Éducation

« Ça prend de l’huile de bras »

La semaine prochaine, la rentrée aura des airs de fête pour bien des enfants, mais ce sera aussi un moment de réjouissance pour la vingtaine de membres fondateurs de l’école les Saules Rieurs, officiellement nommée « école alternative Verdun-Lasalle ».

L’école dont ils ont rêvé pour les enfants de ce quartier montréalais ouvre finalement ses portes après plus de quatre ans de travail acharné. « C’est immensément difficile », dit Catherine Dion, qui a été impliquée dans le projet et dont le fils fréquentera la maternelle de cette école dès la semaine prochaine.

« Il y a beaucoup de règles, beaucoup d’étapes qui doivent être franchies. Ça prend de l’huile de bras, de la persévérance et quelques étoiles alignées pour que ça arrive. » — Catherine Dion

Le chemin qui mène à la création d’une école alternative a beau être long, il ne décourage pas des parents de soumettre chaque année des projets d’école à des commissions scolaires partout dans la province. À la rentrée 2017, le Réseau des écoles publiques alternatives du Québec (REPAQ) compte dans ses rangs 41 écoles, dont près du quart ont été créées ces deux dernières années. Toutes prônent un respect accru du rythme de l’enfant dans les apprentissages et une grande implication des parents dans l’école.

« Le scénario habituel, ça commence souvent par une mère de famille qui se réveille le matin et qui dit : “Il faut absolument que mon enfant aille dans une école alternative” ; qui rameute des gens de son milieu ; qui s’aperçoit que son idée est bonne et que plusieurs trouvent qu’elle est bonne », dit Pierre Chénier, porte-parole du REPAQ.

Mariepier Couture, 32 ans, est une de ces mères de famille pour qui mettre sur pied une école alternative était une façon d’offrir à ses enfants une éducation différente de celle qu’elle avait reçue.

« J’ai trouvé l’école très, très difficile. Je n’étais pas dans le même moule que tout le monde. »

« Quand j’ai vu la documentation sur les écoles alternatives, je me suis dit qu’il m’aurait fallu ça pour réussir et que c’était la meilleure chose que je pouvais offrir à mes enfants. Je voulais que la communauté ait accès à quelque chose de nouveau. »

— Mariepier Couture

Avec une amie, elle a formé un comité pour mettre sur pied une école alternative à Valleyfield. Bien que ses deux enfants ne soient pas encore d’âge scolaire, la jeune femme a contribué à concevoir le projet et à aller chercher des appuis. Comme les six autres membres du comité fondateur, elle s’est rompue à la démocratie scolaire et a fréquenté assidûment le conseil des commissaires de sa commission scolaire. « On y est allés presque chaque mois pendant quatre ans », dit-elle.

Jeudi, une quarantaine d’enfants de maternelle, 1re et 2e année découvriront les nouvelles classes de l’école qui porte encore officieusement le nom de « La Traversée ». L’an prochain, Mariepier Couture verra sa fille entrer à l’école qu’elle a créée pour elle.

Des parents impliqués

Les écoles alternatives qui voient le jour sont-elles le fait d’une génération de parents qui veut s’impliquer davantage ? Chose certaine, les parents qui en veulent jugent que l’école que l’on pourrait qualifier de « traditionnelle » ne répond plus aux besoins de leurs enfants.

« La génération des 30-40 ans est particulièrement intéressée par l’école alternative et nous sert un discours qui n’est pas du copier-coller de ce qu’on a écrit, dit le porte-parole du REPAQ, Pierre Chénier. Ce n’est pas parce qu’ils sont frustrés de l’école qu’ils ont connue, mais parce qu’ils connaissent un stress de la performance dans leur travail et ne veulent pas que leur enfant vive la même chose. »

« Ce sont des parents qui s’intéressent beaucoup à l’éducation de leur enfant et qui finissent par avoir des exigences auxquelles le système ne peut plus satisfaire. »

— Pierre Chénier, porte-parole du REPAQ

Impliquée dans la fondation de deux écoles alternatives, Catherine Dion a déjà cherché avec d’autres parents d’où venait l’intérêt accru autour de ces écoles. « On s’est demandé si ce n’était pas parce qu’on est des parents issus de l’arrivée des CPE. On a peut-être été plus longtemps avec notre enfant, plus impliqués, donc on serait dans cette poursuite-là. Il y a aussi un effet boule de neige : plus il s’en fait, plus on en veut », dit-elle.

La volonté d’obtenir une école à son goût se bute parfois à plusieurs obstacles. L’an dernier, Chantal Coulombe et son groupe ont essuyé une fin de non-recevoir de la part de la commission scolaire des Laurentides pour le projet d’école alternative qu’ils souhaitaient créer. Le manque d’espace pour accueillir les enfants a été évoqué.

Malgré ce refus, le groupe d’une douzaine de mères ne désespère pas de voir bientôt une école alternative naître dans les Laurentides et poursuit ses démarches. Son école idéale serait axée sur la nature. « Je pense qu’il y a un petit regain pour l’école alternative qui vient avec la génération de jeunes parents. Il y a un retour du vivre sainement, manger sainement. On entend beaucoup parler du modèle finlandais dans les médias, de toutes les écoles en nature », dit Chantal Coulombe pour expliquer cette volonté.

Tout porte à croire que si leur projet finit par voir le jour, les enfants seront au rendez-vous. Devant le grand nombre d’inscriptions, bien des écoles alternatives doivent faire un tirage au sort chaque année pour déterminer quels enfants pourront fréquenter leurs classes.

« Autant c’est long à mettre sur pied, quand ça se met à débouler, tout va très vite, dit Catherine Dion, du comité fondateur des Saules Rieurs à Verdun. On a eu 200 inscriptions pour 102 places. On a en quelque sorte été victimes de notre succès. »

Qu’est-ce qu’une école alternative ?

La première école alternative a vu le jour à Montréal il y a 43 ans. Aujourd’hui, la plupart des écoles alternatives de la province sont membres du Réseau des écoles publiques alternatives du Québec (REPAQ). Comme elles sont intégrées aux commissions scolaires, le ministère de l’Éducation n’a aucune statistique sur leur nombre ou sur le nombre d’élèves qui les fréquentent.

La philosophie alternative encourage les élèves à travailler à leur rythme. « On est vraiment sur le développement global de l’enfant. Oui les mathématiques, le français, mais on voit l’enfant comme une personne entière qui va à la rencontre de l’autre et qui est en apprentissage tout au long de sa vie. Il y a aussi beaucoup le côté coéducation. Il n’y a pas le prof à l’école et le parent à la maison : toutes ces personnes-là travaillent ensemble et essaient de se compléter, dans l’optique du développement de l’enfant », explique Catherine Dion, qui s’intéresse à l’école alternative en tant que mère, mais aussi comme chargée de cours en éducation à l’université.

Le REPAQ ne consigne pas de données sur la réussite des enfants qui fréquentent les écoles alternatives. « On n’a pas de chiffres sur la réussite scolaire, ce n’est pas ça qui nous intéresse. C’est le développement global de l’enfant qui nous intéresse », dit son porte-parole Pierre Chénier.

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