alimentation

les géants de l’industrie ont faim

Seriez-vous prêt à déguster de la chair de poisson produite in vitro, accompagnée d’un grand vin élaboré sans l’ombre d’un raisin ? Avec au dessert des meringues à base d’œufs jamais sortis d’une poule ? Depuis un ou deux ans, des géants de l’industrie alimentaire financent des start-up pour qu’un menu aussi étrange devienne réalité.

Un dossier de Marie-Claude Malboeuf

alimentation

« Il faut absolument innover »

Lorsque le téléphone a sonné l’an dernier, par une radieuse journée d’été, l’aquarium de San Francisco avait une grande nouvelle pour Michael Selden : un bar rayé venait tout juste d’être trouvé mort.

« Plus vite je pouvais le récupérer, mieux c’était, mais il y a toujours des bouchons à San Francisco ! », précise le jeune biochimiste.

Après avoir pris possession de sa curieuse prise, le jeune Californien l’a transportée dans un bac de glace. Pour laisser ensuite son associé la stériliser et en prélever un morceau.

L’objectif des deux hommes ? Non pas déguster leur poisson mort, mais plutôt rendre ses cellules immortelles, afin qu’elles se multiplient et produisent – potentiellement – autant de chair qu’un élevage de milliers de vrais poissons. Mais une chair spéciale, sans queue ni tête, sans arêtes ni nageoires – d’où le nom de leur start-up : Finless Foods.

Course folle

C’est le dévoilement mondial du premier hamburger in vitro, il y a cinq ans, qui a ouvert le bal. Son créateur, Mark Post, avait calculé qu’un échantillon de muscle de la taille d’un pois chiche pourrait fournir autant de viande que 400 000 vaches.

Croquettes de carpe ou de poulet, foie gras, boulettes de viande hachée, canard, chorizo… De la Silicon Valley jusqu’au Japon en passant par Israël, une vingtaine de start-up se sont lancées les unes après les autres, faisant goûter leurs prototypes à des cobayes en 2016 et en 2017.

À l’Université d’Ottawa, le chercheur Santiago Campuzano a pour sa part reçu la mission de faire proliférer des cellules dans des supports végétaux, dans l’espoir de produire un jour des steaks ou des filets entiers. « Il essaie avec des céleris, des asperges et des pétales de fleur », énumère son professeur, le biologiste Andrew Pelling, mondialement célèbre pour avoir fait pousser de la peau d’oreille dans un morceau de pomme.

L’institut new-yorkais qui finance les expériences de Santiago Campuzano, New Harvest, est dirigé par une Canadienne de l’Alberta, Isha Datar, qui a appuyé et inspiré plusieurs des start-up qui se sont lancées dans la course.

Aujourd’hui, près d’une dizaine d’entre elles misent sur la viande cultivée – que certains préfèrent appeler viande « propre » ou « Frankenmeat », selon que l’idée les séduise ou les horrifie.

Les autres veulent commercialiser du lait ou des blancs d’œufs futuristes, fabriqués par des champignons ou des bactéries au lieu de sortir d’une vache ou d’une poule (descriptions à l’onglet 3 et explications scientifiques à l’onglet 4).

« Le marché de la viande vaut des dizaines de milliards de dollars », souligne l’ex-vice-président de la Société américaine pour la prévention de la cruauté envers les animaux, Paul Shapiro, qui a goûté à presque tout pour écrire son livre Clean Meat, publié en janvier.

Des milliardaires célèbres (comme Bill Gates et Richard Branson) et des fonds d’investissement ont déjà investi des dizaines de millions dans l’aventure. Et ils sont suivis depuis un an ou deux par de vrais colosses de l’industrie agroalimentaire traditionnelle (comme Tyson Foods, Cargill, PHW-Gruppe).

« [La viande cultivée] n’est pas une menace pour nous, c’est une occasion », a déclaré une dirigeante de Cargill au magazine Fortune.

Urgence

En Californie, l’entreprise Just For All a déjà amassé 300 millions et son PDG a promis de commercialiser un « produit de volaille » cultivée – on pense qu’il s’agira de foie gras – dès la fin de l’année (bien que plusieurs observateurs soient sceptiques).

Finless Foods espère pour sa part vendre d’ici deux ans du thon rouge en pâte, en attendant de découvrir comment cultiver de vrais filets.

« Il faut absolument innover », affirme Michael Selden, qui veut sauver les océans et dénonce l’aquaculture.

« Le poisson est censé être extraordinairement bon pour la santé, alors qu’il contient souvent du mercure, des pesticides, des antibiotiques et même du plastique ! »

— Le biochimiste Michael Selden

Les fabricants de bœuf et de volaille in vitro plaident la même chose. La Terre abrite déjà 50 milliards de poules et poulets d’élevage, 1,5 milliard de vaches et 1 milliard de cochons (1).

D’après l’ONU, les 10 milliards d’humains qui peupleront la planète en 2050 voudront en manger deux fois plus, alors que le bétail pollue déjà des quantités phénoménales de terres et d’eau et produit plus de gaz à effet de serre que tous les moyens de transport réunis (2).

« Une famille économise plus d’eau en sautant un seul repas de poulet qu’en cessant de prendre sa douche pendant six mois », assure Paul Shapiro.

L’utilisation d’antibiotiques dans les étables et poulaillers crée en prime des superbactéries résistantes aux médicaments. Les aliments qu’elles contaminent tuent chaque année des milliers d’Américains et en rendent malades 400 000 autres (3).

Sauver les animaux

« Les gens sont obligés de manipuler la viande comme s’il s’agissait de déchets toxiques, ils savent que sa production est néfaste pour l’environnement, et malgré tout, ils en mangent », résume Matt Ball, porte-parole du Good Food Institute (GFI), fondé en 2016 pour aider les fabricants de « viande sans animal » à lancer leurs produits sur le marché.

On préfère souvent cuisiner des plats traditionnels, réconfortants et connus. « Mais quand les gens pourront consommer exactement la même chose, en mieux, ils choisiront en conséquence », prédit l’Américain, qui milite pour les droits des animaux.

« De toute façon, on n’aura pas le choix d’abandonner nos méthodes actuelles tellement elles sont inefficaces ! »

65 %

Proportion de gens s’étant dits probablement ou assurément prêts à essayer la viande cultivée lors d’une étude publiée l’an dernier dans la revue scientifique PLOS One. Et 33 % se disaient même prêts à en manger régulièrement.

Source : « Attitudes to in vitro meat : A survey of potential consumers in the United States », 2017 

« Pour une fois, la technologie pourrait servir à améliorer les conditions de vie des animaux de ferme, renchérit Paul Shapiro. Jusqu’ici, elle les avait plutôt empirées. Ils sont entassés à l’extrême, bourrés de médicaments et traités comme des machines. »

Guerre des prix

Pour l’instant, personne n’a encore découvert la méthode ou inventé de bioréacteurs assez sophistiqués pour fabriquer de la viande cultivée à grande échelle. En 2013, produire le tout premier hamburger avait coûté 350 000 $US. En 2017, la première boulette a coûté 1200 $. Et chaque livre de poisson coûte aujourd’hui 6000 $ à Finless Foods.

C’est déjà trois fois moins que l’automne dernier, se réjouit tout de même Michael Selden. « C’est normal que ça coûte cher au début, dit-il, puisqu’on adapte une technologie médicale », originellement inventée pour cultiver et réparer des tissus humains en petites quantités.

« Plusieurs des échéances prédites ont été dépassées, prévient toutefois la directrice des communications de New Harvest, Erin Kim, de Vancouver. Le processus est plus compliqué qu’on l’anticipait. Plusieurs choses peuvent mal tourner en cours de route. On pourrait aussi avoir surestimé les bénéfices. » (Voir « Des promesses solides ? » à l’onglet 5.)

Dégoût

Les Nord-Américains seront-ils au rendez-vous ? « Les aliments font partie de nous, alors on veut savoir d’où ça vient. Si le consommateur a le moindre doute, il se tournera ailleurs. Ces entreprises devront se montrer très transparentes », répond le professeur Yves Pouliot, de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation à l’Université Laval.

Il faudra aussi convaincre les autorités que leurs produits sont inoffensifs. « La biologie, ce n’est pas comme la chimie inorganique, on peut créer d’autres constituants qu’on n’avait pas anticipés », dit-il.

Le groupe écologiste Friends of the Earth dénonce déjà la production de vanille ou de protéines laitières au moyen de levures génétiquement modifiées, qu’il qualifie de « modification génétique extrême » trop peu naturelle.

Pour le PDG de Finless Foods, les méthodes actuelles sont tout aussi éloignées de la nature. « Si les abattoirs avaient des murs de vitre, personne ne mangerait de la viande ! C’est sale, propice aux épidémies et sauvagement cruel. »

(1) « Données de l’alimentation et de l’agriculture », FAO, citées dans le livre Clean Meat

(2) Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « L’ombre portée de l’élevage », 2006

(3) Centers for Disease Control, « Antibiotic Resistance Threats in the United States, 2013 », département américain de la Santé

Actualités

Huit grandes premières

1907

Première culture de tissu animal hors du corps

Des cellules de têtard se multiplient in vitro à l’Université Yale. C’est la première fois qu’on fait pousser des tissus en dehors du corps, et c’est l’une des découvertes qui ont conduit au développement de la médecine générative, puis à l’agriculture cellulaire.

2002

Première création d’un aliment

À la demande de la NASA, des chercheurs font cuire de la chair cultivée à partir de morceaux de poisson rouge. Ils n’y goûtent pas, faute d’en avoir demandé l’autorisation à la Food and Drug Administration, mais concluent ceci dans leur article scientifique : « Non seulement nous avons ouvert la voie à un moyen innovant et viable de fournir des aliments sains et nutritifs aux voyageurs de l’espace sur de longs trajets, mais nous avons également mis en lumière des moyens de réduire les problèmes de sécurité alimentaire dans le monde entier. »

2003

Première dégustation de viande cultivée

Après trois mois d’efforts, un artiste australien obtient cinq grammes de viande de grenouille. Lors d’une exposition intitulée L’art biotech, organisée en France, il la fait mariner dans le calvados, la cuit et la sert à six cobayes… en présence du batracien qui lui a fourni ses cellules.

2009

Premier coup de pouce de l’industrie alimentaire

Grâce à l’appui financier de son gouvernement et d’un producteur de saucisses, le chercheur néerlandais Mark Post cultive de la chair de porc à partir de cellules prélevées par biopsie sur un cochon vivant.

2011

Première dégustation aux États-Unis

Lors d’une conférence TEDMED, un expert en ingénierie tissulaire de l’Université du Missouri avale une bouchée de viande cultivée, qu’il vient de faire cuire dans une pelle à raclette arrosée d’huile d’olive. Son fils fonde une entreprise, Modern Meadows, qui produit des prototypes de chips de steak, avant de se rabattre sur la culture cellulaire de cuir.

2013

Premier hamburger in vitro

Financé cette fois par le milliardaire Sergey Brin, cofondateur de Google, Mark Post attire l’attention du monde entier avec la dégustation – filmée – du tout premier hamburger in vitro, qui avait nécessité un an de travail et coûté plus de 300 000 $.

2016

Première conférence de New Harvest

À San Francisco, près d’une demi-douzaine de start-up présentent leurs produits inspirés du hamburger de Post : bœuf, et aussi gélatine, blancs d’œufs, lait, yogourt, etc. Elles s’y retrouvent à l’occasion d’une conférence organisée par New Harvest, un institut qui finance la recherche en agriculture cellulaire. Hampton Creek (rebaptisée Just) fait goûter son foie gras à l’auteur du livre Clean Meat.

2017

Premiers investissements majeurs

La start-up Memphis Meat filme la dégustation de la toute première boulette de viande in vitro, puis la dégustation de son canard et de ses croquettes de poulet. La même année, Finless Foods fait goûter ses croquettes de carpe. Et Geltor annonce qu’elle a créé des bonbons avec de la gélatine produite avec de l’ADN de mastodonte, un animal disparu.

Actualités

Le menu de l’avenir

Si les espoirs de leurs fabricants se concrétisent, une dizaine d’aliments de l’avenir se retrouveront sur le marché d’ici un à trois ans, d’abord au restaurant, et éventuellement à l’épicerie. Voici leur menu.

1. VOLAILLE ET FOIE GRAS

C’est fait comment ?

En faisant proliférer des cellules de poulet, de dinde ou de canard dans des nutriments, comme un mélange de sels, de glucides, de protéines et de facteurs de croissance, pour produire du tissu musculaire ou, plus facilement, du foie gras.

C’est pour quand ?

1. D’ici à la fin de l’année, promet la société californienne Just for All, qui a fait fortune en commercialisant une mayonnaise végétalienne.

2. Vers 2021, espère la start-up californienne Memphis Meat, qui a cultivé la toute première boulette de viande in vitro.

3. « Dans un avenir très rapproché », affirme la start-up israélienne Super Meat, qui espérait initialement cultiver des poitrines entières.

4. Après 2019, dit la start-up israélienne Future Meat Technologies, qui veut distribuer des cellules et des milliers de petits bioréacteurs aux fermiers pour qu’ils se recyclent en agriculteurs cellulaires.

36 %

Proportion des intoxications alimentaires déclarées au Québec qui mettaient en cause de la volaille ; c’est le groupe le plus ciblé.

Source : Bilan annuel 2014-2015 – Toxi-infections alimentaires, ministère québécois de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

« En continuant comme cardiologue, je sauverais peut-être 2000 ou 3000 personnes au cours des 30 prochaines années. Mais en me concentrant sur [la viande cultivée], j’ai la possibilité de sauver des milliards de vies humaines et animales. »

— Uma Valeti, PDG de Memphis Meat, dans un article du site Inc.com

2. POISSON ET FRUITS DE MER

C’est fait comment ?

En cultivant des cellules de poisson, apparemment plus faciles à cultiver que les cellules de viande rouge, entre autres parce qu’elles prolifèrent à la température de la pièce, sans devoir être chauffées.

C’est pour quand ?

1. Au début de 2020, affirme la start-up californienne Finless Foods, qui compte commercialiser d’abord du thon rouge.

2. Une date non précisée, selon la start-up californienne Wild Type, qui veut produire du saumon à sushi épicé et du saumon fumé.

90 %

Proportion des réserves mondiales de poisson déjà exploitées au maximum de leur capacité ou surexploitées

Source : La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2016

1 million

Nombre de Canadiens qui tombent malades chaque année après avoir ingéré un aliment contaminé au norovirus, des fruits de mer dans le tiers des cas .

Source : Agence de la santé publique du Canada

« L’aquaculture est un désastre environnemental. Elle suppose un usage massif de pesticides, d’herbicides et d’antibiotiques, qui détruisent des écosystèmes et contaminent les océans. »

— Michael Selden, PDG de Finless Foods, en entrevue à La Presse

3. VIANDE ROUGE

C’est fait comment ?

En cultivant des cellules de vache ou de porc, pour produire du tissu musculaire, du gras et, peut-être un jour, des tissus connectifs et des vaisseaux sanguins.

C’est pour quand ?

1. D’ici à 2021, espère la start-up néerlandaise Mosa Meat, qui compte produire des galettes de viande hachée et a été fondée par le créateur du tout premier – et très célèbre – hamburger in vitro.

2. La même année, promet la start-up israélienne Aleph Farm, qui affirme mettre au point une nouvelle méthode permettant de cultiver des cellules irriguées par des vaisseaux sanguins, afin de produire des steaks entiers.

3. D’ici à 2030, estime la start-up japonaise Integriculture, qui a déjà cultivé des foies, des pancréas, des muscles et des intestins de poulet. Son PDG a d’abord formé un groupe de scientifiques amateurs (Shojinmeat Project) qui cultivent déjà de la viande à domicile et distribuent les instruments requis dans des écoles secondaires !

18 %

Proportion des gaz à effet de serre produits par le bétail de la planète, soit plus qu’en produit la totalité des camions, voitures et avions en circulation

Source : L’ombre portée de l’élevage, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 2006

12 800

Nombre de Canadiens qui tombent malades chaque année après avoir ingéré un aliment contaminé à l’E. coli, du bœuf dans environ la moitié des cas

Source : Agence de la santé publique du Canada

« Nous nous concentrons sur le bœuf, car c’est sa production qui est la moins efficace. Vous devez donner 1 kg de nourriture aux bovins pour obtenir 150 g de muscle. »

— Peter Verstrate, PDG de Mosa Meat, dans un courriel envoyé à La Presse

4. PRODUITS LAITIERS

C’est fait comment ?

Comme pour la bière, avec de la levure nourrie de sucre. Mais on la reprogramme en insérant dans son génome l’ADN responsable, chez la vache, de la fabrication de la caséine et des protéines du petit lait.

C’est pour quand ?

Une date non précisée par la start-up californienne Perfect Day, qui a breveté sa méthode cette année et obtenu 25 millions de dollars de divers fonds d’investissement.

3400 L

Quantité d’eau requise pour produire seulement quatre litres de lait de vache, l’équivalent d’une piscine olympique

Source : Clean Meat, 2018

« Nous avons parlé à tellement de marques qui souhaitent travailler avec les ingrédients que nous développons […], nous pourrions avoir un impact sur chaque rayon de l’épicerie, pas seulement sur les produits laitiers frais. »

— Ryan Pandya, PDG de Perfect Day, en 2017, dans un article de Food Navigator – USA

5. BLANCS D’ŒUF

C’est fait comment ?

Comme pour le lait, au moyen d’une levure génétiquement modifiée et « reprogrammée » afin de fabriquer les 12 protéines des blancs d’œuf.

C’est pour quand ?

2019, a annoncé la start-up californienne Clara Foods

190 L

Quantité d’eau requise pour produire chaque œuf, l’équivalent d’une baignoire

Source : Clean Meat, 2018

« Aux États-Unis, il y a plus de poulets que de gens, chacun est confiné à la surface d’un morceau de papier et ne voit jamais la lumière du jour. »

— Arturo Elizondo, fondateur de Clara Foods, au quotidien The Guardian

6. GÉLATINE

C’est fait comment ?

En insérant, dans des bactéries, l’ADN responsable de la production de collagène chez certains animaux. Normalement extraite des os ou de la peau – qu’il faut plonger dans l’acide pendant des semaines –, cette protéine sert à fabriquer de la guimauve, des bonbons, des gelées, etc.

C’est pour quand ?

Pour 2023, espère la start-up californienne Geltor. Elle vend déjà à l’industrie cosmétique un produit similaire, qui a reçu un prix d’innovation en mai.

80 %

Proportion des antibiotiques vendus ou distribués aux États-Unis qui sont destinés au bétail, un usage qui contribue à rendre les bactéries de plus en plus résistantes et dangereuses pour les humains

Source : Drug Use Review, Food and Drug Administration, 2012

« Avant d’étudier en médecine, je rêvais d’ouvrir un hôpital où il n’y aurait pas de propagation d’infections. C’est entre autres ce qui m’a amené à m’intéresser au problème des bactéries résistantes aux antibiotiques. »

— Alexander Lorestani, PDG de Geltor, diplômé en médecine et en biologie moléculaire, en entrevue à La Presse

7. VIN

C’est fait comment ?

En recréant des vins coûteux, molécule par molécule, sans raisin ni fermentation. Les composés chimiques sont découverts en laboratoire, achetés de distributeurs, puis mélangés en respectant leurs concentrations respectives dans le vin à reproduire. Le tout est ensuite dilué dans de l’eau, de l’éthanol, du sucre et des acides aminés.

C’est pour quand ?

« Bientôt », a écrit à La Presse la start-up californienne Ava Winery, qui visait originellement la fin de 2017. Elle a d’abord produit un simple Moscato d’Asti, moyennement bien reçu par des goûteurs, et tente maintenant d’imiter un cabernet valant 100 $.

- 8 %

Chute de la production mondiale de vin en 2016, qui a ainsi atteint son pire creux en 56 ans, en raison de la multiplication d’événements climatiques extrêmes

Source : Organisation mondiale de la vigne et du vin, 2017

« De la même manière que les ordinateurs ont démocratisé l’art, nous espérons pouvoir démocratiser des vins de qualité pour que les masses puissent en profiter. »

— Alec Lee, PDG d’Ava Winery, dans un article du site Digital Trends

8. ÉPICES ET ÉDULCORANTS

C’est fait comment ?

En modifiant génétiquement de la levure pour la forcer à produire de la vanilline – une épice rare et coûteuse – ou pour qu’elle fabrique les molécules les plus sucrées des plants de stévia – présentes en quantité trop infime dans les feuilles de cette plante.

C’est pour quand ?

La vanille « 2.0 » créée par l’entreprise suisse Evolva a fait son entrée sur le marché en 2014. Son stévia a suivi en mars dernier. Elle tente actuellement de produire du safran de la même façon.

Actualités

Faire pousser sa viande, ses œufs ou son lait

Un jour, peut-être pourra-t-on commander des cellules ou des micro-organismes déjà programmés pour produire des aliments. En attendant, voici comment les start-up s’y prennent, étape par étape.

1. Prélever par biopsie un minuscule morceau de muscle sur un animal toujours vivant ou mort depuis peu.

2. Isoler les cellules souches du muscle, car ce sont elles qui permettent au corps de réparer les tissus endommagés en cas de blessure.

3. Placer ces cellules dans un contenant stérile contenant un sérum nourrissant et les chauffer, ce qui leur donne l’illusion de se trouver encore dans un corps. Elles se divisent et prolifèrent.

4. Les forcer à se transformer en cellules musculaires, en les affamant, et attendre qu’elles deviennent visibles à l’œil nu.

5. Les placer sur un support animal ou végétal, pour les irriguer de nutriments et leur permettre de s’organiser et de se contracter pour croître. Mais elles ne peuvent dépasser le diamètre d’un grain de riz et deux à trois centimètres de longueur sans se nécroser, faute de vaisseaux sanguins.

6. Récolter les dizaines de milliers de petites fibres musculaires obtenues et les mélanger à d’autres types de tissus (adipeux, connectifs) cultivés de la même manière, mais dans un autre type de nutriment.

7. Ajouter au besoin des colorants naturels, des liants, des vitamines, etc.

Des chercheurs en médecine ont récemment cultivé des cellules cardiaques dans des feuilles d’épinard, et utilisé les veines des feuilles pour vasculariser le tout. Cela pourrait un jour permettre de cultiver des filets de viande ou de poisson, lit-on sur le site de l’Université Harvard.

Des bactéries comme usines

Le lait, les blancs d’œuf, la gélatine et les épices de l’avenir pourraient être recrachés par des champignons ou des bactéries génétiquement reprogrammés. Cette méthode est utilisée depuis 30 à 40 ans pour produire de l’insuline et de la présure (servant à fabriquer du fromage). On devait auparavant les extraire du pancréas ou de l’estomac du bétail fraîchement abattu. Les start-up qui explorent cette voie utilisent une technique semblable.

1) Trouver les gènes qui provoquent, chez des animaux ou des plantes, la production des protéines désirées (une information accessible sur le web).

2) Les acheter à des fabricants d’ADN synthétique.

3) Les insérer dans le génome d’une levure ou d’une bactérie (comme l’E. coli), grâce à un stimulus électrique ou chimique – une opération délicate qui requiert de très nombreux essais.

4) Nourrir les micro-organismes ainsi modifiés, pour qu’ils se reproduisent rapidement dans des cuves de fermentation, et y transforment les nutriments reçus en protéines de lait, d’œuf, en vanilline, etc.

5) Filtrer les protéines obtenues pour les séparer de la levure génétiquement modifiée.

6) Les utiliser en cuisine comme on utiliserait les mêmes ingrédients produits de manière traditionnelle.

Actualités

Faire pousser sa viande, ses œufs ou son lait

Un jour, peut-être pourra-t-on commander des cellules ou des micro-organismes déjà programmés pour produire des aliments. En attendant, voici comment les start-up s’y prennent, étape par étape.

1. Prélever par biopsie un minuscule morceau de muscle sur un animal toujours vivant ou mort depuis peu.

2. Isoler les cellules souches du muscle, car ce sont elles qui permettent au corps de réparer les tissus endommagés en cas de blessure.

3. Placer ces cellules dans un contenant stérile contenant un sérum nourrissant et les chauffer, ce qui leur donne l’illusion de se trouver encore dans un corps. Elles se divisent et prolifèrent.

4. Les forcer à se transformer en cellules musculaires, en les affamant, et attendre qu’elles deviennent visibles à l’œil nu.

5. Les placer sur un support animal ou végétal, pour les irriguer de nutriments et leur permettre de s’organiser et de se contracter pour croître. Mais elles ne peuvent dépasser le diamètre d’un grain de riz et deux à trois centimètres de longueur sans se nécroser, faute de vaisseaux sanguins.

6. Récolter les dizaines de milliers de petites fibres musculaires obtenues et les mélanger à d’autres types de tissus (adipeux, connectifs) cultivés de la même manière, mais dans un autre type de nutriment.

7. Ajouter au besoin des colorants naturels, des liants, des vitamines, etc.

Des chercheurs en médecine ont récemment cultivé des cellules cardiaques dans des feuilles d’épinard, et utilisé les veines des feuilles pour vasculariser le tout. Cela pourrait un jour permettre de cultiver des filets de viande ou de poisson, lit-on sur le site de l’Université Harvard.

Des bactéries comme usines

Le lait, les blancs d’œuf, la gélatine et les épices de l’avenir pourraient être recrachés par des champignons ou des bactéries génétiquement reprogrammés. Cette méthode est utilisée depuis 30 à 40 ans pour produire de l’insuline et de la présure (servant à fabriquer du fromage). On devait auparavant les extraire du pancréas ou de l’estomac du bétail fraîchement abattu. Les start-up qui explorent cette voie utilisent une technique semblable.

1. Trouver les gènes qui provoquent, chez des animaux ou des plantes, la production des protéines désirées (une information accessible sur le web).

2. Les acheter à des fabricants d’ADN synthétique.

3. Les insérer dans le génome d’une levure ou d’une bactérie (comme l’E. coli), grâce à un stimulus électrique ou chimique – une opération délicate qui requiert de très nombreux essais.

4. Nourrir les micro-organismes ainsi modifiés, pour qu’ils se reproduisent rapidement dans des cuves de fermentation, et y transforment les nutriments reçus en protéines de lait, d’œuf, en vanilline, etc.

5. Filtrer les protéines obtenues pour les séparer de la levure génétiquement modifiée.

6. Les mélanger à de l’eau, des vitamines ou d’autres substances.

7. Les utiliser en cuisine comme on utiliserait les mêmes ingrédients produits de manière traditionnelle.

Actualités

Des promesses... et des craintes

Avant d’être offerts dans les restaurants puis, après quelques années, dans les épiceries, la viande, le lait et les œufs de laboratoire devront d’abord être évalués par les autorités. Voici les promesses de leurs fabricants, et les arguments de ceux qui les contestent. (Leurs propos ont parfois été adaptés par souci de concision et de clarté.)

LEUR MODE DE PRODUCTION EST-IL AU POINT ?

La crainte

« On pensait que le temps et l’argent suffiraient, mais on rencontre des obstacles imprévus. Il y a encore de l’espoir, mais il faudra faire beaucoup de recherche scientifique, ouverte et transparente, ce qui a été négligé jusqu’ici. »

— Erin Kim, de l’organisation américaine New Harvest, qui finance la recherche sur l’agriculture cellulaire

La promesse

« Le défi qui reste, c’est le prix. Mais les progrès sont très rapides. On vient de connaître plusieurs percées : des viandes aux structures plus complexes, des [bioréacteurs] plus sophistiqués et des nutriments qui ne sont plus d’origine animale. »

– Matthew Ball, du lobby américain Good Food Institute, qui promeut les protéines issues de laboratoire

EST-IL VRAIMENT SÛR ?

La crainte

« Un grand nombre de bactéries vivent dans le tractus gastro-intestinal et nous aident à digérer les aliments. Si nous commençons à consommer des produits qui diffèrent des aliments normaux, il pourrait y avoir des problèmes de déséquilibre ou d’inflammation. »

— Phillip Jaitovich, de l’Institut de science et technologie Skolkovo, en Russie, cité sur le site web GlobalMeat

La promesse

« Compte tenu des informations dont nous disposons présentement, il semble raisonnable de penser que la viande cultivée, si elle est fabriquée conformément aux normes de sécurité et à toutes les réglementations pertinentes, pourrait être consommée en toute sécurité. »

– La Food and Drug Administration au réseau CNN

EST-IL VRAIMENT BÉNÉFIQUE POUR LA SANTÉ ?

La crainte

« L’expression “viande propre” est militante ; elle n’est pas basée sur la science, c’est encore une hypothèse. La chair cultivée ne sera pas en contact avec les matières fécales dans des abattoirs. Mais les cellules pourraient quand même être contaminées par le matériel de labo, par les mains des employés, par l’air, etc. »

— Erin Kim, New Harvest

La promesse

« Si vous développez du muscle par lui-même, il y a peu de raisons d’ajouter des graisses saturées dangereuses. Vous pouvez à la place marbrer les tissus avec des graisses plus saines, comme celles qu’on trouve dans l’huile d’olive, ou même les oméga-3. »

– Paul Shapiro, auteur du livre Clean Meat, qui l’a conduit à faire la tournée des agriculteurs de cellules

EST-IL VRAIMENT PRÉFÉRABLE POUR LA PLANÈTE ?

La crainte

« La culture cellulaire est l’une des techniques les plus coûteuses et les plus gourmandes en ressources de la biologie moderne. Garder les cellules chaudes, saines, bien nourries et exemptes de contamination nécessite un travail et une énergie incroyables. »

— Christina Agapakis, chercheuse en biologie synthétique à l’Université de la Californie à Los Angeles, dans un article du magazine Discover, 2012

La promesse

« La viande cultivée requiert 7 à 45 % moins d’énergie, elle réduit les émissions de gaz à effet de serre de 78 à 96 %, réduit l’utilisation des terres de 99 % et la consommation d’eau, de 82 à 96 %. »

– « Environmental Impacts of Cultured Meat Production », Université d’Oxford, 2011

EST-IL VRAIMENT MOINS CRUEL ?

La crainte

Tous les nouveaux agriculteurs de cellules ont commencé à les nourrir avec du sang purifié extrait de fœtus de vaches. Un sérum rare, hors de prix, aucunement végétarien, et que le public trouve en général répugnant.

La promesse

« Quand nous commencerons à vendre des produits, nous n’utiliserons absolument aucun sérum. Ce n’est pas seulement pour des raisons d’image ou environnementales. Au point de vue des coûts [500 $-1000 $US/L], l’aspect économique n’a absolument aucun sens. »

– Michael Selden, PDG de Finless Foods, dans un article du magazine Wired

Perturber l’économie

Si leur pari fonctionne, les cultivateurs de viande pourraient devenir milliardaires. Mais ils pourraient du même coup acculer les fermiers traditionnels à la faillite, comme la photo numérique a détrôné la photo argentique, ou comme le streaming a perturbé l’industrie du disque.

Dans certains pays, l’agriculture et l’élevage sont les seules sources de revenus, rappelle Maya Hey, qui étudie les bactéries et les aliments comme moyen d’expression à l’Université Concordia (où elle a produit des fromages à partir de bactéries prélevées sur ses mains et celles de trois collègues). « Va-t-on former les fermiers, leur offrir de nouvelles occasions ? L’enjeu des modifications génétiques n’est rien à côté des enjeux politiques et économiques, de toutes ces conséquences involontaires dont presque personne ne parle, parce qu’on se concentre surtout sur la possibilité de faire de l’argent », déplore-t-elle.

La Chine et Israël ont signé en septembre un accord commercial de 300 millions de dollars, pour coopérer notamment en matière de recherche sur la viande produite in vitro. « Je pense que les produits de viande cultivés gagneront en popularité au Japon et en Chine, alors que des pays comme la France pourraient résister plus longtemps », avance l’ingénieur biomédical israélien Yaakov Nahmias sur le site web Food Navigator-USA.

QU’EN PENSE NOTRE INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE ?

« Si de grands financiers embarquent là-dedans, ce n’est pas pour rien. Mais ça ne nous énerve pas. Au Québec, on essaie de se positionner comme une production responsable et durable. »

— Jean-Sébastien Gascon, des Producteurs de bovins du Québec

« Personne ne sonne l’alarme. On a une forte croissance du produit et on travaille fort pour répondre aux préoccupations des consommateurs quant aux bonnes pratiques. »

—  Marie-Ève Tremblay, directrice générale des Éleveurs de volailles du Québec.

« Notre souci principal, c’est que cela soit produit en fonction des mêmes standards d’innocuité que les autres aliments, et sans aucune prétention trompeuse, qu’on le précise quand il s’agit d’imitations. »

— Tom Lynch-Staunton, de l’Association canadienne des éleveurs bovins

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.