OPINION PARITÉ

Comme par magie

Nous pensons que la parité arrivera naturellement. Comme nous nous trompons.

Nous n’aurons jamais autant entendu parler de parité que cette semaine, et ce n’est pas pour me déplaire. Espérons que cela survive au 8 mars et aux bonnes intentions.

Toutefois, on entend beaucoup de choses sur les quotas, les mesures volontaires ou contraignantes, on applique les mêmes grilles à tous les gouvernements, sans réaliser qu’ils n’ont pas la même manière de fonctionner. Si on veut parler de parité et de moyens pour y arriver, il faut s’y éduquer, sans quoi on lance de grandes généralités, et rien ne changera jamais.

Mérite et compétence : nouveaux critères ?

Dans tous les cas, il faudra commencer par démystifier ces notions de mérite et de compétences, que l’on brandit pour justifier l’opposition aux quotas. Avez-vous remarqué que ces deux critères sont apparus avec le débat sur la parité ? Aviez-vous déjà entendu parler de ça avant, pendant les campagnes électorales passées ? « Ah, lui, je veux qu’il soit là parce qu’il le mérite, et non parce qu’il est un homme » ? Moi non plus.

Je suis aussi estomaquée de constater à quel point les femmes s’en vont, lance à la main, défendre leur « mérite » et leurs ambitions. Elles clament fièrement ne pas vouloir être choisies en raison de leur genre, mais pour leurs compétences. Sont-elles en train de dire que les hommes sont tous là pour leurs compétences ? Vraiment ?

On ne peut changer le passé, et la réalité, c’est que l’histoire a favorisé le genre masculin. Depuis toujours, le système politique traditionnel carbure aux habitudes et aux réseaux d’affaires et professionnels. Même si les femmes y sont plus nombreuses, ce n’est encore pas la norme de les y recruter. Et quand elles le sont, recrutées (quel que soit le milieu), elles n’acceptent pas facilement, parce que la politique telle qu’elle est pratiquée ne leur convient pas.

Et alors, on se désole : rien à faire, elles ne veulent pas se présenter, on n’y peut rien !

Et bien c’est le contraire, on y peut tout, et même, on doit trouver le moyen de changer cela. Nous devons voir les choses autrement : les femmes ont largement démontré leur compétence, leur mérite, leurs ambitions, ce n’est plus à elles de s’adapter, mais aux partis et à la classe politique. C’est leur responsabilité de les intégrer.

Ne pas le faire, c’est cela qui ne marche plus. C’est se contenter d’une moitié de démocratie.

La fée parité

Les gouvernements (surtout celui de Justin Trudeau, qui se proclame féministe de par le monde) disent pourtant être en faveur de la parité… mais sans mesures contraignantes. Alors comment vont-ils faire ? Espèrent-ils qu’une fée lancera un sort à tous les Parlements du pays pour que le Canada se réveille un matin avec 50 % de femmes députées ?

La parité se prépare, elle demande qu’on se penche sur les meilleures pratiques, stratégies, celles qui conviennent le mieux selon les gouvernements ; tout cela n’est pas simple et prend du temps.

Il faut aussi s’éduquer, dans le grand public, sur ce que veut dire la parité et sur ses enjeux. Il faut faire valoir ce que l’arrivée des femmes a changé dans nos vies pour constater qu’il est important qu’elles y soient, en politique. Sans elles, pas de congé parental, pas de lois contre le harcèlement sexuel, en faveur du libre choix pour le droit à l’avortement, sur le partage du patrimoine familial, sur l’équité salariale. Et tant d’autres enjeux restent à venir.

La course à obstacles

J’assistais cette semaine à l’évènement Héritières du suffrage, à Ottawa, qui soulignait le 100e anniversaire du droit de vote des femmes au pays. Cette célébration a rassemblé 338 jeunes Canadiennes et les a invitées à s’assoir dans les sièges de la Chambre des communes. Pendant la semaine, elles ont eu droit à de vibrants discours de femmes ministres qui leur ont dit que leur place était en politique, qu’elles devaient avoir confiance en elles, oser s’affirmer, démontrer de l’audace, surmonter les difficultés avec courage.

Mais personne ne leur a dit que lorsqu’elles seront mères, qu’elles travailleront, les obstacles se poseront un à un pour compliquer leur tâche et que tout, de leur socialisation féminine aux traditions anciennes de la vieille politique, contribuera à rendre la tâche ardue. Voire même à les décourager.

Dans de nombreux pays en voie de développement, la parité et les mesures contraignantes font désormais partie des règles pour assurer des Parlements plus équitables. Dans notre Canada privilégié, instruit, ouvert et dit progressiste, nous figurons au 62e rang de la représentation féminine en politique. Le Québec, s’il était un pays, se classerait 58e. Nous pensons que la parité arrivera naturellement.

Comme nous nous trompons.

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