L'allaitement sans lunettes roses

De prime à bord, l’allaitement peut sembler facile, simple comme bonjour. Or, dans les premières semaines, l’allaitement nécessite un apprentissage plus ou moins facile d’un duo maman-bébé à l’autre. Voici quatre choses à savoir et six conditions gagnantes pour mieux vivre son allaitement.

une Culture à développer 

Jeune infirmière, Luisa Ciofani travaillait en périnatalité dans une réserve autochtone du Grand Nord. En trois ans, dit-elle, elle se souvient avoir vu une seule femme avec d’importantes gerçures aux mamelons. « Je me souviens d’elle parce que ce n’était tellement pas usuel », dit Mme Ciofani, infirmière certifiée en périnatalité et en lactation et gestionnaire en soins infirmiers au Centre universitaire de santé McGill. De retour à Montréal (à une époque où les Québécoises allaitaient moins qu’aujourd’hui), Luisa Ciofani a été surprise par le contraste : « Il y avait beaucoup, beaucoup de mères qui avaient de la misère à allaiter », dit-elle.

Son constat, partagé par de nombreux intervenants en lactation : le Québec n’a pas encore développé de culture de l’allaitement. « Les femmes qui accouchent maintenant n’ont pas vraiment de modèles autour d’elles pour savoir comment faire, dit-elle. Et on s’attend à ce que ce soit naturel, qu’il y ait de la belle musique de violon, qu’on va se sentir super… Quand je faisais de l’enseignement aux mamans, je leur disais que personne ne s’attendait à être capable de conduire une voiture pour la première fois sans préparation. Mais avec l’allaitement, on s’attend à ça. »

Pas toujours facile

Pour certaines femmes, oui, l’apprentissage se fait effectivement rapidement et sans obstacle. Mais pour d’autres, les premiers pas en allaitement sont difficiles. Les futurs parents « devraient s’attendre à ce que ce ne soit pas facile, les premières semaines » (qui comprennent l’allaitement, mais aussi le manque de sommeil, la remise de l’accouchement et toutes les autres adaptations inhérentes à leur nouveau rôle), souligne Luisa Ciofani.

Même son de cloche du côté de Rosalie Sarasua, membre du conseil d’administration de l’Association des consultantes de lactation du Québec et diplômée portant le titre d’International Board Certified Lactation Consultant (IBCLC). « Quand je donnais des cours prénatals, je ne disais jamais que ce serait facile », dit-elle. Comme n’importe quelle aptitude qu’on apprend, certains duos maman-bébé réussissent plus facilement que d’autres, dit-elle.

« Ça prend quatre à six semaines pour établir l’allaitement, pour que la production change, que les matières grasses dans le lait augmentent », note Luisa Ciofani. Mais après, ça devient facile, dit-elle. Et beaucoup plus pratique que de donner le biberon.

Un nouveau-né boit très souvent

La principale raison invoquée par les femmes qui cessent d’allaiter ? Le manque de lait maternel, peut-on lire dans l’article « Tendances de l’allaitement au Canada », sur le site internet de Statistique Canada. Pourtant, « l’insuffisance de lait maternel est un problème médical rare », ajoute-t-on.

Cette perception peut être causée par une mauvaise prise du sein par bébé (ce qui peut être réglé avec de l’aide) ou encore par l’introduction trop précoce d’autres aliments dans l’alimentation des bébés allaités (comme de la formule), ce qui peut effectivement réduire la production des mères en raison du manque de stimulation des seins, explique-t-on.

90 %

Au Canada, 90 % des femmes allaitent à la naissance de leur enfant (87 % au Québec).

21 %

Une Canadienne sur cinq ajoute un autre liquide dans l’alimentation de son bébé dans sa première semaine de vie.

68 %

Plus de deux Canadiennes sur trois allaitent leur bébé à l’âge de 3 mois, dont 52 % de façon exclusive.

Source : Breastfeeding Rates and Hospital Breastfeeding Practices in Canada : A National Survey of Women, journal Birth, juin 2009 (données de 2006).

Selon Luisa Ciofani, les mamans sont parfois mal informées de la réalité des premiers jours : dans les 24 premières heures, la femme produit seulement 30 ml de colostrum en moyenne. Cette production augmentera graduellement à 500 ml de lait au cinquième jour grâce à la stimulation et au drainage des seins (toutes les deux, trois heures, parfois même toutes les heures).

« Une nouvelle maman est vulnérable, elle veut faire la meilleure chose pour son bébé, dit-elle. Alors elle se dit que son lait n’est pas assez riche. Et les gens autour d’elle lui demandent :  “En as-tu assez ?” Ça peut être très émotionnel, allaiter un bébé ! »

Il peut y avoir de la douleur

Rosalie Sarasua et Luisa Ciofani s’entendent : des mères ont les seins très sensibles et peuvent ressentir une certaine douleur passagère dans les premiers jours. « L’étirement du mamelon dans la bouche du bébé peut être perçu comme de la douleur », explique Luisa Ciofani. De la littérature scientifique montre que cette irritation s’en va entre la cinquième et la septième journée, dit-elle.

Cela dit, si la femme a de la douleur durant toute la tétée, qu’elle est crispée, qu’elle a peur de mettre bébé au sein, « ce n’est pas normal », poursuit Mme Ciofani. « La douleur est souvent causée par une mauvaise prise du sein. Il faut alors montrer aux femmes ce qu’est une bonne prise, comment la bouche du bébé doit être », explique Rosalie Sarasua, qui souligne que la vaste majorité des problèmes peut être réglée avec de l’aide, de l’énergie et parfois du temps.

Selon la Dre Anjana Srinivasan, médecin de famille, consultante en lactation IBCLC et codirectrice médicale de la clinique d’allaitement Herzl-Goldfarb, toute forme de douleur devrait inciter les femmes à consulter un professionnel de la santé pour corriger le problème rapidement.

S’informer avant d’accoucher

« Le plus on est informé, le mieux c’est », résume la Dre Anjana Srinivasan. On peut lire des livres sur l’allaitement, aller aux cours prénatals, en parler à son médecin… Luisa Ciofani conseille aux femmes d’aller à la halte-allaitement de leur quartier avant même d’accoucher « pour voir et apprendre ce qui est normal ».

Établir un réseau de soutien

On établit des contacts avec des femmes qui connaissent l’allaitement et qui pourront nous soutenir. Ça peut être un proche (sa mère, sa sœur, une amie) ou encore auprès d’un organisme communautaire comme Nouri-source (qui offre un service de jumelage) et la Ligue La Leche. Il demeure important de mettre son partenaire dans le coup (pour qu’il nous encourage le temps venu) et d’annoncer ses intentions à son entourage, indique Rosalie Sarasua.

Se reposer avant d’accoucher

Mieux vaut se reposer le plus possible avant l’accouchement, conseille Luisa Ciofani. « Les femmes travaillent souvent jusqu’au dernier moment pour avoir un congé de maternité plus long. Quand elles accouchent, elles sont déjà fatiguées. Quand on est fatiguée, on apprend moins bien. Notre tolérance à l’incertitude est moindre. »

Faire du peau à peau

Le peau à peau immédiatement après la naissance et pour une durée d’au moins deux heures favorise l’allaitement. « Le bébé est à la bonne place pour essayer d’allaiter pour la première fois », indique la Dre Anjana Srinivasan. « Le plus précoce la tétée, le plus la mère va produire du lait, le plus bébé va en prendre… C’est un cercle », illustre Luisa Ciofani. Autre mot d’ordre : on allaite à la demande.

s’alléger la tâche

« Si la femme a du soutien autour d’elle – quelqu’un qui lui apporte un repas, qui lui permet de dormir pendant qu’il berce le bébé – , ça peut aider et ça peut faciliter la tâche de l’allaitement », note Luisa Ciofani. « Quand les femmes ont des gens dans leur entourage qui les encouragent, qui normalisent l’allaitement, ça fait toute la différence », ajoute Rosalie Sarasua.

Demander de l’aide rapidement

« S’il y a de la douleur, si bébé ne prend pas le sein ou ne gagne pas assez de poids, c’est important de consulter un professionnel très rapidement », indique la Dre Anjana Srinivasan. On peut aller voir son médecin, une infirmière du CLSC ou encore demander une consultation dans une clinique d’allaitement. Au privé, on peut se tourner vers une conseillère en lactation IBCLC, qui facture, à Montréal, entre 130 $ et 170 $ pour une consultation à domicile.

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