Pollution en Chine

Rescapés de l’« airpocalypse »

Pendant deux ans, alors qu’elle vivait à Shanghai, Yu a rêvé – et tenté – d’avoir des enfants. En vain. Il a fallu que la femme d’affaires chinoise émigre à Laval pour tomber très vite enceinte de son premier garçon.

Est-ce l’air toxique des mégapoles chinoises qui lui nuisait ? « On n’en a pas la preuve scientifique, mais on sait que la même chose a été vécue par d’autres couples, chinois ou mixtes », précise son conjoint, Mathieu Perron, qui a enseigné six ans en Chine avant de revenir au Québec.

« À Beijing [Pékin], surtout, c’était une fournaise toxique indescriptible, expose l’enseignant d’histoire. Même au lycée français de Shanghai, les enfants ne pouvaient pas sortir aux récréations environ un jour sur trois. Ceux qui naissent là-bas ont beaucoup de problèmes respiratoires. Il valait mieux quitter les lieux. »

Sa conjointe était entièrement d’accord. « En Chine, expose-t-elle, on a même peur de manger, parce que la terre et les aliments sont contaminés eux aussi. »

De plus en plus d’exilés

Résultat : « il y a maintenant un manque criant d’enseignants étrangers en Chine », rapporte Mathieu Perron. Et les couples mixtes et les expatriés ne sont pas les seuls à déguerpir. Depuis peu, la pollution extrême provoque aussi l’exode de milliers de Chinois d’origine.

À Montréal, le phénomène est palpable, assure le courtier immobilier William Gong, qui leur vend des maisons à Westmount, au centre-ville de Montréal et à Brossard.

« Environ la moitié des acheteurs chinois me disent qu’ils s’installent au Canada pour échapper à la pollution. Ils en avaient assez de ne pas pouvoir respirer et de devoir porter un masque presque tous les jours. »

— Le courtier immobilier William Gong

Mikaël Charrette a vu la vague prendre de l’ampleur durant la décennie qu’il a passée à Pékin, comme avocat en droit de l’immigration. En 2004, plus de 90 % de ses clients chinois lui disaient vouloir émigrer pour bénéficier d’un meilleur système d’éducation. « Mais en 2016, près de la moitié invoquaient d’abord la pollution. »

Des pics de brouillard de plus en plus toxiques ont provoqué ce revirement, dit-il. Tout comme le fait que l’information – longtemps censurée par le gouvernement – est soudain devenue accessible. « Les Chinois se déplacent maintenant avec des lecteurs de pollution portatifs », précise l’avocat.

La population a ainsi découvert que la concentration de particules polluantes est souvent 10 ou 20 fois trop forte, atteignant des niveaux jugés « très malsains » et « dangereux » par les organismes internationaux. En 2013, une fillette de 8 ans vivant en bordure de Shanghai a reçu un diagnostic de cancer du poumon. Son médecin, Feng Dongjie, a déclaré que la pollution de l’air avait causé la tumeur.

L’an dernier, Mikaël Charrette s’est résigné à rentrer. « Au début, je minimisais l’impact sur la santé. Mon fils de 6 ans avait besoin d’une pompe, et je me disais que des enfants asthmatiques, ça existe partout. Mais quand on venait passer un mois d’été au Québec, il n’avait jamais de problèmes. »

Des écoles de la Rive-Sud de Montréal reçoivent même des écoliers en exil que leurs parents envoient seuls dans des familles d’accueil, pour leur permettre, entre autres, d’étudier à l’air pur. « Quand ils visitent leurs enfants, ils s’empressent d’afficher des photos du ciel bleu sur les réseaux sociaux, en soulignant combien c’est rendu rare chez eux », rapporte la géographe et ingénieure Ping Huang, qui aide ces familles à communiquer avec la commission scolaire.

« Airpocalypse »

C’est la combustion effrénée d’essence et de charbon qui pollue l’air des mégapoles chinoises. Cernés de montagnes, Pékin et ses environs sont particulièrement frappés, surtout l’hiver, quand l’air froid et enfumé se trouve emprisonné sous une couche d’air plus chaud.

En 2014, la pollution rendait déjà la capitale chinoise « presque inhabitable par les êtres humains », écrivait la Shanghai Academy of Social Sciences.

Plusieurs fois par an, lors d’alertes rebaptisées « airpocalypses », les hôpitaux se remplissent et les écoles se vident. Le brouillard jaunâtre est parfois si épais que des centaines de vols sont annulés et des routes fermées. En 2013, les automobilistes ne distinguaient même plus les feux de circulation dans la métropole d’Harbin, située à 1200 km de Pékin.

« Même les jours normaux, on avait les yeux qui piquaient et des maux de tête. On se sentait comme étourdis et lourds. Il y avait une constante odeur de charbon, de produits chimiques, partout, même sur les vêtements. »

— Mathieu Perron, qui a enseigné six ans en Chine

Quelques semaines après son arrivée en Chine, l’enseignant québécois a commencé à avoir la voix rauque et contracté une toux chronique. « On appelle ça la voix de Beijing ! »

« La pollution, on la sent physiquement ; une pellicule de saleté nous recouvre le visage et les cheveux, confirme son ancien professeur, Éric Mottet, spécialiste de la Chine au département de géographie de l’UQAM. Souvent, on ne peut même pas dire s’il fait soleil derrière le brouillard. »

En 2014, des scientifiques chinois ont déclaré que la pollution de l’air – tel un « hiver nucléaire » – ralentissait la photosynthèse des plantes. Autre problème majeur : 60 % des eaux souterraines chinoises sont impropres à la consommation et 19 % des terres agricoles sont gravement contaminées par des métaux lourds. Le riz est parfois empoisonné au cadmium et de nombreux fruits et légumes, noyés de pesticides.

Deux réalités

Selon les sondages de l’institut de recherche Hurun, le tiers des « super riches » chinois avaient déjà émigré en 2014. Et près de la moitié des millionnaires encore présents y songent cette année.

Leurs compatriotes qui n’ont pas les moyens de s’exiler se réfugient périodiquement à la campagne. Ou crient leur mécontentement de plus en plus fort. D’après la banque Goldman Sachs, en 2013, la moitié des manifestations ayant réuni plus de 10 000 Chinois dénonçaient la pollution.

Censure et espoir

De nombreux Chinois sont convaincus que les autorités leur cachent l’ampleur de la contamination pour éviter une révolte. Début février, le gouvernement a interdit aux stations météorologiques de lancer des alertes. En 2012, il avait déclaré « illégales » les mesures de l’ambassade américaine à Pékin. Deux ans plus tôt, cette dernière avait qualifié l’air de « follement mauvais » dans un tweet. Le gouvernement a aussi censuré un documentaire-choc en 2015. Et les données relatives aux émissions toxiques sont souvent falsifiées par les usines. Malgré tout, les autorités chinoises prennent le problème très au sérieux, assure le professeur Éric Mottet, spécialiste de la Chine à l’UQAM. Après avoir déclaré « la guerre à la pollution » en 2014, le gouvernement a fermé des usines, imposé des amendes et emprisonné des centaines de pollueurs. À partir de 2018, les entreprises seront par ailleurs taxées au prorata de leurs rejets.

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