; un resto McDonald la nuit « quand les employés sont encore plus scrap que toi »…

L’auteure de 26 ans parle de « chatte ben serrée », de pogos rappelant la forme phallique, de « gars bandé comme un cheval », qui « se crosse mais n’est pas gai »… « Maudit cul ! », écrivait un certain auteur, plus âgé, à une époque où la sexualité était taboue au Québec, et où les femmes ne pouvaient pas en parler, encore moins au théâtre.

Savoir compter en parle abondamment. Tant mieux. Mais dans quel dessein ? Pour exprimer quoi ? On l’ignore.

Son histoire ouvre plein de portes et les referme aussitôt. Elle lance avec malice les répliques choquantes, provocantes. Or, tout ça devient rapidement lassant, pesant.

Au bout de 60 minutes, la représentation prend fin brusquement, sans qu’on puisse expliquer ce délire sordide et lubrique. On a beau en discuter à la sortie, entre ami(e)s, pour démêler les fils dramatiques, rien n’y fait. Du moins, pour « Le critique qui se demande à quoi sert » de Savoir compter.

critique

Valérie Doucet, grande exploratrice

Cirque
Une chambre de verre
De Nord Nord Est
Mise en scène de Benoit Landry avec Valérie Doucet et Julius Bitterling
À la TOHU jusqu’à ce soir
3 étoiles

Le premier spectacle de Nord Nord Est devait servir de signature à la jeune compagnie menée par Benoit Landry.

Le voyage d’hiver – créé à l’été 2013 avec l’artiste de cirque Anna Ward – se présentait comme une succession de tableaux vivants. Du théâtre d’abstraction et de contemplation livré par des acrobates – avec un minimum d’acrobatie. Si l’ensemble manquait de cohérence, les créateurs avaient réussi à créer des tableaux visuellement intéressants.

Avec Une chambre de verre, Benoit Landry marche dans ses propres pas, toujours aussi inspiré par le monde des arts visuels, qu’il mêle ici sans complexe avec la danse et le cirque. Comme dans Le voyage d’hiver, il en ressort des figures et tableaux étonnants, magnifiés par des éclairages subtils (Alexis Bowles) et une musique hypnotique (quoique parfois oppressante).

Mais le théâtre acrobatique de Benoit Landry n’est pas facile à percer. Il faut se laisser porter par ses ambiances tantôt cosmiques, tantôt aquatiques, qui relèvent parfois de l’exercice de style.

Une acrobate épatante

Une chambre de verre met en vedette Valérie Doucet, une des performeuses de cirque les plus charismatiques de l’heure. Elle a travaillé avec James Thierrée, Éloize, mais aussi avec la compagnie de cirque australienne Circa, bref, l’acrobate-contorsionniste sait capter l’attention du public. Elle fait équipe ici avec le jeune Julius Bitterling, diplômé de l’École nationale de cirque plus tôt cette année.

Les meilleurs moments de cette Chambre de verre sont d’ailleurs ceux où les deux artistes partagent l’espace de jeu. Dans cette espèce de « vivarium » où ils se donnent la réplique (non verbale), au sol ou dans les airs, mi-humains, mi-animaux. Entrelacés ou suspendus à cette structure de verre, lovés l’un contre l’autre ou en opposition, avec des effets miroirs parfois épatants.

Cette exploration de notre rapport à l’espace (et à notre liberté ?) est aussi une carte blanche à Valérie Doucet, qui explore tous les possibles de son champ artistique. Une artiste qu’on regarde toujours avec beaucoup de fascination.

Comme la contorsionniste Andréane Leclerc, qui s’est intéressée à la dramaturgie de la prouesse (avec sa pièce Cherepaka), Valérie Doucet tente elle aussi de déconstruire le côté spectaculaire de la contorsion et d’inventer un langage nouveau. Le tout pourrait décontenancer le spectateur qui, par réflexe, cherche à donner un sens à tout ça. En vain.

Malgré une certaine opacité, ce spectacle exploratoire (qui n’est pas un spectacle familial) est l’occasion – pour peu qu’on s’y accorde le droit – de se laisser voguer dans un monde imaginaire qu’on invente sous nos yeux. Ce qui n’est quand même pas banal, mais qui est assurément plus exigeant.

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