Éditorial : Attentat à Québec 

Désintoxiquer le débat

Il ne suffira pas de changer le ton du débat sur la laïcité et les accommodements raisonnables, comme le proposaient hier les élus. Il faudra aussi changer l’approche.

Car quelque part en cours de route, on a glissé de la laïcité à la sécurité. On a de moins en moins parlé des rapports entre les religions et l’État. On s’est préoccupé d’une religion en particulier, l’islam. Et cette réflexion a été détachée des institutions de l’État.

La laïcité et la lutte contre l’islamisme ont fini par s’entremêler.

Il était désormais question de la menace pour les « valeurs québécoises », et même pour la vie des citoyens. Les élus devaient les protéger face à la violence religieuse.

Bien sûr, le Québec n’est pas du tout à l’abri du terrorisme islamiste. Mais il s’agit d’abord d’un problème pour les policiers – d’ailleurs, quand on a pris la peine de demander leur avis l’automne dernier, ils ne s’inquiétaient pas particulièrement des burqas cachant des AK-47, une crainte lancée par l’opposition officielle.

Il existe des arguments raisonnables pour défendre les différents modèles de la laïcité, et il inévitable que ces affrontements soulèvent des passions. Mais ce qui n’est pas normal, c’est que le sujet se transforme en enjeu sécuritaire et existentiel. Par exemple en utilisant l’attentat de Nice pour transformer en priorité nationale le port du burkini surtout vu sur les plages françaises.

Dix ans après la commission Bouchard-Taylor, l’Assemblée nationale n’a pas encore légiféré sur la laïcité et les accommodements raisonnables. Tout ce qui traîne se salit, dit-on. C’est vrai, et chaque parti a une part de responsabilité. Mais il faudrait aussi inverser le raisonnement : pourquoi est-ce devenu si difficile de s’entendre sur le sujet ?

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Trois jours après le terrible attentat de Québec, on en sait encore très peu sur le tueur. Même s’il est beaucoup trop tôt pour chercher des coupables, on peut néanmoins réfléchir à ce qui rend de tels drames plus probables.

Les individus désaxés ou froidement haineux existeront toujours. Il n’est toutefois pas obligatoire de leur peindre des cibles.

Or, c’est ce qu’on a fait en alimentant la méfiance à l’égard de la communauté musulmane.

Il est légitime et parfois nécessaire de critiquer l’intégrisme – nous avons par exemple dénoncé les écoles religieuses hassidiques et évangéliques et appuyé l’interdiction du niqab lors des cérémonies de citoyenneté. Mais cela ne justifie pas de transformer ces communautés en pions dans un jeu d’échecs partisan.

Depuis quelques années, on assiste à une surenchère entre politiciens, médias et citoyens : il y a une demande pour réagir au « problème » immigrant, à laquelle les politiciens répondent en mettant le sujet à l’avant-scène, ce qui renforce la peur. Le tout souvent sans prendre la peine d’inviter ces communautés dans le débat.

Cette boucle tourne en rond jusqu’à virer en tornade. Il y a déjà eu des signaux d’alarme. En juin dernier, une tête de porc a été déposée devant le Centre culturel islamique de Québec. Réaction entendue dans une populaire radio de Québec : « En quoi c’est de la haine ? » Rien de criminel ou de grave là-dedans. C’est moins grave qu’une fausse livraison de pizza à son voisin, riait-on. Puis on demandait aux auditeurs de donner leur opinion…

Il sera nécessaire, en effet, de changer de ton pour parler de laïcité et d’accommodements raisonnables. Pour cela, pas besoin de réduire la liberté d’expression, comme le proposait le malheureux projet de loi libéral abandonné l’année dernière. Il faudra plutôt redonner un visage et un peu d’humanité à ceux dont on parle.

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