Chronique

L’empreinte

Romuald Trudeau a été apothicaire dans le Vieux-Montréal. Mais à l’époque où a vécu cet homme discret et érudit, le Vieux-Montréal n’était pas encore vieux. Trudeau a vécu de 1802 à 1888. Sa pharmacie, longtemps la seule dirigée par un Canadien français, était située sur la rue Saint-Paul, non loin de la place du Marché (aujourd’hui Pointe-à-Callière).

Si on parle de Romuald Trudeau aujourd’hui, c’est qu’il a pendant une grande partie de sa vie rédigé son journal, dans lequel il alignait dans une langue exquise des observations personnelles, des faits d’actualité et des rumeurs. Grâce au travail acharné et passionné de deux historiens, Fernande Roy et Georges Aubin, nous pouvons aujourd’hui lire cette vaste chronique du XIXsiècle montréalais sous le titre Mes tablettes – Journal d’un apothicaire montréalais, 1820-1850.

Ce qui fait l’intérêt de ce journal, c’est qu’il a été écrit par un ardent nationaliste durant la période où se préparent les Rébellions de 1837-1838. Sur près d’un millier de pages réparties en 13 cahiers, Trudeau commente la montée et les effets de ce mouvement historique. Dans un français parfois loin du nôtre, il décrit le plus grand déchirement de sa vie, qui se trouve entre le nationalisme et l’Église catholique.

En effet, les patriotes et les prêtres de Saint-Sulpice ne faisaient pas bon ménage à cette époque. Or, Trudeau souhaitait ardemment que le Canada français devienne autonome, mais avait le plus grand respect pour les membres de l’Église catholique. Son éducation, il la devait aux prêtres du collège de Montréal, où il avait étudié, notamment avec un certain Claude Rivière qui avait quitté la France à la suite de la Révolution de 1789 pour venir s’établir à Montréal.

Catholique fervent, Trudeau a toujours été divisé entre ses activités de « bon paroissien » et l’admiration sans bornes qu’il avait pour Louis-Joseph Papineau. Il trouvera entre ces deux pôles une forme d’équilibre et y puisera les fondements de sa personnalité à la fois simple et complexe.

Romuald Trudeau a connu une carrière politique dans le domaine municipal. Il sera également l’un des fondateurs de l’Institut canadien-français et sera élu président de l’Association Saint-Jean-Baptiste. Il connaîtra une fin de vie plutôt malheureuse. Ruiné et quasi aveugle, il poussera son dernier soupir après que ses petits-enfants eurent refusé de signer un testament qui contenait plus de passif que d’actif.

Nous sommes habitués d’entrer dans la vie de gens connus par le truchement d’ouvrages biographiques spectaculaires. Mais l’expérience qui réside dans la découverte d’un pur inconnu a quelque chose d’unique, d’enivrant. Cela nous procure le sentiment d’être un peu archéologue.

S’il n’y avait pas eu l’obstination de deux historiens un peu fous, la vie de Romuald Trudeau serait sans doute demeurée confidentielle. Ces cahiers écrits sans but apparent auraient continué à dormir dans des cartons des Archives nationales pendant des décennies. Aujourd’hui rassemblés, notés et publiés, ils sont le témoin d’une vie parmi tant d’autres, mais d’une vie unique et riche. C’est ainsi que nous voyons tous la nôtre, non ?

Au moment où je me lançais dans la lecture de ces Tablettes, un ami m’a offert le livre que son père a publié. Dans Un jeune grand-père, Emmanuel Marcotte s’adresse à ses petits-enfants et raconte le parcours de sa vie. Nationaliste convaincu de l’Outaouais, Emmanuel Marcotte est une sorte de personnalité dans sa région. Je dirais qu’il est plutôt un personnage. Il fait partie de ces gens qui te changent l’éclairage d’une pièce lorsqu’ils y pénètrent.

Comme beaucoup de gens de sa génération, il a écrit ce livre sans savoir s’il serait lu ou vendu. Il a écrit ce livre, tout comme Romuald Trudeau, pour dire qu’il a existé, pour dire que son passage sur Terre n’aura pas seulement été celui d’un amas de chair et de sang. Laisser son empreinte, c’est ce que nous voulons tous, après tout.

Mes tablettes – Journal d’un apothicaire montréalais, 1820-1850

Romuald Trudeau

Leméac

Un jeune grand-père

Emmanuel Marcotte

Trèfle à quatre feuilles

Flash

Bottero réédité

Ils sont superbes, les trois tomes d’Ellana – Le pacte des Marchombres de Pierre Bottero qui viennent d’être réédités, donnant une allure plus « jeune adulte » à une œuvre formidable, qui mérite de rester et de trouver un nouveau lectorat. C’est, rappelons-le, la quatrième des trilogies qu’a signées le romancier français mort en 2009. Mais, dans la chronologie du monde de Gwendalavir qu’il a créé de toutes pièces, elle arrive avant La quête d’Ewilan et Les mondes d’Ewilan. Bref, une introduction parfaite à un univers foisonnant, original et inspirant.

— Sonia Sarfati, La Presse

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