Société

Quel avenir pour notre alimentation ?

Le réchauffement de la planète menace notre assiette. Marianne Landzettel, journaliste d’origine allemande spécialisée en agriculture, et Wilfried Bommert, porte-parole du World Food Institute de Berlin, ont parcouru la planète pour comprendre comment les changements climatiques menacent notre alimentation – et quelles sont les solutions de rechange. Best-seller en Allemagne, leur livre La fin de l’alimentation paraît en français chez Guy Saint-Jean Éditeur. La Presse a joint Marianne Landzettel à Londres, où elle vit.

Le chocolat, le café, l’huile d’olive, les poissons et les amandes pourraient devenir de rares produits de luxe, avec les changements climatiques. Il faut trouver des solutions pour que les agriculteurs puissent continuer à nous nourrir ?

Nous devons tous être conscients des changements climatiques, de leur incidence sur l’agriculture et sur la production alimentaire. Il faut savoir ce que les agriculteurs peuvent faire – et ce que nous pouvons faire – pour en atténuer les impacts. Il ne s’agit pas de s’inquiéter pour ce terrible avenir sans chocolat ni café. C’est plus important que ça. Toute la production alimentaire est concernée.

Vous vous êtes rendue en Californie, un État qui fournit 80 % de la production mondiale d’amandes et entre 50 % et 90 % (selon les variétés) des fruits et légumes consommés aux États-Unis. On mange aussi ces produits au Québec. Or, la Californie a connu plusieurs années de sécheresse. Quelle est la situation actuelle ?

La situation a changé. La Californie a eu deux hivers très humides. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont sortis du bois. La Californie envisage maintenant une solution juridique au problème du manque d’eau, parce que l’État s’est rendu compte que plus d’eau est extraite de l’aquifère que ce qui est réintroduit par la pluie. Cela doit cesser.

Un nouveau rapport indique que dans la vallée de San Joaquin, environ 5000 acres de terres devront être mises en jachère. Les agriculteurs devront faire des choix et investir l’eau dans des cultures de grande valeur. Je ne pense pas que les amandes vont disparaître. Mais les fermes laitières pourraient devenir moins nombreuses ou absentes.

La hausse des températures menace aussi la production de fruits et de noix, en Californie ?

Oui. Il s’agit d’un problème mondial. Les arbres fruitiers ont besoin d’une période hivernale avec des températures plus basses. Cela envoie l’arbre en dormance. S’il fait trop chaud et que l’arbre ne se repose pas, il est plus susceptible d’être attaqué par des ravageurs et ses rendements baissent. Il arrive un moment où il devient impossible de cultiver certains fruits et noix dans des zones trop chaudes. C’est déjà le cas en Inde.

Vous êtes allée en Iowa, un État américain qui compte 3 millions d’humains, 21 millions de porcs et 600 millions de poulets. Ironiquement, 90 % des aliments vendus et consommés dans l’Iowa ne viennent pas de l’Iowa. On ne produit plus pour se nourrir ?

L’Iowa est au cœur de l’agriculture industrielle. La production de soya et de maïs y est destinée à nourrir le bétail, à faire de l’éthanol et des produits comme le sirop de maïs à haute teneur en fructose. Bien sûr, les gens mangent les œufs, les poulets et les porcs. Mais rien de ce qui pousse dans les champs ne peut être mangé à la récolte.

Je suis allée dans un des bons supermarchés de l’Iowa, où on vend beaucoup de légumes. Il y avait du chou frisé et des navets de Californie ! S’il y a bien un légume qu’on pourrait cultiver facilement en Iowa, ce sont les navets. Avant, les fermes avaient toutes leur jardin. Elles étaient autosuffisantes en fruits et légumes. Aujourd’hui, notre production alimentaire est complètement déséquilibrée. Il y a des zones de monoculture, et leurs produits sont distribués dans tout un pays, parfois même partout dans le monde. On devrait plutôt produire un peu de tout, localement. On ne fera jamais pousser de bananes ou d’ananas en Iowa, mais pratiquement tout le reste pourrait venir de là.

C’est pareil au Québec : on importe plusieurs légumes qu’on peut cultiver localement. Mais les bananeraies ne sont pas pour demain…

Il n’y a pas de problème à importer les aliments que vous ne pouvez pas cultiver. Un certain niveau d’échanges agricoles, c’est génial. Mais du point de vue climatique, je ne pense pas que nous puissions continuer à avoir des monocultures et à cultiver dans un rayon de milliers de kilomètres ce que nous pouvons cultiver dans un rayon de 100 milles autour des villes.

Que pouvons-nous faire en tant que consommateurs ?

Nous pouvons changer notre façon de manger. Nous pouvons nous renseigner sur le fonctionnement de l’agriculture. Choisir des aliments de saison et limiter notre consommation de viande.

Je suis anti-végane. Ce n’est pas populaire, mais je pense vraiment que les animaux font partie de l’agriculture. Lorsque, parfois, nous mangeons de la viande, nous devons la choisir provenant d’animaux élevés sur l’herbe ou en liberté et biologiques. Les agriculteurs ont besoin d’animaux pour lutter contre les changements climatiques, pour garder des prairies. Il faut un marché pour ces animaux.

Je pense que la pression des consommateurs aide aussi. Dans les supermarchés, demandez d’avoir plus de produits biologiques. Apprenez à connaître votre agriculteur, achetez directement de lui, optez pour l’agriculture soutenue par la communauté. Et forcez vos supermarchés à payer équitablement les agriculteurs, ce qu’ils ne font pas actuellement.

Voulez-vous ajouter quelque chose ?

Oui. La politique joue un rôle. C’est extrêmement important. Tant que vous avez de grandes entreprises agricoles, des lobbyistes qui distribuent généreusement de l’argent et des réélections de politiciens qui dépendent de cet argent, vous obtenez une législation qui favorise l’agriculture industrielle. Et qui nie les changements climatiques.

C’est vraiment ce qui est le plus difficile à changer. Mais je pense que cela doit arriver. Aux États-Unis, ce sont des groupes de consommateurs qui luttent contre l’agriculture industrielle et l’agriculture de confinement qui disent : « Non, nous ne voulons pas d’une gigantesque ferme laitière ni de 30 000 porcs à la périphérie de la ville. » Nous avons besoin de politiciens qui encouragent les petites exploitations agricoles diversifiées, l’agriculture biologique et régénératrice.

Les propos de Marianne Landzettel ont été traduits de l’anglais et édités en raison d’un espace limité.

La fin de l’alimentation – Comment les changements climatiques vont bouleverser ce que nous mangeons

Wilfried Bommert et Marianne Landzettel

Guy Saint-Jean Éditeur

304 pages

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