Opinion

Se féliciter de la renaissance du centre-ville

La sortie récente du film Main basse sur la ville, de Martin Frigon, a conduit pratiquement tous ceux qui ont exprimé une opinion dans les médias à commettre une grave erreur de perspective. Car on ne peut regarder la renaissance que connaît le centre-ville depuis quelques années avec les lunettes des années 70.

Distinguer deux époques

Les décennies 60 et 70 ont été marquées par la destruction de quartiers entiers du centre-ville et l’éviction forcée d’une large part de ses populations ouvrières historiques. En contexte de total laisser-faire urbanistique, des capitaux étrangers ont déferlé sur Montréal pour y construire des immeubles sans âme qui, pour la plupart, ont très mal vieilli.

La destruction l’ayant largement emporté sur la construction, le centre-ville est devenu un véritable gruyère de terrains vagues et de stationnements de surface. C’est ainsi que sa population a chuté de 140 000 habitants en première moitié des années 60 à tout juste 80 000 au tournant des années 80. Le livre d’Henry Aubin, Les vrais propriétaires de Montréal (City for Sale), paru en 1977, tombait à point pour révéler les dessous peu honorables de cette période.

Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est d’une tout autre nature, soit la revalorisation de la centralité par une redécouverte de ses vertus. Ce qui signifie qu’une partie significative de la population ne rêve plus de banlieue, lui préférant un mode de vie résolument urbain.

Le centre-ville revit enfin parce qu’on choisit à nouveau d’y vivre. De 2011 à 2016, il a gagné 10 440 habitants1. En 2017, plus de 2000 logements supplémentaires y ont été livrés. Puisqu’il y en a presque 5000 présentement en construction et que plusieurs autres sont programmés, notamment en partie ouest du site de Radio-Canada, l’objectif fixé par la Stratégie Centre-Ville qu’il accueille 50 000 habitants supplémentaires entre 2011 et 2031 est en bonne voie d’être atteint.

Qui construit l’essentiel de ces nouveaux logements ? Le Laurent & Clark l’est par le développeur Rachel Julien, de Denis Robitaille. Le Lowney sur Ville, le XXIe Arrondissement et les Bassins du Havre par Prével, de Jacques et Laurence Vincent. Le District Griffin, le Square Children’s et le O’Nessy par Devimco, de Serge Goulet. Le Humaniti par Cogir, de Mathieu Duguay, associé au Fonds de solidarité de la FTQ. Le récent Metropol, le Drummond et le Montcalm par Samcon, de Sam Scalia. L’Avenue, la plus haute tour résidentielle de Montréal, et le 628 Saint-Jacques par Broccolini, de la famille du même nom et Roger Plamondon. Cette liste pourrait être encore longue : mes excuses à ceux que je n’ai pas nommés.

Voilà beaucoup d’entreprises montréalaises, dirigées par des gens bien de chez nous.

Du côté commercial, le plus important acteur est Ivanhoé Cambridge, bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui, de la rénovation de l’hôtel Reine-Élisabeth à celles de la Place Ville-Marie et du complexe Les Ailes, en passant par la construction de la tour Manuvie, est en voie de remettre à niveau le cœur du centre-ville. À nouveau ici, on est aux antipodes des années 70.

De un, chacun de ces projets est construit sur des terrains qui étaient vacants depuis une éternité. De deux, j’ai pu vérifier que la plupart des promoteurs ont le souci de proposer le meilleur projet possible, qui fera leur fierté, aidés en cela par des urbanistes compétents, autant à la ville-centre que dans les arrondissements Ville-Marie et Sud-Ouest.

Cesser de raconter n’importe quoi

La renaissance du centre-ville telle qu’elle se produit sous nos yeux n’est bien sûr pas à l’abri de toute critique. Mais de l’illustrer comme le fait Martin Frigon dans Main basse sur la ville par des bulldozers démolissant les habitations du Faubourg à m’lasse, soutenir qu’à cause d’elle les familles montréalaises sont forcées de déménager en banlieue, ou décrier le fait que l’on construise en hauteur – plutôt que des unifamiliales, je suppose ? – , c’est du grand n’importe quoi.

Et dire que des urbanistes réputés cautionnent de tels arguments ! S’ils ont vraiment le souci de faire œuvre utile, je les invite à lire le document Stratégie Centre-Ville : soutenir l’élan, adopté par le conseil municipal en septembre 2017.

1 Il s’agit du territoire du centre-ville tel que défini dans la Stratégie du même nom, incluant donc les secteurs Faubourg-aux-Récollets et Griffintown, qui font partie de l’arrondissement Le Sud-Ouest. Je tiens pour acquis que 80 % de la croissance démographique de cet arrondissement prend place dans ces deux secteurs. Selon Statistique Canada, le Sud-Ouest a gagné 6605 habitants entre 2011 et 2016 : 80 % égale dans ce cas 5284. Quant à l’arrondissement de Ville-Marie, il a pour sa part gagné 5157 habitants durant la même période. Ce qui donne donc le total suivant : 5284 + 5157 = 10 441.

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