Hubert de Givenchy 1927-2018

L’héritage d’un grand couturier

Créateur de haute couture ayant habillé les plus grandes stars, reconnu pour son style « chic décontracté », Hubert de Givenchy s’est éteint dans son sommeil samedi dernier, à l’âge de 91 ans. Retour sur une carrière faste, liée de près à son égérie et muse Audrey Hepburn.

Le goût de la mode

À Beauvais, en Oise, un département de la région Hauts-de-France, naît le 20 février 1927 Hubert James Taffin, comte de Givenchy, dans une famille issue de la noblesse française. Déjà, enfant, le jeune Hubert se passionne pour la mode, influencé par sa mère, très élégante, et son grand-père, qui collectionne des tissus du monde entier. À 10 ans, il se rend à Paris avec l’intention de rencontrer le couturier Cristóbal Balenciaga, son idole, mais sans succès. Ce n’est finalement qu’en 1953, à New York, qu’il rencontre celui qui a été son ami et mentor, « sa religion » même, comme il l’admettait lui-même, et qui a eu une influence importante dans sa carrière.

La haute couture dans le sang

À 17 ans, Hubert de Givenchy, de sa stature imposante (il mesurait 6 pi 5 po), quitte sa ville natale pour s’installer à Paris, où il étudie à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Rapidement, il intègre le monde de la haute couture : il travaille chez Jacques Fath, qu’il impressionne par ses esquisses, puis chez Robert Piguet et Lucien Lelong, sur les recommandations de Christian Dior, son ami. Deux ans plus tard, il devient premier assistant d’Elsa Schiaparelli, créatrice connue pour son style avant-gardiste et provocateur. En 1952, sept ans seulement après son arrivée dans la Ville Lumière, Givenchy ouvre sa propre maison de couture.

Le « style » Givenchy

Présentée au printemps 1952, la première collection Haute Couture de Givenchy fait sensation, notamment une de ses pièces iconiques, la blouse Bettina, nommée d’après Bettina Graziani, son mannequin-vedette et attachée de presse. Cette blouse blanche en coton aux manches à volants à broderie anglaise noire fait partie d’une collection de « pièces séparées » pouvant être mélangées à l’envi, une innovation en cette ère où la haute couture est très codifiée. La marque de commerce de celui qu’on surnomme « l’enfant terrible de la haute couture » s’impose : le chic décontracté. « Ce que Givenchy apporte aux années 50, c’est un souffle d’air frais. On était alors dans une mode très conservatrice, avec les jupes en corolle et les tailles de guêpe – donc très Christian Dior. Givenchy, à l’inverse, propose des lignes classiques, droites, élégantes, tout en démocratisant la mode avec son style qui plaît aux jeunes », résume Philippe Denis, chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’Université du Québec à Montréal.

Un duo complémentaire

Si Givenchy a créé des pièces pour nombre de célébrités, dont Jackie Kennedy, la princesse de Monaco et Jeanne Moreau, c’est son association avec Audrey Hepburn qui a marqué les esprits. Il la rencontre pour la première fois en 1953, alors qu’elle le convainc de créer les costumes pour le film Sabrina (pour lequel il remporte l’Oscar des meilleurs costumes). Ensuite, le couturier signe de nombreuses pièces pour elle, que ce soit pour le grand écran ou pour son quotidien, la plus célèbre étant sans aucun doute l’emblématique « petite robe noire » qu’elle porte dans Breakfast at Tiffany’s, en 1961. Lorsque le couturier lance Parfums Givenchy en 1957, elle devient le visage de sa première fragrance, créée spécialement pour elle, L’Interdit. « Avec Audrey Hepburn, Givenchy forme un tout ; il a rencontré sa muse, mais aussi son meilleur mannequin. Elle devient vraiment l’ambassadrice de son style », indique M. Denis.

L’apogée, puis (un peu) l’oubli

Les années 50 et 60 sont fastes pour Givenchy. Le couturier brille avec ses créations raffinées, mais sans esbroufe. Il embrasse aussi l’air du temps, en devenant un des premiers couturiers de haute couture à lancer une collection de prêt-à-porter de luxe, Givenchy Université, pour laquelle il crée des pièces comme le tailleur-short et la robe-short. Pas de doute, il fait partie, aux côtés de Dior, Yves Saint Laurent et Balenciaga, de ces designers parisiens qui changent le visage de la mode après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, l’influence de Givenchy a diminué avec le temps, considère M. Denis. « On a un peu oublié Givenchy dans l’ombre de Dior. Givenchy a réussi à créer sa propre esthétique et a connu de belles années. Mais dans les années 80 et 90, la mode va changer, et Givenchy n’est pas resté attaché à son esthétique, il a tenté de suivre la mode, ce qui, finalement, l’a démodé. »

Givenchy sans Givenchy

L’année 1988 voit l’acquisition de Givenchy par le groupe de luxe LVMH. Le couturier quitte la maison en 1995. De grands noms de la mode lui succèdent, dont John Galliano, Alexander McQueen et surtout Riccardo Tisci, directeur artistique de 2005 à 2017, mais aucun ne perpétue vraiment l’esthétique et les codes mis en place par le couturier. « Un article relatait que M. Givenchy passait devant sa maison avec une certaine tristesse dans le regard, car la marque était allée dans une tout autre direction », se souvient M. Denis. La nouvelle directrice artistique de la maison, Clare Waight Keller, changera-t-elle la donne ? Peut-être bien, alors que pour sa première collection printemps-été, elle a dit avoir été inspirée par le savoir-faire de Givenchy en utilisant des matières, couleurs et imprimés emblématiques de la maison.

La mode et des modes

Que pensait le grand Givenchy de la mode actuelle, à l’ère de la « fast fashion » ? « Je trouve qu’il y a une sorte de laisser-aller, je pense que la mode est devenue autre chose, et je ne peux pas dire que je suis enthousiasmé. Il y a la mode et les modes », résumait l’homme en entrevue pour la publication française Le Point en marge de l’exposition qui était consacrée à son œuvre (et pour laquelle il a agi à titre de directeur artistique) à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais, en 2017. « La mode, c’est faire tout son possible pour embellir la femme. » Et en cela, nul doute que Givenchy a réussi.

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