Arjun Basu

Twittérature

En 2008, Arjun Basu a écrit par curiosité son premier twistter, une fiction en 140 caractères. Cet exercice mental, duquel il est devenu accro, a fait sa renommée sur les réseaux sociaux. En voici quatre. 

J’ai demandé : « C’est quoi, dans la bouteille ? » Elle l’a sentie et a dit : « C’est bon pour toi. » Je me suis retrouvé hanté par les souvenirs. « Je n’ai pas tellement soif », ai-je répondu.

(I asked, What’s in the bottle ? She sniffed it and said, It’s good for you. I became demon-haunted by memory. I’m not that thirsty, I replied.)

La vie semblait stérile, insensée. Puis ma femme m’a quitté. Elle m’a appelé une semaine plus tard d’un hôtel en Jamaïque. « La pizza ici est horrible », a-t-elle dit.

(Life felt barren, without meaning. Then my wife left me. She called a week later from a hotel in Jamaica. The pizza here is awful, she said.)

Il s’est réveillé baigné de sueur nocturne ; elle était déjà réveillée, prête à enlever les draps, et elle a demandé s’il allait bien, et il a dit qu’il rêvait qu’il était heureux.

(He wakes bathed in nightsweat ; she’s awake already, ready to remove the sheets, and she asks if he’s ok, and he says he dreamt he was happy.)

Ç’a sonné à la porte. Il a dit : « Tu sais, l’anticipation est plus agréable que la surprise. » Elle l’a frappé avec son magazine. Personne ne s’est levé pour aller répondre.

(The doorbell rang. He said, You know anticipation is sweeter than surprise. She hit him with her magazine. Neither got up to answer the door.)

EXTRAIT

Extrait

« Le jour suivant, la télévision a débarqué. Dan a accordé des entrevues toute la journée. Les camions de télé ont rejoint les camions de bouffe stationnés dans la rue. Des journalistes se sont mis à interviewer des gens dans la rue. Des hélicoptères bourdonnaient au-dessus de nos têtes et je m’attendais à voir apparaître un ballon dirigeable. La télévision nous a assaillis comme un essaim, et la seule force du nombre, la rencontre violente avec la foule massée dans la rue, ressemblait à une scène de bataille tirée d’une épopée à gros budget. “Ça y est”, a dit l’Homme. Quand il parlait, mon cœur accélérait. Ou quelque chose comme ça. Je prenais de grandes respirations. “Ça y est”, a-t-il répété. »

ARJUN BASU

Ironie du XXIe siècle

Prenez une franche dose de cynisme à la 99 francs, ajoutez-y une poignée d’ironie, une quête initiatique à travers l’Amérique et touillez avec l’exhibitionnisme des réseaux sociaux. Voilà, vous avez entre les mains Attends-moi, premier roman du Montréalais Arjun Basu, qu’on connaît d’abord pour sa microlittérature sur Twitter.

En quelque 400 pages, on fait la connaissance de Joe Fields, rédacteur publicitaire qui a tout pour lui : la carrière, l’argent et l’appart près du très branché Meatpacking District, à New York. Or, ce fils d’immigrants dans la mi-trentaine n’est pas heureux. Suintant de cynisme, il entendra une voix, flottera au-dessus de son corps et enfin verra l’Homme sur un blanc destrier qui sent… la lessive. Il commencera une quête initiatique dans les escaliers de son immeuble, en attendant de nouveaux indices de sa vision. Sa passivité rendra fous les médias. En parallèle, on découvre un Joe barbu qui pèle des pommes dans un ranch cinq étoiles au Montana. Et voilà l’accroche : comment en arrive-t-il là et comment va se dénouer sa quête ?

L’auteur a accordé une entrevue à La Presse. Mécanique de son roman en cinq mots.

MÉDIAS

Ils sont partout, poursuivent Joe dans sa quête et créent de la nouvelle surtout lorsqu’il n’y en a pas. « C’est un roman très social, d’une époque où on parle de marque personnelle, de vie privée dans les réseaux sociaux, de la convergence des nouvelles et du divertissement. De nos jours, on peut se plaindre sur notre vie privée, mais on le fait sur Facebook », dit Arjun Basu, qui travaille comme directeur de contenu marketing. Une coïncidence que son personnage soit aussi dans la publicité ? « J’ai surtout voulu un personnage au cœur de toutes ces convergences, à l’aise et cynique par rapport aux caméras, aux médias. Il peut percevoir ce que le journaliste peut faire de son histoire, mais ne peut pas arrêter ça. Joe est la cause de ce phénomène, mais il en est aussi la victime. »

BONHEUR

La voix de l’Homme parle à Joe plus que ne le fait son mode de vie enviable. L’antihéros entreprend une quête qui devrait être solitaire, mais que le monde suit avidement. « Fait-il vraiment une quête dans ce cas ? […] Je pose beaucoup de questions, sans forcément donner de réponses, dit Arjun Basu en rigolant. Est-ce que le travail de nos parents, de vivre au même endroit, nous assure encore le bonheur ? C’est quoi d’être heureux ? La poursuite du bonheur est inscrite dans la Constitution américaine. Beaucoup de pays promettent l’égalité, mais la quête du bonheur est très américaine. »

AMÉRIQUE

Road trip, quête mystique, paysages, on nage en plein roman américain. Ce n’était pourtant pas l’ambition de l’auteur, dont l’idée première lui est venue en trois flashes. « Ç’a commencé avec un gars qui attend dans les escaliers. Une image très montréalaise, raconte celui qui a été grandement influencé par la littérature américaine, tout comme Daniel Grenier (L’année la plus longue, Le Quartanier), qui a traduit le livre en français. La deuxième, c’est le même gars dans une minifourgonnette avec un Japonais. Et la troisième se passe à la fin de l’histoire. J’ai jonglé avec ces images en tentant de les relier. Quand l’histoire s’est mise à tourner autour des médias, de cette idée très américaine du bonheur, New York s’est imposé. Il concentre toutes ces tendances. Parce qu’à New York, rien ne surprend. »

JAPONAIS

Présentés comme d’éternels touristes aux goûts étranges ou en auto-stoppeurs, les Japonais sont très présents dans Attends-moi. « Quand on voyage, surtout aux États-Unis, on trouve toujours des touristes japonais, d’un hôtel-boutique à New York jusqu’à Banff, où les pancartes sont en anglais, français et japonais. C’est incroyable », dit celui qui a travaillé comme rédacteur en chef du magazine enRoute. L’un d’eux s’assoira dans la minifourgonnette de Joe. « Mettre ainsi en scène un étranger me permet d’en dire plus sur les États-Unis. Comme auto-stoppeur, ce jeune Nippon a vu plus de ce pays que ne l’a jamais fait Joe ! […] C’est aussi une façon d’ouvrir une histoire qui se passe dans la tête du personnage principal. » Sans compter qu’il a une réaction bien différente au battage médiatique…

NATURE

Même la nature n’est pas épargnée par la plume désabusée d’Arjun Basu, qui plante la moitié du roman dans un ranch haut de gamme. L’idée que le rustique soit si léché l’interpelle. « On veut les randonnées avec le repas gourmet, ou se faire masser dans un hôtel construit dans les arbres. On veut la nature sans le sauvage. Avoir à la fois l’artifice de la nature et le confort », dit-il en riant.

Attends-moi

Arjun Basu

Traduction de Daniel Grenier

Éditions Marchand de feuilles,  432 pages

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.