L’heure était à la désescalade mercredi entre l’Iran et les États-Unis au lendemain d’une attaque spectaculaire du régime islamique contre des bases irakiennes hébergeant de nombreux soldats américains.
Le président américain Donald Trump s’est félicité en matinée lors d’une allocution très attendue à la Maison-Blanche du fait qu’aucun soldat du pays n’avait été tué et que les dommages matériels s’avéraient « minimes ».
Il a affirmé par ailleurs que le régime iranien semblait « reculer » à la suite de l’attaque et s’est borné à annoncer de nouvelles sanctions économiques contre Téhéran sans évoquer de nouvelle action militaire (voir onglet 4).
Plus d’une douzaine de missiles balistiques ont été lancés contre les bases par l’Iran, qui voulait venger l’assassinat ciblé de l’influent général iranien Qassem Soleimani, survenu en Irak vendredi sur ordre du chef d’État américain.
Ali Vaez, spécialiste de l’Iran rattaché à l’International Crisis Group, s’est dit convaincu mercredi que le régime islamique avait volontairement cherché à éviter de faire des victimes américaines, offrant du coup au président Trump une « porte de sortie » lui permettant d’écarter une nouvelle réplique militaire.
Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a « toujours cherché par le passé à calibrer attentivement ses confrontations avec les États-Unis de manière à ne pas amener le pays à utiliser sa pleine puissance militaire », relève l’analyste.
État d’alerte
Le gouvernement irakien a précisé mercredi que Téhéran l’avait avisé de l’imminence de frappes contre les bases, où se trouvaient notamment des soldats irakiens et américains, ce qui a pu donner du temps aux militaires pour se mettre à l’abri dans des bunkers.
Le chef d’État américain a plutôt évoqué mercredi l’efficacité des systèmes de détection en place pour expliquer l’absence de victimes parmi les soldats. Les bases étaient en état d’alerte, anticipant une attaque.
Thomas Juneau, un spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, estime que le régime iranien a choisi une approche réfléchie mais « risquée » pour rétorquer à la mort du général Soleimani, qui dirigeait une unité d’élite des Gardiens de la révolution islamique.
« L’un des missiles aurait pu mal fonctionner et tomber à un endroit indésirable ou des soldats américains auraient pu être frappés faute de s’être protégés correctement. »
— Thomas Juneau
L’administration américaine avait prévenu Téhéran à de multiples reprises au cours des derniers jours que toute nouvelle attaque faisant des morts américains entraînerait une réponse massive.
Malgré l’absence de victimes, l’Iran a envoyé un « message important » en montrant qu’il était disposé à cibler directement des intérêts américains avec ses forces militaires, relève M. Juneau, qui parle d’une première.
« Habituellement, ils agissent toujours indirectement par l’entremise de groupes armés affiliés », relève l’analyste, qui insiste sur le fait que la crise est loin d’être terminée.
« Il y a une désescalade par rapport à la crise aiguë qu’on connaissait depuis une dizaine de jours. On est revenu au climat de tension élevée qui régnait avant. Ce n’est pas une position agréable », souligne-t-il.
Preuve de « témérité »
Ali Vaez, de l’International Crisis Group, pense que l’attaque iranienne est symboliquement importante pour le régime islamique et devrait lui permettre de faire valoir « sa témérité » auprès de la population iranienne malgré l’absence de victimes.
Il estime qu’il y a de fortes chances que l’Iran poursuive les représailles contre les États-Unis, mais d’une manière moins directe.
L’ayatollah Ali Khamenei a indiqué sur Twitter que le régime iranien avait donné « une claque » aux États-Unis avec le tir de missiles, « mais de telles actions militaires ne sauraient suffire ».
Thomas Juneau pense que l’Iran va revenir à son modus operandi habituel et utiliser des groupes armés alliés pour mener de nouvelles actions contre les États-Unis sans se retrouver en première ligne. Encore mercredi, deux roquettes se sont abattues sur la Zone verte de Bagdad, où se trouve l’ambassade des États-Unis. Les tirs, une troisième attaque dans le secteur en cinq jours, n'ont pas été revendiqués.
Le régime iranien aimerait particulièrement forcer le départ d’Irak des troupes américaines, un scénario écarté pour l’heure par l’administration Trump, qui a invité mercredi l’OTAN à jouer un rôle plus actif au Moyen-Orient.
Le président américain a profité de l’attention médiatique pour fustiger l’accord nucléaire iranien qu’avait négocié son prédécesseur, Barack Obama, et que sa propre administration a rejeté.
Washington suit depuis plusieurs mois une stratégie de « pression maximale » contre l’Iran afin d’amener notamment le pays à signer un nouvel accord et il a semblé vouloir renforcer cette approche mercredi avec l’annonce de nouvelles sanctions.
M. Vaez note que cette stratégie a contribué à l’escalade avec l’Iran et risque de mener à de nouveaux affrontements.
« S’ils continuent dans la même voie, tout ce qu’ils ont fait aujourd’hui, c’est gagner du temps jusqu’à la prochaine confrontation », souligne l’analyste.
Des soldats canadiens dans l’une des bases visées
Le premier ministre Justin Trudeau a confirmé mercredi, au cours d’une conférence de presse, que des soldats canadiens se trouvaient bel et bien dans l’une des bases visées par des missiles iraniens, à Erbil. On sait que 500 militaires du pays étaient déployés en Irak avant les événements récents pour contribuer au renforcement des capacités militaires irakiennes et défaire le groupe armé État islamique. Les autorités canadiennes ont indiqué que des troupes avaient été évacuées au Koweït, mais ont affirmé qu’il restait tout de même une présence militaire canadienne en Irak, sans préciser le nombre de soldats. Tous sont en sécurité. Interrogé pour savoir si son gouvernement allait répondre à l’appel du président américain Donald Trump, qui souhaite que l’OTAN soit plus présente dans la région, M. Trudeau a affirmé que le Canada en faisait déjà beaucoup. Il a indiqué par ailleurs qu’il continuait à prôner une « désescalade » de la situation avec l’Iran, y compris lors d’une conversation tenue avec le chef d’État américain mercredi.
— Philippe Mercure, La Presse
La continuité sans le charisme à la tête de la force Qods
Esmaïl Qaani, le nouveau chef de la force Qods désigné pour remplacer Qassem Soleimani, a un long parcours de gardien de la révolution et semble taillé pour assurer la continuité, mais sans le charisme de son prédécesseur éliminé par les Américains. « Après le martyr du glorieux général Qassem Soleimani, je nomme le brigadier général Esmaïl Qaani commandant de la force Qods » des Gardiens de la Révolution, a déclaré l’ayatollah Ali Khamenei dès vendredi dernier. M. Qaani était jusqu’ici chef-adjoint de la force Qods, chargée des opérations extérieures de l’Iran. L’ayatollah Khamenei l’a décrit comme « l’un des commandants les plus décorés » des Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988). Selon les éléments du chercheur Ali Alfoneh dans une note de l’Arab Gulf States Institute à Washington, M. Qaani a rejoint les Gardiens de la Révolution très peu de temps après l’instauration de la République islamique de 1979. Son parcours le conduira au Kurdistan iranien pour combattre les séparatistes kurdes, et il participera aux combats de la guerre Iran-Irak, au cours de laquelle il se liera d’amitié avec M. Soleimani. Si ce dernier « émerge rapidement comme un chef charismatique […], Qaani semble plus cantonné à des tâches quotidiennes administratives et bureaucratiques », selon M. Alfoneh. C’est une des différences clés : « Qaani n’a pas le charisme de Soleimani, ni sa compréhension du Levant », relève Annalisa Perteghella, chercheuse à l’institut italien ISPI. — Agence France-Presse