Chronique

Douche froide sur les surplus du Québec

Encore cette année, le gouvernement du Québec se dirige vers un surplus budgétaire appréciable, fruit des restrictions passées et de la croissance économique.

Or, une étude approfondie vient jeter une douche froide sur ce qui attend les Québécois au cours des 20 prochaines années. En dépit de la rigueur récente, nos surplus risquent de se transformer en déficits imposants au fil des ans. Les responsables : le vieillissement de la population, nos faibles gains de productivité et une croissance économique trop modeste.

L’étude a été réalisée par une équipe de chercheurs de la Chaire de recherche Industrielle Alliance dirigée par l’économiste Pierre-Carl Michaud. Les chercheurs ont utilisé leur modèle SIMUL, qui fait une simulation pointue de l’évolution socioéconomique du Québec jusqu’en 2050. Natalité, mortalité, bilan migratoire, emplois, revenus de travail : l’ensemble des grandes variables est méticuleusement pris en compte.

Déficit de 32 milliards

Au rythme où vont les choses, selon l’étude, le Québec se dirige en 2035 vers un déficit en dollars constants de… 32 milliards, soit 6,2 % du PIB. Imaginez l’effort qu’il faudrait faire, sachant la crise qu’a provoquée l’élimination de notre déficit annuel de quelque 3,0 milliards (près de 1 % du PIB) depuis trois ans.

En soi, les résultats ne seront pas surprenants pour ceux qui suivent la question, puisque d’autres études avaient fait le même genre de mise en garde ces dernières années.

Toutefois, l’originalité des travaux des chercheurs tient à leur modèle sophistiqué SIMUL et à l’interactivité des paramètres. De fait, les chercheurs ont rendu publique une page web interactive qui permet aux internautes de changer les hypothèses qui produisent les équilibres budgétaires et qui font varier la dette.

Ces paramètres touchent la croissance du produit intérieur brut (PIB), la croissance des salaires dans l’économie, la progression des dépenses de santé et d’éducation et, enfin, l’impact d’une variation du Transfert canadien en santé du gouvernement fédéral. Tout est en nominal, soit avant soustraction de l’inflation de quelque 2 %.

Transferts en santé

Premier constat, à l’origine de l’étude : une variation des transferts fédéraux en santé ne change pas sensiblement le portrait. Actuellement, un groupe de provinces, dont le Québec, demande au fédéral de hausser la croissance de ces transferts à 5,2 % par année. Ottawa propose plutôt 3 %, plus une enveloppe forfaitaire de 1,4 milliard sur 10 ans.

Dans leur scénario de référence, les chercheurs postulent une croissance semblable à celle proposée par le fédéral, de 3,5 %. Or, en haussant cette croissance à 5,2 %, le déficit du Québec ne serait plus de 32 milliards en 2035, mais d’environ 28 milliards, un recul de 4,0 milliards. À l’évidence, ce n’est pas une panacée, même si le Québec mène une lutte bien légitime.

Éducation et productivité

Une compression des dépenses d’éducation pourrait aussi être envisagée, mais encore une fois, pas de grands miracles. En effet, le déficit serait moindre de 7,4 milliards si la hausse des dépenses d’éducation était d’environ un point de pourcentage moindre que prévu, par exemple 1,7 % au lieu de 2,7.

Non, pour effacer ce déficit de 32 milliards, les deux paramètres les plus marquants sont la productivité des travailleurs et la croissance structurelle des dépenses de santé.

La productivité des travailleurs se reflète en fait dans la croissance des salaires dans l’économie. Le scénario de base postule que les salaires progresseront au rythme de 3 % par année, soit l’équivalent d’une inflation de 2 % plus une amélioration de la productivité de 1 %. Ce scénario est celui qui a été observé ces dernières années.

Ainsi, si la productivité faisait passer cette croissance des salaires à 4 %, le déficit fondrait de moitié, à 16,5 milliards.

Le problème de la santé

Même constat pour la croissance des dépenses de santé. Depuis 10 ans, faut-il savoir, les dépenses de santé ont augmenté de 5,8 % par année, en moyenne, ce qui comprend l’inflation. De cette hausse, la plus grande part vient de la portion structurelle (3,4 %), le reste étant attribuable à la croissance de la population et à son vieillissement (2,4 %).

Pour les chercheurs, c’est la hausse structurelle des dépenses de santé qui importe. Il s’agit des dépenses liées par exemple à l’amélioration des traitements, aux coûts des nouveaux médicaments ou encore aux augmentations de la rémunération moyenne des médecins.

Au cours des prochaines années, ils postulent que cette hausse sera de 3,7 % par année, ce qui s’apparente à ce qui est observé un peu partout en Occident.

Or, si on contenait cette hausse structurelle à seulement 2,7 %, le déficit chuterait de moitié en 2035, à quelque 15 milliards. En plus, puisque ce déficit englobe les versements au Fonds des générations, l’écart réel entre les revenus et les dépenses deviendrait bien moindre.

Pierre-Carl Michaud croit toutefois que la pression sera énorme sur les autorités pour qu’elles offrent aux citoyens les services de santé dernier cri (technologies, médicaments, etc.), qui coûtent cher et qui sont le principal facteur de croissance des dépenses structurelles.

« Il faudra une plus forte croissance économique et une hausse de la productivité si l’on veut se payer ces services-là. Le statu quo ne tient pas la route », avertit le professeur à HEC Montréal.

Je suis moins pessimiste que les chercheurs, mais tout de même, il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour traverser la phase de vieillissement des baby-boomers…

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