Opinion Nouveau parti démocratique

Jagmeet Singh pourra-t-il faire une percée au Québec ?

Le candidat néo-démocrate Jagmeet Singh a causé toute une surprise dimanche dernier en remportant la chefferie de son parti avec 58 % des voix au premier tour. Singh est actuellement le plus jeune candidat à avoir brigué la direction du Nouveau Parti démocratique, ainsi que le plus jeune chef des partis au Parlement canadien.

Un des évènements qui a vraisemblablement conduit Singh à la victoire s’est produit au début du mois de septembre. Lors d’un ralliement en Ontario, une femme a interrompu le discours deSingh, lui demandant de cesser de faire la promotion de la charia, un système de lois interprété par les juristes islamiques à partir de principes tirés du Coran et de la sunna (écrits décrivant le comportement du prophète Mahomet). Or, Singh n’est pas musulman, mais plutôt sikh. 

Une vidéo de l’altercation circulant sur l’internet montre que le candidat fit preuve de tolérance en appelant la foule à bannir la haine et à réagir avec amour. La réaction de Singh s’aligne parfaitement avec les principes de la Charte canadienne des droits et libertés. L’attitude d’ouverture et de tolérance du jeune candidat a certainement joué en sa faveur auprès des membres du parti lors de l’élection du nouveau chef. Plusieurs se demandent, cependant, s’il réussira à séduire les électeurs canadiens, particulièrement ceux du Québec. En effet, le nouveau chef travaille très fort afin de séduire le Québec ; d’ailleurs, il a nommé Guy Caron, un Québécois, comme chef parlementaire. Et même si Singh s’adonne aussi à l’apprentissage de la langue française, cela lui suffira-t-il pour faire une percée au Québec lors des prochaines élections fédérales en 2019 ?

Ce qui risque de poser problème pour l’électorat, selon quelques députés néo-démocrates du Québec, c’est le port de signes religieux chez le dirigeant politique. 

En effet, Singh arbore un turban et un kirpan. Le Québec se démarque clairement du reste du Canada lorsqu’il est question du rapport entre la religion et la politique ; cette différence est d’ailleurs reconnue par Singh lui-même qui s’oppose au projet de loi 62 que le gouvernement du Québec souhaite adopter en vue de favoriser le respect de la neutralité religieuse de l’État et d’encadrer les demandes d’accommodements religieux. Même si certains collègues de Singh estiment que l’important n’est pas ce qu’il porte sur sa tête, mais ce qu’il a dans la tête, pour plusieurs critiques, l’identité religieuse du jeune chef risque d’influer sur sa politique. Le fait d’insister sur la visibilité de son identité religieuse – au moyen du port de signes religieux ostentatoires – dans la sphère politique peut être perçu comme une marque d’intransigeance de sa part.

La méfiance des Québécois à l’égard de la place de la religion dans les sphères publique et politique s’est confirmée lors du débat sur les accommodements religieux qui a donné lieu à la commission Bouchard-Taylor, des disputes concernant le port du kirpan à l’école publique, et du projet de charte des valeurs du Parti québécois. Lors des dernières élections fédérales, le malaise concernant la place de la religion dans les institutions gouvernementales s’est également fait ressentir, non seulement au Québec, mais aussi dans le reste du Canada, puisque la grande majorité des Canadiens et des Québécois se sont prononcés contre le port du voile intégral lors des cérémonies de citoyenneté, et favorisaient aussi le vote à visage découvert. Le refus d’un positionnement clair face à cette question sensible par l’ancien chef du NPD, Thomas Mulcair, a certes contribué à la perte des acquis du NPD au Québec et possiblement ailleurs au Canada. 

Qu’en sera-t-il du turban et du kirpan de Singh si le voile intégral fut une raison suffisante, pour certains, de ne pas voter pour le NPD aux dernières élections fédérales ? Singh pourra-t-il vraiment convaincre les électeurs canadiens de lui faire confiance lorsqu’il dit croire à la séparation entre le religieux et l’État ? Sera-t-il en mesure de faire une percée comparable à celle de Layton au Québec ? 

Pour certains, la visibilité de l’identité religieuse de Singh pourrait en quelque sorte s’apparenter au col romain d’un prêtre. Peut-on croire qu’un prêtre arborant un tel signe religieux ostentatoire réussirait en politique québécoise ?

Nous revêtons tous de multiples identités qui parfois se recoupent entre elles. Cela étant dit, le politicien peut-il vraiment mettre son identité religieuse en veilleuse de manière à ce que ses croyances n’influencent pas ses actions politiques ? Les débats des dernières années sur le rôle de la religion dans la sphère publique poussent certains à se demander s’il y a une place pour l’identité religieuse en politique ou si seuls l’athée ou l’agnostique peuvent exercer le pouvoir. 

Il est clair que la venue du nouveau chef du NPD soulève déjà des questions et ravive les passions quant à la place des signes ostentatoires de l’identité religieuse dans la sphère politique.

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