Opinion : Stratégie de gestion

En quête de nouveaux océans bleus

Les livres de gestion sont le plus souvent une lecture ardue, sinon soporifique. On doit cependant au Cirque du Soleil d’avoir inspiré l’une des plus belles exceptions : Stratégie océan bleu. Publié en 2005, le livre de stratégie managériale a été traduit en 34 langues et s’est vendu à plus de 3,5 millions d’exemplaires. Son influence est telle qu’aujourd’hui, 2800 universités l’ont inclus à leur corpus d’enseignement et… plus de 200 organisations dans le monde ont intégré les mots « océans bleus » à leur raison sociale.

Le postulat de départ de Stratégie océan bleu  (Blue Ocean Strategy en anglais) est que les entreprises sont obsédées par la compétition au « corps à corps » : elles cherchent à offrir des produits un peu meilleurs ou un peu meilleur marché que la concurrence. Toute avancée sur l’un ou l’autre de ces deux axes est rapidement rattrapée par les compétiteurs, transformant la vie des décideurs en véritable supplice de Tantale.

L’histoire du Cirque du Soleil est tout autre. Plutôt que de voir comment ils pourraient se tailler une place dans le marché saturé des cirques, Guy Laliberté et ses acolytes ont réinventé, dans les années 80, l’idée même qu’on s’en faisait. Exit les lions, éléphants et autres animaux exotiques, exit les superstars qu’on présentait sur les affiches et dont les cachets faisaient exploser les coûts de production, exit les scènes multiples qui montraient aux spectateurs trois ou quatre performances simultanées. La proposition de Guy Laliberté était simplifiée, mais améliorée : vaguement inspirés de l’opéra et du ballet, les spectacles reposent sur une trame narrative supportée par une musique originale, faisant vivre aux spectateurs toute la gamme des émotions.

Stratégie océan bleu propose aux stratèges de suivre le modèle d’affaires du Cirque, soit de quitter les « océans rouges » de la compétition acharnée pour aller explorer les « océans bleus », ceux des marchés inexplorés.

Comment ? En remettant en question les prémisses de leur industrie pour éliminer des pans entiers de leur proposition d’affaires jugés nécessaires « parce qu’on le fait depuis toujours » plutôt que de répondre à un besoin réel des consommateurs.

Renée Mauborgne, coauteure du livre, était de passage à Montréal dans le cadre de la réunion internationale des anciens de l’INSEAD, l’école d’affaires où elle enseigne et qui compte parmi ses anciens élèves les Desmarais et Bill Morneau, l’actuel ministre des Finances du Canada. Alors que je l’écoutais présenter les cas d’autres entreprises qui ont exploré les « océans bleus » (l’éditeur de bandes dessinées Marvel, les aspirateurs Dyson, les centres d’entraînement Curves et même le violoniste André Rieu), je me suis pris à réfléchir à comment on pourrait appliquer ces préceptes aux affaires publiques.

En cette année d’élections municipales au Québec, une idée serait, par exemple, de remettre en question l’existence des partis politiques municipaux.

À quelques exceptions près, soit le RCM de Jean Doré, le Rassemblement populaire de Jean-Paul L’Allier et aujourd’hui Projet Montréal, les partis politiques municipaux sont des ersatz du système de partis politiques nationaux et visent moins à susciter l’engagement citoyen qu’à porter au pouvoir des candidats à la mairie puis, une fois au pouvoir, à leur assurer l’appui inconditionnel du conseil municipal.

Des béni-oui-oui ou une nuisance

Inspirés du système parlementaire britannique, mais jetés dans un contexte qui ne s’y prête pas, soit celui d’administrations municipales, les partis ont comme conséquence de mettre une ligne de parti sur des politiques urbaines qui devraient être débattues à leur mérite plutôt que de façon partisane. Les membres de l’équipe au pouvoir deviennent des béni-oui-oui, ceux de l’opposition, une nuisance, pour reprendre l’expression malheureuse mais juste de l’ex-maire de Lévis, Jean Garon. Pire, elles privent d’influence les élus compétents qui sont « du mauvais côté ». Re-pire, leur besoin de financement a ouvert la voie aux scandales de corruption des dernières années.

À Montréal et dans les autres villes du Québec, il y a fort à parier qu’un candidat qui se présenterait à la mairie en éliminant une composante jugée essentielle « parce qu’on le fait depuis toujours » et se présenterait sans parti pourrait possiblement naviguer dans des océans bleus et ainsi remporter la faveur populaire.

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