Dominique Pétrin

S’engager avec Banksy

Dominique Pétrin est revenue dimanche de Bethléem, en Palestine, après y avoir créé une œuvre dans une des chambres de l’hôtel Walled Off que l’artiste urbain britannique Banksy vient d’ouvrir près du mur qui sépare Israël des territoires palestiniens. Un séjour artistique qui s’avère un virage majeur pour la carrière de l’artiste montréalaise.

C’est un peu comme si Dominique Pétrin avait gagné le gros lot. L’an dernier, l’organisation du plus célèbre artiste urbain britannique, l’anonyme Banksy, l’a contactée pour lui proposer de participer à un projet… sans en préciser l’étendue.

« Au début, j’ai cru que c’était une blague, dit l’artiste de 40 ans à La Presse. Mais c’est vrai que mon travail est très diffusé sur internet. » Dominique Pétrin présume que Banksy en a eu vent et qu’il a estimé que le style de l’artiste québécoise convenait à son projet.

Très attaché à la Palestine, Banksy s’y est rendu en 2005 et en 2007. Il y a peint plusieurs œuvres sur l’immense mur de séparation qu’Israël a érigé en empiétant sur le territoire palestinien occupé. Ces peintures sont devenues populaires sur l’internet. Des touristes viennent régulièrement les admirer. Mais Banksy a voulu poser un geste supplémentaire de soutien aux Palestiniens en 2017, à l’occasion du centenaire du début de l’occupation britannique de la Palestine et de la déclaration du ministre anglais Arthur Balfour qui ouvrait, en 1917, la porte à un futur établissement de juifs en Palestine.

En soutien au tourisme palestinien

Vendredi dernier, Banksy a donc lancé son Walled Off Hotel (jeu de mots avec le Waldorf Astoria de New York), un petit hôtel de 10 chambres créé à 5 m du mur de séparation… pour soutenir le tourisme palestinien.

L’établissement est un espace d’art autant qu’un lieu d’hébergement. L’entrée, la salle à manger et les chambres sont décorées avec soin. Pour l’instant, deux pièces seulement l’ont été par des artistes. Une par Banksy (dans laquelle il a peint, au-dessus du lit, un soldat israélien et un Palestinien se battant à coup d’oreillers) et l’autre… par Dominique Pétrin.

« Je n’ai su qu’une semaine à l’avance que je m’en allais là-bas. Je n’avais aucune idée du contexte. »

— Dominique Pétrin

L’organisation de Banksy n’avait transmis que quelques indices à Dominique Pétrin. Elle devait créer une œuvre murale en s’inspirant de l’histoire « d’une colonie britannique qui tourne au vinaigre ». « Ç’a été un pari que de faire une telle installation dans un contexte aussi abstrait, dit-elle. C’est une coïncidence si ça correspond aux attentes. »

Œuvre murale en papier

Avec ses meubles et sa cheminée dessinés en trompe-l’œil, son œuvre murale en papier est constituée de motifs qui ont un lien avec le colonialisme. « J’ai utilisé le thème du café, celui des produits pharmaceutiques pour combattre le dysfonctionnement érectile ou encore les antidépresseurs, dit-elle. Une modélisation d’un mode de vie occidental qui tourne au vinaigre. C’est l’excès, la fin d’une colonie, la fin de l’empire. J’ai aussi imprimé des éléments de sécurité d’une colonie. Des caméras de sécurité, des sorties de secours et des extincteurs. »

Après avoir envoyé son matériel créé sur ordinateur et imprimé à Montréal, elle s’est rendue à Bethléem début février. Elle a alors travaillé dans la chambre qui lui avait été attribuée. Dans le plus grand secret. « J’ai passé trois semaines et demie dans l’hôtel complètement barricadé, dit-elle. Toutes les fenêtres étaient fermées. Je n’avais aucun accès à l’extérieur ni à la lumière du jour. C’était un contexte presque Big Brother ! »

Les chambres du Walled Off Hotel ont toutes une vue sur le mur israélien, « la pire vue du monde », dixit Banksy. Chaque chambre a droit à 25 minutes de soleil par jour à cause du mur. Banksy veut que les clients réalisent, en y séjournant, combien il est peu agréable de vivre à la vue d’un tel mur de béton.

L’hôtel présentera, dès samedi, une exposition permanente d’œuvres d’art contemporain palestinien. Et un petit musée donne des informations sur le mur et sur l’histoire de la région. « L’hôtel est une cure de trois étages contre le fanatisme », a déclaré Banksy dans un communiqué.

Cette relation entre politique et art plaît à Dominique Pétrin. « Ce projet est une sorte de blague difficile à digérer, dit-elle. En tout cas, cette expérience va changer ma façon de travailler. Elle a mis de l’avant la valeur de l’engagement et l’urgence de faire des gestes concrets. Cet engagement devient pour moi de plus en plus une priorité. »

Le Walled Off Hotel, 182, rue Caritas, Bethléem, ouverture le 20 mars

Dominique Pétrin 

40 ans

Fait de la sérigraphie depuis l’âge de 16 ans

Membre du groupe rock Les Georges Leningrad de 2000 à 2007

A participé à la Triennale québécoise de 2012

A exposé au Canada, en France, aux États-Unis, en Belgique et au Royaume-Uni.

Représentée par la galerie antoine ertaskiran

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