Montréal

verrues urbaines

Elles sont parfois abandonnées, parfois entretenues. Parfois vacantes, parfois occupées. Mais elles ont toutes un point en commun : elles sont laides. Les verrues urbaines défigurent des portions importantes du cœur de Montréal. Pendant que les propriétaires s’en lavent les mains ou appellent à la patience, l’administration municipale se dit impuissante.

UN DOSSIER DE PHILIPPE Teisceira-Lessard

Dix verrues parmi tant d’autres

Pourquoi ne pas trouver et contacter les propriétaires d’immeubles qui défigurent Montréal afin de leur demander des comptes sur l’état de leur propriété ? C’est avec cette idée en tête que La Presse a établi une liste de 10 verrues urbaines particulièrement répugnantes, présentées ici sans ordre particulier. La liste aurait pu s’allonger bien davantage, mais nos choix se veulent représentatifs. Vous avez une autre « verrue » à proposer ?

L’ancienne gare Centrale d’autocars

1717, rue Berri

Une décennie après l’inauguration de la nouvelle gare d’autocars de Montréal, les touristes et les autres voyageurs qui l’empruntent doivent toujours longer le cadavre de la précédente pour rallier la station de métro Berri-UQAM. Adopté par les sans-abri, bordé de clôtures métalliques récemment recouvertes d’un filet de sécurité, le bâtiment brun tranche face à la Grande Bibliothèque. L’édifice a récemment été récupéré par la Ville de Montréal, qui y loge une entreprise d’économie sociale et un organisme communautaire. Mais le responsable de l’habitation de l’administration Plante, Robert Beaudry, promet de lancer un chantier pour trouver une idée de réaménagement.

Les Silos de la Canada Malting

5022, rue Saint-Ambroise

Les silos de la Canada Malting, près du canal de Lachine, sont un témoin important de l’histoire industrielle de Montréal. Mais leur état est tellement dégradé qu’ils constituent plutôt une tache dans le Sud-Ouest. La situation compromet « la sécurité du public et également la valeur patrimoniale du site », selon l’Office de consultations publiques de Montréal (OCPM). Le complexe appartient à la famille Quon depuis au moins 20 ans. Au domicile familial, une femme a sèchement répondu à La Presse que personne ne désirait commenter le sujet. Un projet de réaménagement annoncé en 2017 par la firme Renwick ne s’est jamais concrétisé.

Ensemble résidentiel vacant

4651, rue Saint-André

Leur emplacement au cœur du Plateau en ferait des logements parfaits pour de nombreuses jeunes familles, mais les appartements de Stevens Coulombe sont vacants, barricadés et clôturés depuis au moins 2017, angle de Bienville et Saint-André. La même année, le journal Metro a rapporté que M. Coulombe s’était vu refuser un permis de démolition pour cet ensemble immobilier. Le promoteur n’en est pas à ses premières frictions avec une autorité municipale : la Ville de Québec vient tout juste de l’exproprier de la Maison Pollack, un bâtiment patrimonial qu’il aurait malmené, sur la Grande Allée. M. Coulombe n’a pas rappelé La Presse.

Maisons défigurées

1816, rue Atateken

Ces maisons d’ouvriers appartiennent à la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM), un organisme paramunicipal, et sont vacantes. Contrairement à d’autres bâtiments de ce palmarès, aucun risque qu’elles s’écroulent. Il y a quatre ans, l’organisation a fait installer d’énormes barres de fer qui défigurent l’édifice pour retenir la façade de briques. L’édifice avait de graves problèmes de structure, a indiqué la présidente de la SHDM, Johanne Brunet, en entrevue téléphonique. « Refaire complètement les fondations, ce sont des investissements majeurs », a-t-elle souligné. Surtout que l’immeuble de 1870 est promis à la démolition pour laisser la place à un projet à l’intention des sans-abri.

Un triplex avec vue

211, avenue du Mont-Royal Ouest

Ce triplex face au mont Royal possède l’une des meilleures vues de Montréal, mais offre un coup d’œil médiocre aux passants, avec sa façade en très mauvais état. Il appartient depuis 2019 à Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth, deux hommes d’affaires montréalais qui ont récemment fait les manchettes après avoir été accusés par leurs locataires de faire des rénovictions. MM. Shiller et Kornbluth rénovent de fond en comble l’immeuble, que La Presse a pu visiter début mai, pour en faire des appartements. « On met de l’amour », a expliqué M. Kornbluth, qui dit attendre un permis de la Ville pour s’attaquer à la façade.

Un immeuble en ruine

1892, rue Saint-Timothée

Cet immeuble de trois étages de la rue Saint-Timothée, dans Centre-Sud, était déjà dans un état déplorable en 2007, les plus vieilles images disponibles sur Google Images. Il est adjacent à un terrain vague donnant sur la rue Ontario, ceint de murs temporaires, eux aussi érigés depuis au moins 2007. Il appartient à Marcel H. Taillefer depuis 30 ans. Pourquoi laisse-t-il son immeuble en si mauvais état ? « Je ne pourrais pas vous répondre, a-t-il dit à La Presse. Je n’ai pas le goût de faire les manchettes. »

L’ancienne Cantina

9090, boulevard Saint-Laurent

L’ex-restaurant La Cantina, associé à la mafia montréalaise, a été incendié en 2014. Depuis, le bâtiment barricadé enlaidit une portion du boulevard Saint-Laurent – juste au nord de l’autoroute Métropolitaine – déjà difficile à aimer. La construction est en mauvais état et son rez-de-chaussée est couvert d’affiches. Ses propriétaires depuis 2015, les hommes d’affaires Mark et Ronnie Gottlieb, cherchent à vendre le bâtiment avec une grosse affiche sur le flanc de la construction. « Pour l’instant, je n’ai aucun commentaire à ce sujet-là », a affirmé M. Gottlieb lorsque La Presse l’a joint.

Un garage au cœur d’une revitalisation

1441, boulevard Saint-Laurent

Alors que la portion du boulevard Saint-Laurent située entre Sherbrooke et René-Lévesque se développe rapidement, depuis quelques années, cet ancien garage fait le chemin inverse. Fermé depuis au moins cinq ans, le bâtiment est barricadé et clôturé. Peter et Sheldon Schreter sont propriétaires du terrain depuis 1993. Le premier était fort mécontent de nos questions quant à l’entretien de la propriété. « À mon avis, vos questions sont ridicules, a-t-il dit. C’est une localisation très importante et il y aura une décision probablement dans 6 à 12 mois quant à ce qui sera construit à cet endroit. » Le bâtiment a été repeint il y a quelques jours.

Un immeuble de coin abandonné

920, avenue Duluth

Cet immeuble de coin est barricadé depuis au moins 2018, après l’évacuation de ses locataires par les services d’urgence en raison de son état structurel. En pleine avenue Duluth, il a piètre allure avec ses affiches à moitié décollées, ses graffitis et sa façade de briques en mauvais état. Il a été très récemment acquis par Darren Reid et Mark Dichter, de la firme Verterra Developments. « Nous avons récemment acheté cette propriété pour la restaurer et en faire un nouveau projet », a indiqué M. Reid par courriel. « Nous travaillons avec la Ville pour déterminer le meilleur projet pour le quartier. »

Une façade en clôture Frost

3744, rue Saint-Denis

Cet immeuble, une ancienne école professionnelle, abrite maintenant des bureaux du Centre de services scolaire de Montréal. Depuis quelques mois, son parement de briques est complètement recouvert de treillis métallique rappelant les clôtures Frost. Dans un courriel à La Presse, le porte-parole de l’organisation évoque une « sécurisation temporaire de l’enveloppe de ce bâtiment ». « Les plans et devis sont en préparation. Une demande de permis à l’arrondissement du Plateau-Mont Royal cheminera pour approbation », a affirmé Alain Perron. « L’échéancier de réalisation des travaux devra cependant être coordonné avec un projet de réfection des infrastructures municipales. »

Des outils pour la sécurité, rien pour la beauté

Les services municipaux d’inspection disposent d’outils puissants pour s’assurer que les immeubles sont sûrs, mais pas pour faire en sorte qu’ils soient beaux, déplore l’administration Plante.

Robert Beaudry, responsable de l’habitation au sein de l’administration Plante, a expliqué en entrevue que la Ville de Montréal est essentiellement impuissante devant une propriété qui pollue visuellement un quartier. Et certains propriétaires, animés d’un « pur esprit spéculatif », en profitent allègrement.

« Nos pouvoirs sont essentiellement dans ce qui touche la sécurité. On a des leviers là-dessus », a-t-il dit en entrevue téléphonique avec La Presse.

« Après, on ne peut pas forcer quelqu’un à développer. […] S’il paie ses taxes, il a son droit de propriété. »

— Robert Beaudry, responsable de l’habitation au sein de l’administration Plante

Rien n’empêche un propriétaire d’immeuble de le barricader en attendant une offre alléchante d’un promoteur immobilier.

C’est un problème réel, de l’avis de M. Beaudry. « La différence entre notre administration et les administrations précédentes, c’est qu’on a reconnu l’enjeu des bâtiments vacants et leur impact négatif sur le tissu urbain », a-t-il fait valoir. Un bâtiment patrimonial, par exemple, ne peut pas rester inoccupé pendant des années sans qu’il y ait un impact (parfois irrémédiable) sur son état physique.

Pas de solution tous azimuts

L’élu croit qu’il n’y a pas de solution tous azimuts pour lutter contre la déréliction immobilière à Montréal. La Ville peut intervenir directement de façon exceptionnelle pour acquérir un immeuble d’intérêt, mais n’a pas vocation à acheter chaque duplex barricadé, a souligné M. Beaudry.

Quand le bâtiment a une certaine taille, la Ville « peut faire des partenariats pour faire des usages transitoires » en logeant des commerces ou des entreprises sur une base temporaire, a-t-il dit. « Il faut qu’on s’assure que ce soit sécuritaire », toutefois.

Quant aux « petites verrues urbaines », « c’est beaucoup plus difficile », a-t-il dit. Des programmes sont en place pour appuyer les propriétaires de bonne foi, notamment en donnant un coup de pouce financier pour les rénovations de façades commerciales.

Le silo no 5 dans la brume

Est-ce une verrue ou un chef-d’œuvre ? Le silo no 5 du port de Montréal, devenu un symbole de la métropole, continue aujourd’hui son éternelle quête d’une seconde vie. Un appel public à propositions pour sa revitalisation a été lancé il y a plus de deux ans par son propriétaire – la Société immobilière du Canada (SIC) – sans que le résultat n’ait jamais été annoncé au public. Selon les informations publiées par La Presse quelques mois plus tard, c’est le développeur Devimco qui a remporté la mise. Avec quel projet ? Impossible de le savoir. « Le processus de diligence suit son cours », se limite à dire Marcelo Gomez-Wiuckstern, porte-parole de l’organisation. Silence radio chez Devimco aussi. La SIC avait déjà échoué à revitaliser le secteur à temps pour le 375e anniversaire de Montréal, tel qu’elle le planifiait en 2010. De multiples autres projets sur ces lieux emblématiques sont morts dans l’œuf au fil des années.

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