Chronique

Les véganes et l’incohérence

Je n’ai rien contre le véganisme.

En fait, je trouve que c’est un projet alimentaire, un projet de vie, de société qui se défend, si on le pratique de façon cohérente.

On choisit de ne pas achaler les bœufs, les abeilles, les poules, les poissons, les mouches, les moustiques et tutti quanti pour se nourrir…

On choisit de respecter les êtres vivants. De leur vouer un respect tel qu’on est prêt à se priver de toutes sortes d’aliments qui font partie des diètes traditionnelles des humains depuis toujours.

C’est radical, mais pourquoi pas ?

Après tout, on n’a pas besoin de manger plus de gras, plus de sucre, plus de tout. Comme société occidentale, on a plutôt besoin de moins se nourrir pour mieux prendre soin de sa santé.

Surtout que souvent, on élève cette nourriture animale en démolissant la planète. En créant des systèmes industriels qui ressemblent à des cercles vicieux d’OGM, de pesticides, d’engrais chimiques. Si on regarde le tout de façon globale, on réalise qu’on vide nos sols de leurs ressources pour produire un type de nourriture – de la viande, des sucres raffinés – qui participe aux maux minant notre santé : embonpoint, diabète, problèmes coronariens, cancers…

Et une alimentation à base de plantes comme le préconisent les véganes, si elle est bien conçue et savoureuse, peut s’avérer une solution de rechange heureuse à nos excès carnivores.

Demandez à vos chefs préférés, ceux qui savent cuisiner, de préparer des plats exclusivement à base de plantes et vous vous régalerez. Légumes, fruits, grains, huiles végétales… Il y a de quoi faire le souper. Avec plein de protéines, de vitamines et tout ce qu’il faut.

Et si on prend soin, en plus, de cuisiner avec des ingrédients locaux – pour éviter la pollution du transport –, bios ou au moins cultivés de façon naturelle, par des gens bien payés, qui travaillent dans de bonnes conditions, on a là une formule alimentaire, ma foi, presque angélique.

Et ceci n’a rien d’extraterrestre ou de nouveau.

Les plus logiques de tous les véganes sont probablement ceux qui pratiquent le jaïnisme, et cette religion date du Xe siècle. Chez les jaïns, on respecte tellement les êtres vivants qu’on balaie le sol pour ne pas marcher sur des fourmis, on se protège au moyen de masques pour ne pas respirer de moucherons, on ne mange pas de légumes racines pour ne pas tuer les vers de terre et autres êtres vivants dans le sol en arrachant le repas.

Tout ça a du sens.

Par contre, ce qui n’en a pas, de sens, mais alors là aucun, ce sont les attaques de militants véganes qui ont décidé de viser des établissements comme Joe Beef, Vin Mon Lapin, Le petit abattoir, le Manitoba ou le Pied de cochon. En faisant soit des manifestations, soit du vandalisme, comme on l’a vu depuis quelques semaines. (À noter que je parle ici des gestes contre les restaurants, pas ceux contre la porcherie de Saint-Hyacinthe, objet d’une comparution de militants hier.)

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À Montréal, il y a des centaines de restaurants. Mais il n’y a pas des centaines de chefs qui travaillent de façon respectueuse de l’environnement, du terroir, de nos producteurs, des animaux.

Les chefs et propriétaires des établissements visés par les militants ces derniers temps font tous partie de ceux qui travaillent de façon intelligente avec leurs fournisseurs.

Et qui font la promotion des méthodes artisanales en alimentation, donc des meilleures façons de faire pour respecter les bêtes, l’environnement, le terroir, notre culture.

Si vous fréquentez ces établissements, vous savez qu’on vous sert le porc d’untel, qui chante presque des berceuses à ses bêtes le soir, ou le miel d’un autre, qui n’utilise jamais de produits chimiques et dont les produits sentent la campagne, les fraises de cet agriculteur qui se refuse à tout pesticide ou l’agneau de cette ferme où chaque bête est quasi nourrie à la cuillère, et que le thon rouge servi aujourd’hui ou hier a été pêché à la ligne, pas n’importe comment, et surtout pas par des bateaux de pêche industrielle qui se moquent de mettre en péril la ressource.

Il est absolument insensé de s’en prendre en premier à ces restaurants pour faire la promotion du véganisme.

Je ne dis pas qu’ils ne servent pas de viande.

Je dis qu’ils devraient être les toutes dernières cibles, après tous les McDo, Burger King, Ashton, Belle Province, Wendys, et autres fast-food et chaînes carnivores du monde entier, après tous les acteurs d’un système agro-industriel infiniment plus irrespectueux des animaux, des plantes, de la santé de la planète et même des humains, que les petits établissements indépendants visés.

Chers véganes, si vous voulez vous battre contre la dérive totale de notre système alimentaire, peut-être avec raison, identifiez les bonnes cibles, au moins.

Parce que pendant que les gens de Vin Mon Lapin ou du Manitoba essaient de déprendre leurs serrures de la colle que vous y avez versée, que Joe Beef ou le Pied de cochon digèrent vos frasques, des milliers de bêtes élevées dans des conditions non seulement terribles pour elles, mais pour nos sols et notre air et nos gens sont tuées pour alimenter des chaînes dont l’unique but est de faire des profits, sans égard pour les conditions de vie des travailleurs, nos papilles gustatives, notre culture ou notre santé.

Et franchement, si vous n’avez pas compris ça, pour qui travaillez-vous ? Que recherchez-vous au juste ?

On aimerait un peu de cohérence. À point.

Occupation d’une porcherie

Des militants antispécistes plaident non coupable

Douze militants antispécistes ont plaidé non coupable, lundi, à des accusations d’entrée par effraction dans le but de commettre un méfait à la suite de leur participation à une occupation de plusieurs heures d’une porcherie de Saint-Hyacinthe, en décembre. Pour la première fois, l’agricultrice à la tête de la ferme visée par l’occupation – Porgreg – a brisé le silence.

Les 12 accusés – 11 femmes et un homme – ont aussi plaidé non coupable à une accusation d’entrave au travail d’un agent de la paix. Ils ont opté pour un procès en anglais devant un juge seul. Une mineure devra aussi répondre aux mêmes accusations, ce mardi, en Chambre de la jeunesse.

Plus d’une centaine de personnes se sont déplacées pour les appuyer. « Palais de l’injustice », « entrer par effraction pour dénoncer un crime n’est pas un crime », « celui qui devrait rendre des comptes aujourd’hui, c’est Porgreg », pouvait-on lire sur des pancartes brandies par les manifestants sur les marches du palais de justice.

Alors que les militants scandaient contre ses pratiques d’élevage à l’extérieur, la productrice Josiane Grégoire patientait dans le hall du palais de justice, entourée de représentants de l’Union des producteurs agricoles, le syndicat qui représente l’ensemble des agriculteurs du Québec.

« Ce qui nous est arrivé, je ne le souhaite sincèrement à personne », a déclaré celle qui affirme avoir du mal à dormir depuis. « Je suis là pour qu’ils voient qu’on n’est pas insensibles à ce qu’ils nous ont fait. »

« On met tout notre cœur et toute notre âme dans notre ferme. C’est notre vie. »

— Josiane Grégoire, agricultrice à la tête de Porgreg

Le 7 décembre dernier, des militants rattachés à la section montréalaise du groupe de désobéissance civile Direct Action Everywhere sont entrés par effraction dans sa ferme familiale et se sont assis en face des cages des animaux durant près de six heures. Ils ont diffusé des images de leur action en direct sur Facebook. Depuis, une maladie s’est déclarée dans son cheptel. « On n’en avait jamais eu avant, de cette maladie-là », déplore-t-elle en ajoutant qu’elle a aussi reçu la visite d’inspecteurs du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) dans la foulée de cet événement.

De grosses pointures du droit

Les militants sont représentés par sept avocats de la défense de renom connus pour avoir travaillé sur des procès d’envergure : Gary Martin, Pierre Poupart, Lida Nouraie, Annie Émond, Giuseppe Battista, Dominique Shoofey et Louis-Nicholas Coupal.

« C’était vraiment satisfaisant de se lever devant le juge et de plaider non coupable », a indiqué l’une des accusées, Jenny McQueen, à sa sortie de l’audience. La Torontoise, une retraitée de 56 ans, souhaite un procès afin de pouvoir démontrer que les conditions d’élevage dites industrielles sont odieuses pour les bêtes.

« Je suis reconnaissante et vraiment touchée par la vague de soutien que nous avons reçue aujourd’hui, cela montre que les Québécois sont préoccupés par ce qu’il se passe à l’intérieur des fermes. »

— La Montréalaise Jennifer Donavan, une autre accusée

La cause sera de retour devant le tribunal le 6 avril.

Les antispécistes et les véganes s’opposent à toute forme d’élevage animal destiné à la consommation humaine, ce qui inclut la laine, le cuir ou la fréquentation de zoos. Le végétalisme est un régime alimentaire qui exclut la consommation de protéines animales.

Québec pressé de légiférer

Afin de dissuader les atteintes contre les bâtiments agricoles, les restaurants ou les entreprises agroalimentaires par des tenants de la cause antispéciste, Québec a récemment mis sur pied une équipe de travail qui se penchera sur les moyens pris par d’autres territoires pour faire obstacle à ce phénomène. Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, en a fait l’annonce la semaine dernière dans la foulée d’un incident de vandalisme survenu au restaurant montréalais Le Manitoba.

Les Éleveurs de porcs, un syndicat affilié à l’UPA, ont réitéré hier qu’ils souhaitaient que le Québec dépose un projet de loi comme en Alberta et en Ontario pour imposer des amendes pouvant atteindre 30 000 $ aux personnes qui s’introduiraient illégalement dans des bâtiments de ferme.

« Ça cause beaucoup de stress aux producteurs », a indiqué le président des Éleveurs de porcs, David Duval, qui s’était déplacé pour appuyer Mme Grégoire. « Quand tu te lèves le matin et que tu ne sais pas s’il va y avoir du monde dans ta ferme, c’est insécurisant. Les gens disent que la ferme, ce n’est pas comme entrer dans ton salon, mais pour un agriculteur, c’est la même chose. »

Une « loi-bâillon », dénonce un professeur de droit

Alain Roy, professeur du cours « éthique et droit animal » à la faculté de droit de l’Université de Montréal, estime qu’une telle loi serait l’équivalent d’une loi-bâillon – ou « Ag-gag », comme elles ont été désignées dans le Canada anglais.

« Ce n’est pas dans l’intérêt économique de l’industrie de dépenser davantage pour assurer le bien-être animal. Ça ne prend pas un doctorat en économie pour comprendre cela. Dans ce contexte-là, il me semble que des lanceurs d’alerte dans une démocratie, qui pourtant a postulé le bien-être animal comme une priorité sociétale, c’est absolument indispensable. »

Lui-même végane depuis six ans, M. Roy pense que l’industrie agricole « a tout intérêt à garder ses activités secrètes ». « Moi, je n’ai aucun problème avec le resserrement des protections, à une condition : on met des caméras en permanence dans les élevages. »

DxE se dissocie des actes commis au Manitoba et au Vin mon lapin

Fondé en Californie, le groupe Direct Action Everywhere (DxE) a mené quelques actions au Québec au cours des derniers mois. Des membres du groupe ont notamment manifesté au restaurant Joe Beef, début janvier, et chanté devant un comptoir de viande d’un magasin Costco à l’automne.

La semaine dernière, deux grandes tables de Montréal – le Vin Mon Lapin et le Manitoba – semblent avoir été ciblées par des tenants de la cause antispécistes pour leur appui au Petit abattoir, un projet coopératif de petite échelle destiné aux producteurs artisanaux. Leurs serrures ont été enduites de colle et des notes manuscrites ont été laissées dans leurs boîtes aux lettres.

« DxE Montréal aimerait clarifier que nous n’avons rien à voir avec les gestes posés au restaurant Manitoba et au restaurant [Vin] Mon Lapin. Nous serons plus qu’heureux de discuter de la cause pour la libération animale en entrevue, toutefois, nous n’avons rien à dire sur des actes posés par d’autres organisations ou individus », a indiqué le groupe dans une déclaration officielle diffusée sur sa page Facebook.

— Daphné Cameron, La Presse

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