Opinion Nadia El-Mabrouk

LIBERTÉ D’EXPRESSION Fée ou sorcière ?

Suis-je du côté du bien ou du mal ? La liberté de parole devrait-elle m’être accordée ? Cette question avait toujours l’air de torturer la présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal la dernière fois que je l’ai eue au bout du fil.

Après le scandale qu’a provoqué dans les médias l’annulation de ma conférence sur la laïcité et mon exclusion de son colloque, voilà que l’exécutif syndical convoque une assemblée extraordinaire pour se pencher sur ma réhabilitation.

Invitée, désinvitée et possiblement réinvitée. Ma parole aurait-elle finalement droit de cité ? Face à ce triste spectacle, j’ai décidé de signifier mon désintérêt.

Mais qui sont les nouveaux curés chargés de juger du bien et du mal ? D’autant plus que la valeur des propos semble dépendre de ceux qui les prononcent. La ministre responsable de la Condition féminine a provoqué un tsunami médiatique en associant le voile à un symbole d’oppression. Pourtant, elle n’est pas la seule à le dire ! Françoise David elle-même, alors co-porte-parole de Québec solidaire, disait : « Le voile est un symbole d’infériorisation des femmes. » Comment se fait-il que des propos soient utilisés contre certains, mais pas d’autres, pour leur prêter des intentions d’intolérance et ainsi les exclure du débat public ?

La censure est la norme

Il faut dire que mon niveau de radioactivité a dépassé les limites de la « bien-pensance » le jour où je me suis permis de contester la présence de l’idéologie queer dans les écoles. Dans ce dossier, la censure est devenue la norme. 

Récemment, des féministes, se situant pourtant à gauche de l’échiquier politique, se sont vues bannies de Twitter à vie pour avoir affirmé qu’un homme ne peut devenir une femme, et pour avoir affiché la définition du dictionnaire du mot « femme ». N’est-ce pas le comble que les concepts les plus élémentaires des sociétés humaines soient ainsi monopolisés par des petits groupes qui se sont érigés en censeurs ?

Je considère qu’il est légitime de s’informer de ce qui sera transmis à nos enfants à travers le contenu des cours d’éducation à la sexualité.

Les grandes lignes du programme sont excellentes, mais il s’agit aussi de s’assurer que ne circule pas dans les écoles du matériel non scientifique, biaisé et idéologiquement orienté.

Les écoles sont-elles devenues les hauts-lieux de transmission d’une idéologie manichéenne ?

Lors des dernières portes ouvertes dans une école secondaire de Montréal, on pouvait lire sur les affiches d’une association d’élèves installée dans le hall d’entrée : « Non au racisme, oui au multiculturalisme ». Quel amalgame ! Rappelons que le multiculturalisme est le modèle d’intégration, promu par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, misant sur la promotion des cultures d’origine au détriment d’une culture nationale commune. Le Québec n’a pas signé la Constitution de 1982 et n’a pas adopté ce modèle. Doit-on comprendre que le Québec tout entier serait raciste ?

Dans un précédent texte, j’ai attiré l’attention sur le fait que le cours d’éthique et culture religieuse (ECR) constituait une entrave à la laïcisation de l’État. Or, ce contre-discours n’est pas l’exclusivité du cours ECR. Il se fait à travers diverses activités remplies de bonnes intentions, mais véhiculant un message confus. Par exemple, lors d’un atelier sur la tolérance dans une école secondaire, l’organisme responsable avait pour support visuel des bandes dessinées dont l’une faisait le parallèle entre le voile islamique et le t-shirt d’une équipe de hockey. Quel genre de message veut-on transmettre aux élèves ?

Qu’en est-il au juste de la neutralité politique des discours véhiculés dans les écoles ?

À ce sujet, le courriel que j’ai reçu de l’Alliance pour m’expliquer le malaise provoqué par ma conférence sur la laïcité est révélateur : « Nous n’avions pas prévu que la Coalition avenir Québec (CAQ) serait portée au pouvoir au moment où nous vous avons demandé votre intérêt à participer à ce colloque ».

Doit-on y déceler une hostilité du syndicat à l’endroit de la CAQ ? Pourtant, c’est un parti légitime élu démocratiquement. De plus, ma position sur l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État, loin d’être marginale, est soutenue, sondage après sondage, par une majorité de Québécois.

Alors comment expliquer ce biais politique dans un colloque d’envergure qui devrait permettre de débattre ouvertement d’enjeux de société qui touchent l’école ? Les syndicats, qui ont été des chefs de file pour l’obtention des droits démocratiques au Québec, entraînent-ils maintenant les enseignants à rompre le dialogue avec la population ?

Nombreux appuis

J’aimerais cependant souligner le courage de nombreux professeurs qui se sont prononcés contre la mise à l’index de ma conférence. Rappelons que lors du débat sur la charte de la laïcité du Parti québécois, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), à laquelle est affiliée l’Alliance, avait procédé à une large consultation auprès de ses membres dont le résultat était un soutien de près de 78 % des enseignants à l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État. Pourtant, au congrès de juin 2013, les délégués ont voté selon leur opinion personnelle et la décision rendue publique fut que le syndicat s’opposait à toute interdiction. Cela montre bien que l’avis des délégués n’est pas nécessairement celui des membres.

La laïcité est un projet de société fondamental pour le Québec. Va-t-on être en mesure d’en débattre sereinement, en dehors des discours simplistes sur le bien et le mal ? Cette censure, digne de la chasse aux sorcières de l’époque du maccarthysme, ne fait qu’appauvrir le débat public et nuire à la paix sociale. 

Quant à l’école, elle constitue un trait d’union entre tous les citoyens, quelles que soient leur origine sociale, leur allégeance politique, leur religion. Par respect pour tous, elle se doit d’afficher une neutralité religieuse et politique.

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