À ma manière

Un jour, j’aurai ma clinique

L’aventure : Agathe Tupula Kabola, jeune orthophoniste aux racines africaines et québécoises, a fondé sa propre clinique à 25 ans. La manière : compter sur ses racines, justement.

Son père a été élevé dans une ferme du Congo-Kinshasa. Sa mère, dans une ferme de Lanaudière.

Agathe Tupula Kabola a grandi à Saint-Laurent.

« Ils ont élevé quatre enfants qui sont allés à l’université », indique-t-elle en manière d’hommage.

Agathe Tupula Kabola a obtenu en 2010 son diplôme en orthophonie – discipline qui évalue et traite les problèmes de langage et de communication. À peine deux ans plus tard, elle fondait la Clinique multithérapie Proaction, devenue depuis l’une des plus dynamiques et des plus connues du secteur.

En 2016, elle a remporté le prix de l’entrepreneure de l’année du Réseau des entrepreneurs et professionnels africains. La même année, elle a reçu le prix Innovation-Desjardins de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec. Encore en 2016, elle est lauréate du prix Relève d’excellence HEC Montréal dans la catégorie entrepreneur.

Pas mal, après moins de quatre ans en affaires.

L’exemple de papa

Sur l’une des photos qui animent les murs de sa clinique, son père apparaît de profil, en complet, devant des maisonnettes congolaises en torchis.

« On a grandi dans deux cultures, la culture québécoise et la culture congolaise, commente-t-elle. Les quatre enfants, on a un peu cette mentalité de démarrer en affaires. Mon père, ingénieur civil, est lui-même entrepreneur. »

Elle n’avait pas encore terminé ses stages d’orthophonie que sa décision était prise : elle aurait un jour sa clinique.

Tout en travaillant pour une clinique privée et l’Institut Raymond-Dewar, elle commence à mettre en place les pièces du puzzle. Fin 2011, elle cherche un nom pour sa future clinique, élabore un logo, cible l’emplacement – Saint-Laurent –, contacte un avocat…

Ses notions en administration sont balbutiantes ? Elle entreprend un DESS en gestion à HEC Montréal à l’hiver 2012, à raison d’un cours par trimestre.

« Je ne sais pas quelle idée j’ai eue, mais en janvier 2012, je travaillais à temps plein, je démarrais ma propre clinique, j’ai acheté mon premier condo et je suis retournée aux études. Les gens me disaient : manges-tu de la salade ? J’avais perdu du poids à cause du stress ! »

Ça y est

Puis elle plonge. En janvier 2012, elle signe un bail pour septembre suivant.

« Ça donnait mal au ventre. J’y suis allée dans le désordre. J’ai signé un bail de cinq ans pour 2700 pi2 et je n’avais pas commencé mon recrutement. J’avais sept bureaux à remplir ! »

— Agathe Tupula Kabola

À travers son réseau, avec des messages sur les forums d’orthophonistes et des annonces chez les ordres professionnels, elle réussit à recruter cinq orthophonistes, une psychoéducatrice et une adjointe administrative.

Famille à la rescousse

Elle doit encore réunir des fonds : il faut payer le premier loyer, meubler les bureaux, acheter le matériel, faire de la publicité et maintenir une réserve pour le flux de trésorerie bégayant d’une entreprise naissante.

« Les banques m’ont dit non à répétition. »

Où a-t-elle trouvé l’argent ?

« Love money. »

Avec un grand L, ajoute-t-elle.

« Ce sont mes proches qui m’ont aidée pour mes premiers investissements. En tout, moi et ma famille, on a mis un capital de 100 000 $. »

Ce n’est qu’en décembre 2014 qu’on lui accorde sa première marge de crédit.

« J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont cru beaucoup en moi, dit-elle. Et un grand frère qui m’a beaucoup chapeautée au début. »

Le grand frère en question, Gabriel, est ingénieur informatique et entrepreneur lui-même.

« Il m’a donné ses connaissances, je lui ai donné ma vision du projet, et ensemble, on a bâti la clinique. »

Son frère l’aide à mettre en place un progiciel de gestion intégrée en infonuagique qui leur « permet de tout gérer sur la même base de données : les rendez-vous, la facturation, la paie, les finances, les relations clients… ».

La clinique Proaction ouvre en septembre 2012… avec une équipe complète.

Passer le mot

Il ne manque que les patients.

Agathe a déjà quelques clients, mais « toutes les autres partaient à zéro ». « Il a fallu que je trouve de la clientèle pour tout le monde. Ç’a été un défi. Ça a pris de trois à quatre mois pour remplir les horaires. » Dans le Saint-Laurent multiethnique, où tant de langues se rencontrent, la demande est forte, et le bouche-à-oreille fait son effet.

L’influence de maman

Si Agathe Tupula Kabola tient quelque chose de sa mère, terminologue à la retraite, c’est peut-être la fluidité de ses phrases et la précision de son vocabulaire. Sa mère « est un dictionnaire ambulant », décrit-elle. On ne parle pas pour rien de langue maternelle.

En 2014, elle fait une première intervention sur l’orthophonie à l’émission Libre-service, diffusée sur MAtv. Elle est suivie de chroniques régulières, puis d’invitations dans d’autres médias.

Elle y trouve un intérêt imprévu… et une nouvelle occasion. S’ajoutant au site de sa clinique, « les médias ont le même but que le reste, c’est-à-dire d’offrir des ressources, des conseils gratuits aux familles qui sont en attente de service », explique-t-elle.

Salués par le prix d’innovation de l’Ordre des orthophonistes, son vidéoblogue et ses capsules vidéo « donnent des trucs pour stimuler le langage chez les enfants, avec du matériel très simple : un casse-tête, un livre ».

Reconnaissance

L’ergothérapie s’est ajoutée aux services en 2013, la psychologie en 2014.

L’effectif de la clinique a doublé pour atteindre maintenant 15 personnes… et 10 langues.

« Le père d’un de mes patients que je voyais chaque semaine m’a dit un jour : “Dis à tes parents qu’ils ont fait du bon travail.” »

Un sourire.

« C’est rare qu’on se fait dire ça. »

La Clinique multithérapie Proaction en Bref

Fondation : 2012

Fondatrice et directrice générale : Agathe Tupula Kabola

Services : services multidisciplinaires en orthophonie, psychoéducation, ergothérapie, psychologie

Effectif : 15 personnes

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.