Éditorial : La tempête de l'hiver

Des excuses, et après ?

Ça, c’est un harfang des neiges.

Les caméras de surveillance du ministère des Transports du Québec (MTQ) ont pris cette image en janvier 2016.

Ça, c’est un bouchon de près de 300 voitures coincées toute la nuit sur l’autoroute 13 Sud à Montréal.

Le péquiste Pascal Bérubé posait une question déprimante. Si le MTQ peut voir l’oiseau en plein vol, comment peut-il ne pas remarquer des centaines de voitures immobiles pendant des heures et des heures ?

En fait, c’est encore pire. Le Ministère a vu ces gens coincés dans la tempête puis il a décidé… de ne pas en parler lors d’une première conférence téléphonique de crise à 23 h 50, de ne pas participer à la rencontre suivante à 1 h 40 et enfin, selon nos sources, d’ignorer les premiers signaux d’alarme de ses syndiqués et, selon nos sources, la centaine d’appels de policiers qui réclamaient que la voie soit déneigée.

Au MTQ, la devise semble être : aucune inaction n'a été prise* – en toute discrétion, de préférence… D’ailleurs, on a attendu jusqu’à hier en fin d’après-midi le compte rendu heure par heure du Ministère.

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Même si le MTQ a été d’une incompétence méthodique, il n’est pas le seul responsable.

Ses erreurs se sont déroulées après le début de la crise. Or, elles ont été facilitées par ce qui n’a pas été fait avant. Par le refus de créer une cellule de crise avant cette tempête qui s’annonçait redoutable.

La gestion de crise exige une coordination colossale entre de nombreuses ressources (pompiers, ambulanciers, policiers, déneigement, surveillance, etc.). Ce travail incombe à la division de la Sécurité civile au ministère de la Sécurité publique. Les autres grands ministères possèdent aussi un sous-ministre responsable de cette mission. Ils se joignent à la cellule de crise quand le problème les concerne (inondation dans une zone agricole, tempête sur les routes ou attentat dans une école).

C’est d’abord cela qui manquait dans la nuit de mardi à mercredi : un chef d’orchestre, nommé à l’avance et prêt avant la chute du premier flocon.

Ce chef aurait par exemple reçu les demandes de policiers incapables d’accéder à l’accident ou celles des pompiers qui assistaient impuissants à la crise.

On a commis une erreur de base en gestion de risque : présumer que, parce qu’il n’y a pas eu de crise lors des dernières tempêtes, il n’y en aurait pas cette fois-ci non plus.

Cette prévention relevait de Québec, et non de Montréal. Il fallait une vision d’ensemble, car la tempête s’est rendue bien au-delà de la rivière des Prairies et du fleuve Saint-Laurent, et l’accident aurait pu survenir ailleurs.

Pour faire toute la lumière, différentes enquêtes ont été annoncées hier.

Le gouvernement Couillard a :

– lancé une enquête externe sur le cafouillage aux ministères des Transports et de la Sécurité publique ;

– lancé une enquête administrative sur le sous-traitant qui déneigeait ce tronçon de l’A13. Il faudrait savoir si le contrat a été mal exécuté, ou si le contrat lui-même était lacunaire ;

– lancé une révision des processus de pré-tempête ;

– relevé temporairement d’une partie de ses fonctions la sous-ministre adjointe du MTQ responsable de la sécurité civile.

Et la Sûreté du Québec a :

– relevé temporairement de ses fonctions le gestionnaire qui a trop attendu avant de demander l’évacuation des automobilistes et l’aide des pompiers ;

– lancé sa propre enquête interne sur ce cafouillage ;

– lancé une enquête sur les deux camionneurs qui auraient refusé de se faire remorquer.

Tant mieux si on essaie de tirer des leçons de l’échec. Cette réaction de Québec soulève toutefois deux questions. D’abord, la suspension partielle et temporaire de la sous-ministre adjointe du MTQ n’est-elle qu’un scalp offert à l’opposition, pour qu’elle cesse de réclamer la démission du ministre des Transports Laurent Lessard ? Ensuite, Florent Gagné est-il la meilleure personne pour mener l’enquête externe ? Certes, à titre d’ex-patron de la SQ et d’ex-sous-ministre du MTQ, il possède une rare expertise. Mais c’est aussi lui qui avait fermé les yeux pendant les belles années de la collusion, et ce malgré les signaux d’alarme lancés par des dénonciateurs.

Fait exceptionnel, le premier ministre Couillard a présenté ses excuses hier aux Québécois. Mais le plus beau cadeau à offrir serait de les rassurer en montrant comment l’État interviendra lors de la prochaine tempête. Car tôt ou tard, il y en aura d’autres.

* Selon un quasi célèbre lapsus de l’ex-ministre délégué aux Transports, Norman MacMillan

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