L’immense défi de Fady Dagher

Les attentes à l’endroit du prochain directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont tellement élevées que l’Everest paraît petit en comparaison.

Fady Dagher est précédé d’une formidable réputation. On l’associe à une police plus ouverte, plus près des gens. Il renvoie l’image d’un homme empathique, sensible. Ses origines libanaises le rapprochent des communautés culturelles. Ces dernières peuvent désormais se projeter dans cet homme qui a déjà raconté avoir été lui-même victime de profilage racial et qui a gravi tous les échelons d’une organisation à laquelle on reproche souvent son manque de diversité.

Au service de police de Longueuil, qu’il dirige depuis 2017, il a complètement transformé la culture. Il a établi des liens solides avec les organismes communautaires, rapproché ses policiers de la population, misé sur la prévention. Fin communicateur, il a ouvert ses portes aux journalistes et laissé entrer les caméras. Aujourd’hui, le rayonnement de Fady Dagher dépasse les cercles policiers : il donne des conférences sur la gestion, le leadership. Il inspire.

Sur papier, l’homme qui traverse le pont Jacques-Cartier pour venir diriger son alma mater est donc le candidat idéal. On comprend la mairesse Plante d’être fière de son coup.

Fady Dagher n’aura pas la tâche facile pour autant. D’immenses défis attendent le nouveau chef.

D’abord, il devra rétablir la communication et la confiance avec la population montréalaise. Et on ne parle pas d’une campagne d’image ou de blabla insipide. La relation entre le SPVM et les Montréalais bat sérieusement de l’aile. Il y a des liens à retisser avec les quartiers, les jeunes, les communautés culturelles, les organismes communautaires, les informateurs. Au cours des dernières années, le SPVM a surtout communiqué en temps de crise, presque toujours sur la défensive. Il y a un vrai dialogue à instaurer et ça prendra du temps.

Le nouveau chef de police devra également renforcer le sentiment de sécurité des Montréalais. Montréal a beau être une des villes les moins violentes au pays, une partie de sa population s’y sent moins en sécurité.

La prolifération des armes à feu figurera sans aucun doute au sommet des priorités du nouveau chef. Fady Dagher n’est pas de ceux qui estiment que les récentes décisions judiciaires concernant le profilage racial empêchent les policiers de faire leur travail d’enquête sur le terrain. Il devra le démontrer.

Pour y arriver, il aura besoin de ressources. On ne parle pas de budgets supplémentaires pour repeindre les autos de patrouille ou acheter de nouveaux uniformes, mais bien pour embaucher des policiers, regarnir les postes de quartier, mettre plus d’enquêteurs sur le terrain.

Si M. Dagher a accepté l’offre de Montréal, on peut croire qu’il est sûr de disposer des moyens de ses ambitions.

Mais le plus grand défi du nouveau directeur du SPVM, celui qui risque de l’empêcher de dormir la nuit, ce sera de convaincre ses policiers d’adhérer à sa vision. Ce ne sera pas une mince tâche. La Fraternité des policiers et policières a tendance à se braquer dès qu’elle entend le mot « changement ». Dites le mot « innovation » et le syndicat brandit sa convention collective comme d’autres brandissent des colliers d’ail pour éloigner les vampires.

Les éléments les plus conservateurs du SPVM aiment bien réduire le concept de police communautaire à une vision naïve et bon enfant du travail policier. Jeudi matin, les réfractaires avaient déjà commencé leur travail de sape en répétant dans les médias qu’« on n’arrête pas les criminels en faisant de la prévention ».

Comme si la police n’était pas capable de faire les deux, de la prévention ET de la répression. C’est cette perception réductrice et réactionnaire que Fady Dagher devra changer.

Il ne pourra jamais implanter sa vision d’une police moderne et proche des gens si ses policiers n’y croient pas.

Ce sera son premier vrai test de leadership au SPVM.

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