hausse du salaire minimum

Le gouvernement a annoncé hier une hausse de 75 cents du salaire minimum en mai prochain. Une mesure qui n’a pas tardé à faire réagir.

Chronique

Patrons, vous n’aimerez pas ma chronique

Je vous avertis, PME et organismes patronaux, vous n’aimerez pas ma chronique sur le salaire minimum aujourd’hui.

Pourquoi donc ? Eh bien, parce que je suis d’avis que la hausse de 75 cents au Québec, à 12 $ l’heure, est une bonne chose pour les petits salariés et qu’elle ne nuira pas à l’économie.

Je sais, je sais, il s’agit d’une augmentation de 6,7 %, ce qui équivaut à quatre fois l’inflation. Je comprends bien que cette hausse aura un effet domino sur l’ensemble de l’échelle salariale des PME, dont les marges de profit sont parfois très minces, comme dans le cas des restaurants et des épiceries, par exemple.

Mais voilà, la hausse survient dans le contexte où le Québec peut se le permettre. Trois raisons justifient une telle hausse, à mon avis.

D’abord, l’un des principaux arguments qui militent contre une forte hausse du salaire minimum est son impact négatif sur l’emploi. En effet, un bond important du salaire minimum a nécessairement un effet haussier sur le prix des biens et services vendus par les entreprises. Cette augmentation des prix réduit la demande pour les produits et donc les emplois. Et souvent, ce sont les petits salariés qui écopent.

Or, avec une hausse de 75 cents, cet argumentaire n’a pas beaucoup de poids au Québec en 2017. Le Québec connaît un boom de l’emploi et un recul historique du taux de chômage. En décembre, seulement 4,9 % des Québécois désirant travailler étaient en chômage, si bien qu’on commence à parler de plein emploi.

La situation est telle que les entreprises du Québec souffrent de pénurie de main-d’œuvre. La semaine dernière, justement, Statistique Canada rapportait qu’il y avait 87 000 postes vacants au Québec au troisième trimestre de 2017, soit une hausse de 21 000 postes ou 31 % depuis un an. Aucune autre province n’a connu une telle augmentation.

Environ la moitié des postes vacants sont pour des emplois de premier échelon, souvent payés au salaire minimum ou un peu plus. Ce sont des vendeurs, des serveurs, des cuisiniers et des préposés aux bénéficiaires, par exemple. Une hausse à 12 $ n’aura donc pas d’impact majeur sur le chômage.

Deuxième argument favorisant la hausse : son impact est mitigé sur la compétitivité de nos entreprises. D’une part, la hausse de 75 cents n’est pas déraisonnable. D’autre part, à 12 $ l’heure, notre salaire minimum sera encore bien en deçà de celui de deux de nos principaux concurrents, soit l’Ontario (14 $ aujourd’hui et 15 $ en 2019) et l’Alberta (13,60 $ aujourd’hui et 15 $ en octobre prochain).

La pénurie commande même au gouvernement de ne pas trop s’éloigner des salaires offerts par nos voisins, afin d’attirer ou de ne pas perdre de main-d’œuvre. Selon vous, où ira travailler un jeune de l’Outaouais :  au restaurant d’Ottawa à 14 $ ou à celui de Gatineau à 12 $ ?

Bien sûr, nos mesures sociales plus généreuses et ciblées comblent cette différence de 2 $ pour certains ménages dans le besoin, mais l’écart salarial avec nos voisins ne doit pas être abyssal, sinon il pourrait y avoir des effets tangibles sur la rétention de la main-d’œuvre.

À 12 $ l’heure, le salaire minimum équivaut à 47,5 % du salaire horaire moyen au Québec, qui était de 25,25 $ au dernier trimestre de 2017. Cette proportion est aux environs du seuil jugé sans impact négatif pour l’économie (47 %). En Ontario, les 14 $ équivalent à 52,2 % du salaire moyen de 26,80 $ l’heure, soit bien au-delà.

Le gouvernement du Québec cible un salaire minimum équivalant à 50 % du salaire horaire moyen en 2020, ce qui ne change pas ce qui avait été prévu avant l’annonce d’hier. Cette cible signifie que le salaire minimum pourrait encore augmenter d’environ 1,30 $ d’ici deux ans, à 13,30 $.

Troisième argument favorisant la hausse : un salaire minimum à 12 $ rendra le marché du travail plus attrayant pour un bénéficiaire de l’aide sociale. Cette hausse viendra renforcer l’impact de la récente majoration de la prime au travail du gouvernement, qui vise à rendre l’entrée sur le marché du travail plus intéressant pour les prestataires de l’aide sociale.

Nul doute que les commerces, les exploitants agricoles et les autres entreprises devront s’ajuster à la hausse du salaire minimum. Certains trouveront une façon de réduire leurs coûts, par exemple en installant des caisses libre-service, ce qui n’est pas une mauvaise chose avec la réduction du bassin de main-d’œuvre. D’autres refileront la facture à leurs clients.

Au bout du compte, la décision du gouvernement, bien qu’elle soit électoraliste, n’est pas mal avisée économiquement. Il en serait autrement s’il voulait rejoindre les 15 $ de l’Ontario.

En attendant mai 2018, j’ai une pensée pour les employés du Tim Hortons du Palais des congrès qui, chaque matin, travaillent dans un espace très réduit et sous un stress intense pour me servir rapidement mon petit café noir sans sucre.

Hausse du salaire minimum

Ils ont dit…

« Dès le 1er mai 2018, le salaire minimum sera augmenté de 0,75 $ pour atteindre 12 $ l’heure. Cette hausse viendra améliorer la qualité de vie des travailleurs à faible revenu en plus de favoriser l’incitation au travail, d’augmenter le revenu net disponible et de contribuer à réduire l’incidence de la pauvreté, sans nuire à l’emploi et à la compétitivité de nos entreprises. »

— Dominique Vien, ministre du Travail

L’augmentation de 75 cents représente une hausse de 6,7 %, de sorte que « les entreprises dont les marges de profit sont très minces auront plus de difficulté à l’absorber ».

— Yves-Thomas Dorval, président-directeur général du Conseil du patronat du Québec

« Cette hausse de 75 cents pour le taux régulier et de 35 cents pour celui au pourboire s’ajoutera, entre autres, à celles des taxes municipales et des coûts des denrées alimentaires […]. Avec un bénéfice net inférieur à 3 % dans les restaurants avec service aux tables au Québec, il y a des limites à ne pas dépasser en frais d’exploitation sans risquer de fragiliser leur existence et les emplois qui y sont associés. »

— François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ)

« Toute augmentation de revenu pour les travailleuses et travailleurs les plus pauvres est la bienvenue et représente une amélioration de leurs conditions de vie. Par contre, il est nécessaire de rappeler que pour permettre à une personne qui travaille au salaire minimum à temps plein d’avoir un revenu viable et sortir de la pauvreté, un salaire de 15 $ l’heure est nécessaire. »

— Virginie Larivière, co-porte-parole de la campagne 5-10-15

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