SÉBASTIEN DAVID

Prise de parole

En résidence au Théâtre Denise-Pelletier, le Théâtre Bluff a invité Sébastien David à créer une pièce intergénérationnelle pour mieux comprendre le chaos du monde. Avec Les haut-parleurs, l’auteur et metteur en scène démontre que la relève du théâtre québécois n’a pas la langue dans sa poche.

En trois courtes et fortes pièces – T’es où Gaudreault, Ta yeule Kathleen et Les morb(y)des –, Sébastien David a prouvé sa belle maîtrise de l’écriture théâtrale. L’auteur de 32 ans a un univers bien à lui, dans lequel il explore la solitude et la misère urbaines. Sans aucun misérabilisme.

Et pourtant, Sébastien David est d’abord un acteur. Il a été admis très jeune (à 18 ans) à l’École nationale de théâtre en interprétation. Depuis sa sortie, en 2006, on l’a vu jouer dans une quinzaine de productions. « Je suis fier de mon parcours, dit-il en entrevue avec La Presse. Avoir la possibilité de connaître les planches nourrit mon travail d’auteur. Le jeu, la mise en scène et l’écriture, c’est vraiment lié, pour moi. C’est aussi la première saison où je ne joue pas au théâtre… Ça me stresse un peu. »

Il y a une rythmique, une musicalité dans le théâtre de David. « J’aime l’architecture de la dramaturgie, admet-il. J’accorde beaucoup d’importance à la forme. Si j’ai choisi le théâtre, c’est pour la résonance des mots dans un espace et devant des spectateurs ; c’est pour assister à l’éclosion d’une parole sur une scène. »

La langue râpeuse et crue de ses pièces précédentes a changé avec Les haut-parleurs (qui sera publiée aux éditions Leméac mercredi, le jour de sa création à la salle Fred-Barry). En préface, Sébastien David cite Éluard : « Le passé est un œuf cassé, l’avenir est un œuf couvé. » Et l’avenir est incertain dans sa nouvelle pièce.

DANS LA JUNGLE DES VILLES 

On y voit un adolescent, fils unique d’une mère dépressive qui l’a abandonné, affronter ses peurs, l’espace d’un été caniculaire. Il vient de déménager avec son père. La ville est déserte, car tout le monde est en vacances. Il reste le Voisin, un artiste et musicien électroacoustique, et Greta, une adolescente qui se réfugie dans un frigo à bière pour fuir la chaleur !

Le fils de 16 ans est tiraillé entre ces deux amitiés incompatibles. Entre Greta qui cache, sous une moralité bien-pensante, son ennui et sa peur de la différence, et un artiste « louche » de 65 ans qui lui apprendra, entre autres, qu’il est possible d’organiser le chaos. 

Sébastien David signe lui-même la mise en scène de sa pièce. Il dirige deux jeunes acteurs, Marie-Hélène Bélanger et Guillaume Gauthier, et le vétéran Richard Thériault (un collaborateur de Wajdi Mouawad). La représentation sera très sonore avec une trame musicale signée Olivier Girouard. 

Influencé par des auteurs contemporains comme l’Australien Daniel Keene et le Norvégien Jon Fosse, David aime explorer des formes et des thèmes nouveaux d’une œuvre à l’autre. « Dans Les haut-parleurs, j’ai commencé à écrire de longs passages sans ponctuation. Ce que j’appelle des litanies du cœur. Ces monologues nous permettent d’entrer directement dans la psyché du personnage. »

« Je pars souvent d’une image, et non d’une situation, que je développe au fur et à mesure, poursuit le dramaturge. J’aime trouver en cours d’écriture le truc qui nous ramène au théâtre, qui nous éloigne du naturalisme. » 

« J’ai déjà essayé d’écrire pour le cinéma, et la réalisatrice disait : “Il y a trop de mots dans tes dialogues.” Dans ma tête, c’est juste impossible d’écrire trop de mots ! »

— Sébastien David

À PARIS, LES QUÉBÉCOIS CARTONNENT

À la mi-octobre, Sébastien David a fait partie d’une petite délégation de créateurs québécois au premier Festival du Jamais Lu à Paris. L’auteur en est revenu totalement emballé ! 

« En France, en Suisse, en Belgique, il y a actuellement un vif intérêt pour la nouvelle dramaturgie québécoise. À Paris, il y a eu un événement intitulé “Les Québécois hackent la dramaturgie française”. Des acteurs français ont lu des pièces de Sarah Berthiaume, Mathieu Gosselin, Simon Boudreault… Constat ? Les Français ne sont pas du tout rebutés par notre langue. Au contraire, ils adorent sa théâtralité. Plus c’était joué en gros québécois, plus le public embarquait ! »

D’ailleurs, en mars dernier, sa pièce Les morb(y)des a été lue à la Comédie-Française et y a remporté le coup de cœur du public. « Le public français dit que les Québécois ont un rapport sensuel, truculent et jouissif avec les mots. Ce qui distingue notre dramaturgie en Europe », conclut le jeune auteur.

L’avenir sera théâtral ou ne sera pas. 

À la salle Fred-Barry du 3 au 21 novembre

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