Zdeno Chara

Le géant vert

BOSTON — Il y avait un absent de taille à l’entraînement des Bruins de Boston hier : Zdeno Chara. Remarquez qu’on peut l’excuser. La veille, il avait marqué deux buts et passé 22 minutes sur la patinoire.

Chara mesure 6 pi 9 po. Il pèse 250 lb. Il a 41 ans. Et pourtant, après 10 matchs, il est le joueur le plus utilisé de son équipe !

« C’est un spécimen », a laissé tomber l’entraîneur-chef des Bruins, Bruce Cassidy.

Les efforts de Chara pour défier les années sont bien documentés. Encore hier, Claude Julien nous racontait une rencontre de fin de saison avec son ancien protégé, il y a quelques années.

« Je lui disais qu’il allait toujours être fort, mais que son défi serait de rester rapide. Donc cet été-là, il a pris des cours de power skating. À 38 ans ! »

— Claude Julien, qui a été l’entraîneur de Zdeno Chara de 2007 à 2017 

Et ça ne s’arrête pas là. Chara se démarque de ses pairs d’une autre façon : il est végétalien. C’est donc non seulement la viande, mais aussi tout produit animal qu’il a éliminé de son alimentation.

La démarche

Au tournant de la quarantaine, le défenseur des Bruins a d’abord cessé de manger de la viande. Le poisson et les produits laitiers sont ensuite passés à la trappe. Puis, il y a bientôt un an, il a mangé son dernier œuf.

« J’ai entendu plusieurs bonnes choses de la part d’athlètes d’autres sports. Donc, j’ai voulu essayer, a raconté Chara à La Presse. J’ai fait beaucoup de recherches. J’ai fini par aller de l’avant afin de me sentir mieux, de prolonger ma carrière et d’aider l’environnement. »

Les athlètes qui l’ont influencé ? Novak Djokovic, Serena Williams, Kyrie Irving et un certain Rich Roll, un ultramarathonien. En fait, Chara s’est aussi tourné vers des cyclistes, des triathloniens. « Les athlètes de longue distance doivent être en très grande forme physique tout en gardant leur puissance. Donc, je me suis dit que ce régime serait bon pour moi », explique le Slovaque.

On regarde ses statistiques, et il est facile de se convaincre qu’il a vu juste. Certes, il ne joue plus 28 minutes par match comme à son arrivée à Boston, en 2006. Les saisons de 40 points sont aussi chose du passé. Mais ses 23 minutes par match l’an dernier étaient un sommet chez les Bruins, et il a tout de même marqué sept buts.

« Je sens que je récupère mieux. J’ai beaucoup moins d’inflammation les lendemains de match. Mon système digestif fonctionne mieux, car tout ce que je mets dans mon corps est bien absorbé », énumère-t-il.

Chez le Canadien : Karl Alzner

Chara est un oiseau rare. La Presse a sondé les relationnistes des 31 équipes de la LNH afin de savoir combien il y a de joueurs végétariens ou végétaliens. Dans les 24 équipes qui ont répondu, on ne dénombre que quatre joueurs qui correspondent à ces critères.

Or, au Canada, la proportion de gens qui se disent végétariens s’élève à 7,1 %, selon une étude récente de l’Université Dalhousie. Pour les végétaliens, ce chiffre passe à 2,3 %. Bref, en faisant une règle de trois, on devrait arriver à une quarantaine de végétariens dans la LNH, et une douzaine de végétaliens.

Le Canadien compte un représentant parmi les quatre joueurs végétariens répertoriés : Karl Alzner. Le défenseur s’estime végétarien à 95 %, et ce, depuis février dernier. 

« À la maison, c’est 100 %. Sur la route, tout dépend des options qui se présentent. Et si je suis en visite chez des amis et qu’ils ne savent pas que je ne mange pas de viande, je ne les forcerai pas à cuisiner autre chose ! »

— Karl Alzner

Dans son cas, ce sont des maux d’estomac dont il a souffert pendant plusieurs semaines la saison dernière qui l’ont mené à changer.

« On m’a dit de couper tout aliment transformé et tout produit animalier, afin de remettre mon intestin à zéro. Après une semaine, les maux étaient partis. Ensuite, je me suis dit que je ne voulais plus revivre ça. J’avais encore mon énergie, donc pourquoi pas ?

« J’ai aussi regardé le documentaire Cowspiracy sur les effets de l’élevage sur l’environnement. Je suis assez facile à convaincre. Je suis de ceux qui croient qu’une personne peut tout de même faire une différence. »

Chez les Blues de St. Louis, l’attaquant Ryan O’Reilly se dit végétarien et ne mange pas d’œufs non plus. Le fromage et la crème glacée sont essentiellement les seuls produits d’origine animale qu’il consomme encore. Comme pour Chara et Alzner, c’est d’abord pour ses performances qu’il s’est questionné, souhaitant perdre du poids pour faire la transition au centre, après avoir été ailier. Son nouveau régime alimentaire l’a rapproché de ses valeurs.

« Je ne crois pas que les animaux sont faits pour être mangés, a expliqué l’ancien des Sabres de Buffalo et de l’Avalanche du Colorado. Et je me sens mieux dans mon corps. Avec toutes les hormones qu’ils mettent dans la viande, je préfère m’abstenir. On veut protéger les animaux, et c’est mieux pour l’environnement en raison des effets de la production de masse. »

Les facteurs

Pourquoi donc Chara, Alzner et O’Reilly (le quatrième joueur végétarien n’a pas été identifié par son équipe) sont-ils des cas si isolés ?

« Il y a un historique. Et il y a le type de personnalité qui va vers ces sports-là… C’est souvent un peu l’homme des cavernes ! lance en riant la nutritionniste Mélanie Olivier, présidente de la firme Vivaï. L’association viandes-force-protéines est bien ancrée dans l’imaginaire collectif. Il faudrait en parler à un anthropologue ! »

« Je crois que c’est une question de temps, affirme Chara. C’est peut-être parce que depuis toujours, les joueurs ont l’habitude de manger du poulet et du steak. C’est de la vieille école. Mais je crois que les joueurs voudront éventuellement améliorer cet aspect de leur entraînement. »

Alzner : « Plusieurs joueurs viennent de communautés où tout ce que tu fais, c’est manger de la viande. J’ai joué avec des joueurs dont la famille possédait des élevages. C’est tout ce qu’ils ont connu. Et les gars ont peur de manquer d’énergie. Plusieurs ont de la difficulté à maintenir leur poids pendant la saison et ils craignent de perdre de la masse musculaire s’ils ne mangent pas leurs protéines animales. »

Chara est le vice-doyen de la LNH cette saison, étant dépassé seulement par Matt Cullen, des Penguins de Pittsburgh. Or, selon Mélanie Olivier, ce n’est pas un hasard si Chara est devenu végétalien aussi tard dans sa carrière. Et on peut se demander si la nouvelle prédominance des jeunes n’explique pas le si petit nombre de joueurs végétariens.

« La digestion ralentit avec les années. Jusqu’à 25 ans, les gars sont des broyeurs sur deux pattes ! À un âge plus avancé, les joueurs sont plus efficaces dans leurs mouvements, ils se déplacent moins et ont donc moins besoin d’énergie.

« De façon générale, on va augmenter l’apport total en protéines quand la protéine est d’origine végétale, poursuit la nutritionniste. On va augmenter les protéines de 10 % pour s’assurer qu’il en absorbe suffisamment. Pour un athlète de la taille et du poids de Chara, c’est difficile d’avoir de la densité alimentaire. Ça veut dire qu’on recommanderait beaucoup de nourriture ! Je ne crois pas qu’il aurait pu faire ça à 20 ans. »

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