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À la rescousse des arbres de Montréal

Il y a le manque d’eau et le manque d’espace pour étendre leurs racines. Il y a aussi les polluants, les coups de pelle des déneigeuses, les surdoses de sel… Les arbres ont la vie dure à Montréal, au point que leur croissance et leur espérance de vie sont limitées. Des chercheurs ont déployé tout un arsenal technologique afin de déterminer les meilleurs moyens de les aider. La Presse les a suivis sur le terrain.

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Des fils USB sous terre

À coups de pelle à jardin, Maryam Kargar creuse sous la pelouse, tout près d’un trottoir d’Hochelaga-Maisonneuve. La pelle frappe bientôt une petite boîte blanche que la chercheuse déblaie avec soin, avant de l’extraire du sol.

Un trésor de pirate ? Presque. Dans ce lieu que les chercheurs souhaitent garder secret, il y a pour environ 8000 $ d’équipements enterrés dans le sol. Mais Maryam Kargar n’est pas flibustière. Elle est chercheuse postdoctorale au département de génie des bioressources à l’Université McGill. La jeune femme approche son téléphone intelligent de la boîte. L’écran se couvre de chiffres à mesure que les données y sont transférées par technologie Bluetooth.

« Cette boîte a été enfouie le mois dernier. Chaque heure, elle enregistre les conditions d’humidité et de température », explique Mme Kargar. Plus loin, c’est avec un ruban à mesurer qu’elle repère l’endroit exact où creuser. La vision est encore plus curieuse : elle dégage un fil USB qui sort directement de la terre. La chercheuse le branche dans son ordinateur. Sous la surface, le fil est relié à une kyrielle de capteurs qui recueillent des informations sur l’état du sol.

Ces manœuvres font partie d’un vaste projet de recherche lancé par la Ville de Montréal en collaboration avec l’Université McGill. Les bénéficiaires visés : les petits arbres qui ont été plantés ici l’automne dernier.

« Les arbres, en ville, n’ont pas les conditions idéales pour pousser. On veut réagir et trouver des moyens de les aider. »

— Guillaume Couture, ingénieur forestier à la Direction des grands parcs, du verdissement et du Mont-Royal à la Ville de Montréal

Exactement 23 arbres du coin font partie du projet expérimental et ont vu leurs environs criblés de capteurs. L’équipe teste plusieurs stratégies pour les aider. Certaines sont destinées à augmenter le volume d’eau qui se rend aux arbres, d’autres à faire de l’espace aux racines. On tente aussi de capter une partie des polluants avant qu’ils n’atteignent les racines (voir onglet suivant).

Des résidants curieux

Le travail de l’équipe est intrigant, au point que les résidants qui vivent près du site expérimental manifestent beaucoup de curiosité. « On distribue actuellement des lettres pour leur expliquer ce qu’on fait », dit Maryam Kagar.

On peut comprendre leur étonnement en voyant plus loin deux étudiants, Marcelo Frosi et Giovanni Natale, en train de passer l’aspirateur en plein trottoir. Ils s’affairent à dégager des appareils qui ont passé tout l’hiver dans le sol et ont bien besoin d’être dépoussiérés.

Il s’agit cette fois de lysimètres – des instruments qui captent l’eau à diverses profondeurs du sol. Les étudiants y plongent des tubes, puis actionnent à la main de petites pompes pour aspirer l’eau dans des bouteilles. Les chercheurs veulent connaître la quantité d’eau qui s’infiltre dans le sol, mais aussi sa qualité. L’eau recueillie sera apport.e en laboratoire, où on mesurera notamment son acidité, la quantité de sel qu’elle contient (une conséquence du déglaçage) et sa concentration en métaux (cuivre, zinc, plomb et cadmium).

Démarré en 2012, ce projet de recherche sur les arbres totalise 685 000 $. « Pour nous, considérant la valeur des arbres, c’est un investissement, dit Guillaume Couture. C’est un projet compliqué, mais on y croit. On ne peut pas arriver et dire : maintenant, on va faire les choses de telle façon. On doit arriver avec des données scientifiques. »

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Quatre façons d’aider les arbres

Comment aider les arbres à mieux s’épanouir en milieu urbain ? La Ville de Montréal et l’Université McGill testent actuellement plusieurs stratégies. En voici quatre.

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Fosses plus grandes

Les arbres urbains sont plantés dans ce qu’on appelle des « fosses d’arbre » – des espaces, sous le sol, où l’arbre peut déployer ses racines. Traditionnellement, ces fosses ne faisaient qu’un mètre cube. « Les arbres atteignaient une certaine limite, puis arrêtaient de pousser », explique l’ingénieur forestier Guillaume Couture. Il y a une quinzaine d’années, la taille a été augmentée à cinq mètres cubes. « La tendance est maintenant de 10 m3 », dit M. Couture, qui raconte qu’il n’est cependant pas simple d’obtenir de tels espaces. « À la surface, je suis en compétition avec les lampadaires, les poubelles, les supports à vélos. Dans le sol, il y a l’électricité, le gaz, Bell… Quand j’arrive et que je dis : je veux 10 m3 pour un arbre, ça réagit. C’est une bataille perpétuelle pour l’espace », raconte celui qu’on surnomme « Monsieur Arbre » à la Ville.

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Modules d’enracinement

Pour augmenter l’espace disponible pour les racines, la Ville de Montréal utilise aussi ce qu’on appelle des modules d’enracinement. Il s’agit d’une matrice de plastique assez solide pour soutenir une chaussée et qu’on remplit de terre. Les racines peuvent y pousser à travers. En plaçant une telle structure sous un trottoir, par exemple, on peut faire le pont entre une fosse d’arbre et le sol situé sous un terrain, ce qui permet aux racines de gagner de nouveaux territoires. Les modules d’enracinement permettent aussi de réduire la compaction du sol, un problème très présent en ville qui empêche les racines de pousser.

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Terreau de plantation

À l’Université McGill, la chercheuse Maryam Kargar a mené une vaste étude afin de trouver le meilleur terreau dans lequel planter les arbres. La matière idéale devait absorber les contaminants avant qu’ils n’atteignent les racines, conserver l’humidité et fournir des nutriments à l’arbre. Après avoir fait toutes sortes de mélanges, la chercheuse a conclu que le terreau idéal consistait à ajouter simplement 7,5 % de compost à la terre déjà utilisée par la Ville de Montréal. Ce terreau a été utilisé sur le site expérimental d’Hochelaga-Maisonneuve, où sa performance est mesurée par les divers instruments. Mme Kargar et son équipe songent maintenant à inclure dans le mélange ce qu’on appelle du biocharbon. Celui-ci est fait à partir de copeaux provenant des frênes victimes de l’agrile qui ont dû être abattus, et qui sont portés à très haute température pour en faire du charbon.

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Trottoir perméable

Guillaume Couture prend une bouteille d’eau et la verse sur le trottoir. Surprise : en quelques secondes, la flaque passe à travers, ne laissant qu’un rond un peu plus humide. Voilà la magie des trottoirs perméables. Disposés autour des arbres, ces trottoirs, au lieu de bloquer l’eau, lui permettent de s’infiltrer dans le sol et de gagner les racines. Formés de petites roches collées sur un polymère, ces trottoirs nouveau genre sont actuellement testés sur le site expérimental. M. Couture souligne qu’ils ne bénéficient pas qu’aux arbres : ils aident aussi à absorber les surplus d’eau, qui causent d’importants problèmes dans nos villes de plus en plus imperméables (rappelez-vous les inondations du mois de mai).

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Les avantages des arbres en ville

Fournissent de l’ombre

Réduisent les îlots de chaleur

Préviennent l’érosion du sol

Absorbent le CO2 et les poussières et libèrent de l’oxygène

Fournissent un habitat pour la faune

Font un écran contre le bruit et les mauvaises odeurs

Embellissent les rues et les propriétés

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