COVID-19

« Tu ne peux pas être préparé à vivre ça »

Le SPVM a dû adapter ses façons de faire en temps de crise et prévoit que la situation durera encore longtemps. Entrevue avec son directeur, Sylvain Caron, et avec le président de la Fraternité des policiers, Yves Francoeur

« Il y a deux semaines, lors d’un appel conférence, j’ai dit à mes cadres : on s’enligne pour deux ans ! Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de médicament ou de vaccin, je ne crois pas trop me tromper », affirme le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron.

En entrevue avec La Presse, M. Caron a raconté comment les évènements se sont précipités depuis que les premiers signaux sont venus de Chine, l’hiver dernier. 

« Tout le monde suivait ça un peu sans nécessairement trop y penser. On a eu beau se préparer, mais là, on s’est dit : “Oups, attend un peu, là. Ça vient d’arriver ici !” Là, les signaux plus importants ont commencé. On est quand même toujours un peu préparés. On a des plans de travail qui sont prévus. Mais c’est arrivé vite en tabarnouche au Québec ! Au retour de la semaine de relâche, c’est là que ça a vraiment commencé », se rappelle le directeur.

Le 12 mars, les quelque 100 cadres du SPVM devaient être réunis pour une première rencontre depuis six ou sept mois, mais elle a été annulée en catastrophe la veille, à 21 h 30.

Le jour même où devait avoir lieu la rencontre, les membres du comité de direction ont décidé de se diviser les tâches et de s’isoler, pour ne pas se contaminer et être infectés en même temps. À partir de ce moment, Sylvain Caron a souvent travaillé de sa maison dans les Cantons-de-l’Est.

Cours de masque 101

Dès l’après-midi du 12 mars, sous l’impulsion de la directrice adjointe responsable de la gendarmerie, Sophie Roy, les premiers contingents de policiers ont reçu la formation pour le port du masque N95. 

C’est durant cette période que la découverte du corps d’un homme dans un logement du centre-ville, mort vraisemblablement de problèmes respiratoires, a donné leurs premières sueurs froides aux policiers qui ont réalisé les risques associés à leur fonction. Le président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, Yves Francoeur, admet que ses 4500 membres avaient beaucoup de craintes au début. 

« Nos policiers répondent à entre 200 et 400 appels par jour relativement à la COVID-19. Des appels de toutes sortes, surtout des dénonciations. Il y a eu des interventions plus difficiles avec certaines communautés ou des groupes qui ne respectaient pas les consignes, il ne faut pas se le cacher. »

— Yves Francoeur,  président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal

Et comme 92 % des membres de la Fraternité demeurent à l’extérieur de l’île de Montréal, « ils vivent deux réalités. Leur vie personnelle se déroule dans des milieux beaucoup moins touchés, et c’est toute une distinction lorsqu’ils rentrent travailler à Montréal », explique M. Francoeur.

À la mi-mai, 800 policiers et policières au total avaient été envoyés en quarantaine à la maison, après avoir été en contact avec un collègue ou un citoyen infecté.

Un peu plus de 30 policiers avaient été infectés, dont un qui s’est retrouvé dans le coma à l’hôpital, intubé durant 14 jours, avant que son état s’améliore. « Ç’a été une onde de choc, surtout que son état s’est dégradé rapidement », se souvient M. Francoeur.

L’état d’urgence

Le 22 mars, la direction du SPVM, en accord avec la Fraternité, a appliqué l’article 12 de la convention collection, la clause de « l’état d’urgence » qui permet à l’employeur de modifier les horaires des policiers, d’imposer des quarts de travail de 10 ou 12 heures assortis de plus longues périodes de congé. Cette clause permet d’avoir les effectifs suffisants et de minimiser les risques d’infection.

Dans les rangs du SPVM, on compte 350 couples, dont plusieurs ont des enfants. Parce qu’ils sont en première ligne, des parents ont fait le choix de se séparer de leurs enfants durant une longue période plutôt que de risquer de leur transmettre le coronavirus. 

« J’ai en tête un couple de policiers, deux sergents avec trois jeunes enfants. Ceux-ci sont chez les grands-parents et ils ne les ont pas vus depuis deux mois », raconte Yves Francoeur.

Les enquêteurs ont été mis à contribution pour appuyer les patrouilleurs sur le terrain et faire respecter les consignes.

Le SPVM a réfléchi à la fermeture des ponts pour isoler l’île de Montréal, si la Santé publique le jugeait nécessaire. « Il y a eu des discussions, mais ce n’est pas passé près », assure Sylvain Caron.

Des plans ont également été prévus pour intervenir dans des CHSLD et pour fermer des quartiers de Montréal.

« Mais il y avait tellement d’éclosions à différents endroits. Il aurait fallu fermer la moitié ou le quart de l’île, alors ce n’était pas la meilleure solution », décrit le chef de police.

La protection, un enjeu

Pour le SPVM, le principal enjeu face à la pandémie a été de s’assurer que le matériel de protection ne manquerait pas. À un certain moment, il restait des réserves de masques N95 pour une dizaine de jours et des sections ont manqué de gel hydroalcoolique et de lunettes de protection durant quelques jours, poursuit M. Caron. La crainte de pénurie s’est dissipée depuis.

Un autre enjeu a été la communication aux troupes. Un décret n’attendait pas l’autre, et acheminer les directives aux troupes représentait un défi. 

« Quand tu gères une situation comme Mégantic, oui, il y a 47 décès et 72 wagons, mais c’est circonscrit dans un endroit précis. La COVID, tu n’as pas de périmètre, c’est partout », explique le chef du SPVM.

Sylvain Caron juge que la population a collaboré. « On a fait tout près de 9000 interventions approches auprès de différentes personnes [au 14 mai] et je pense qu’il ne s’est pas donné 1 % de constats. Ce qu’on a remarqué, c’est que les gens ont suivi les consignes », dit-il.

Le travail repensé

Il croit que les modes de travail au SPVM – le télétravail en opposition à la présence physique – devront être revus. « Une partie des enquêteurs devra continuer de travailler à la maison et l’autre au bureau, car s’ils sont tous assis dans les mêmes locaux, ce n’est pas possible de respecter la distanciation. »

« Il faut repenser aussi nos formations, nos qualifications, les maintiens de compétences de nos policiers. Il y a beaucoup de choses à revoir, comme l’emploi de la force et l’utilisation de l’arme à feu ou de l’arme à impulsions électriques. »

« Je me demande quand nos policiers et policières pourront intervenir auprès d’un citoyen sans devoir porter un masque, une paire de gants et des lunettes », ajoute le chef.

En presque 39 ans de carrière, Sylvain Caron n’aurait jamais cru vivre une telle situation. 

« J’ai vécu Lac-Mégantic de près, la crise à Val-d’Or, j’ai vécu toutes sortes d’affaires, mais tu ne peux pas être préparé à vivre ça ! C’est exceptionnel, et je souhaite ne jamais revivre ça », conclut le directeur du SPVM.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca

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